Fraternité

samedi 19 novembre 2022, par Jacques Cheminade

« Mon vieil ami, ta gloire est grande :
Grâce à tes merveilleux efforts,
Des travailleurs la voix s’amende
Et se plie aux savants accords.
D’une fée as-tu la baguette
Pour rendre ainsi l’art familier ?
Il purifiera la guinguette ;
Il sanctifiera l’atelier.
La musique, source féconde,
Epandant ses flots jusqu’en bas,
Nous verrons ivres de son onde
Artisans, laboureurs, soldats.
Ce concert, puisses-tu l’étendre
A tout un monde divisé !
Les cœurs sont bien près de s’entendre
Quand les voix ont fraternisé. »

C’est ainsi que Béranger, dont « le peuple était la muse », s’adresse à son ami Wilhem en 1841. Wilhem voulait donner une âme à la République, par le chant, partout. Maître de chant à l’Ecole polytechnique, il dirigea l’enseignement du chant dans les écoles élémentaires de Paris et créa l’Orphéon, chorale d’enfants rapidement étendue aux adultes, qui pouvaient tous y prendre des cours.

Pourquoi citer aujourd’hui ce poème, alors que la guerre et le chaos financier menacent nos vies ? Parce que la poésie et le chant sont bien plus sérieux que les débats politiciens lorsqu’il s’agit de ce qui manque le plus dans nos sociétés, la fraternité. Fraternité dans les relations internationales et fraternité dans notre propre pays, difficile et exigeante fraternité, mais nécessaire pour le bien commun et les générations futures. Au XVIe siècle, Jean Bodin, pendant des guerres de Religion aussi fratricides que celles d’aujourd’hui, affirmait que la paix dépend de politiques qui, au dessus de la mêlée, font « accord de discords ». C’est-à-dire capables de composer une harmonie sociale incorporant les dissonances.

Humanisme bisounours ? Au contraire, défi et inspiration pour se mobiliser dans notre France de 2022, dans laquelle la joie s’éteint. Les classes populaires et les classes moyennes sont dépossédées de leur travail et évincées de leurs territoires. Les Français modestes ne peuvent plus vivre là où ils sont nés. A tous les niveaux, le travail humain est dévalorisé. Comme le dit l’essayiste Christophe Guilluy, « il s’agit du plus grand plan social de l’Histoire ». Nous nous préparons officiellement à ce que l’on appelle « des conflits de haute intensité », c’est-à-dire une guerre en Europe et dans le monde. David Beasley, directeur du Programme alimentaire mondial, annonce « des famines, des nations déstabilisées et des mouvements migratoires de masse », en bref, les conditions même de la guerre. Dans notre vie quotidienne, nous éprouvons moins le bonheur de nous battre pour un monde meilleur que le besoin de défendre ce que nous risquons de perdre.

Le pessimisme et le retrait vers la vie familiale s’étendent – bref, la dépolitisation. Elle conduit à un état d’esprit impuissant ou suicidaire. Car une oligarchie financière et idéologique entend ainsi nous décourager et nous soumettre, divisant pour régner. Se résigner revient à collaborer avec elle. Ne pas relever les défis fondamentaux revient à être aussi irresponsable que les députés qui ont transformé l’Assemblée nationale en une sorte de « Touche pas à mon poste », alors que le monde brûle.

Pourtant, deux Français sur trois ont voté contre la dictature financière, pour de « bons boulots » et pour sortir du commandement intégré de l’OTAN. C’est le bloc populaire et des classes moyennes, les dépossédés. Par delà leurs représentants actuels, il s’agit de leur donner une vraie direction. Notre engagement, à Solidarité & Progrès, est d’en faire accoucher. Cette fraternité évoquée hier par Béranger et la Déclaration universelle des droits de l’homme doit devenir la musique de notre avenir. Avec l’esprit des non-alignés de Bandung dans le monde et celui du Conseil national de la Résistance chez nous, en maîtrisant l’émancipation que peuvent nous apporter l’intelligence artificielle, le numérique, la robotisation et le nucléaire du futur, nous pouvons créer la surprise d’un bel avenir, pourvu que nous le voulions.