Ukraine - Klarsfeld, Lellouche : c’est maintenant qu’il faut penser la fin du conflit

lundi 30 janvier 2023

Chronique stratégique du 30 janvier 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Tandis que les gouvernements occidentaux, comme hypnotisés par les sirènes des docteurs Folamour anglo-américains, franchissent un nouveau pas en livrant des chars à l’Ukraine, quelques rares voix s’élèvent en France contre cette logique d’escalade, et appellent à sortir au plus vite du conflit. A l’image de l’avocat franco-israélien Arno Klarsfeld, qui a lancé une pétition reprochant à l’UE de nous conduire à une guerre mondiale, et de l’ancien ministre Pierre Lellouche, qui demande l’arrêt d’envoi d’armes et l’ouverture de négociations dans une tribune au journal Le Monde.

« Non à une troisième guerre mondiale »

Le monde a changé. Arno Klarsfeld, avocat franco-israélien de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France et fils des « chasseurs de nazis » Serge et Beate Klarsfeld, a lui aussi changé. Il y a 20 ans, rappelons-le, Arno Klarsfeld écrivait une tribune dans Le Monde en faveur de l’intervention en Irak. A l’époque, il était invité sur toutes les chaînes de médias.

Aujourd’hui, Klarsfeld, en plus de dénoncer le fait que Kiev glorifie les collaborationnistes nazis tels que Stepan Bandera (lire l’article Arno Klarsfeld : « L’Ukraine ne doit plus glorifier les nationalistes qui ont collaboré »), appelle sur les réseaux sociaux à une paix négociée entre Russes et Ukrainiens. Ce qui lui a valu d’être exclu par les médias main stream et accusé (sans le nommer) par Bernard Henry Levy d’être un « idiot utile de Poutine ».

Klarsfeld, qui estime qu’il ne faut donner des armes à l’Ukraine que pour lui permettre de se défendre, s’inquiète surtout du symbole des chars allemands qui arrivent en Ukraine, sinistre rappel à ses yeux des Panzer de la Wehmarcht se ruant vers Moscou lors de l’opération Barbarossa.

il vient de lancer une pétition sur Change.org, intitulée « Non à une troisième guerre mondiale pour le Donbass », qui a obtenu plus de 20 000 signatures en quatre jours, avec le texte suivant : « Les peuples ont soutenu l’union européenne parce qu’ils pensaient que cette union était garante de paix. Pourtant cette union semble nous entraîner dans un conflit généralisé qui dévasterait à nouveau le continent européen sans même rechercher un compromis dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’Otan, sans consulter les peuples de l’union. Nous nous y opposons ».

On se dirige vers une Troisième Guerre mondiale, petit à petit, a déclaré Klarsfeld dans une interview à Valeurs Actuelles le 26 janvier. Je ne suis pas un idiot utile de Poutine, je suis peut être idiot, mais en tous cas j’ai le souci de la vérité, je ne mens pas, je n’essaie pas de travestir la vérité (comme le fait BHL), conclut-il.

Pierre Lellouche : « Il est temps de réfléchir à une issue »

Dans une tribune publiée dans l’édition anglaise du Monde du 20 janvier, Pierre Lellouche, ancien ministre délégué de Nicolas Sarkozy, écrit que l’aide militaire massive accordée à Kiev risque d’aggraver le conflit.

Après avoir exploré divers scénarios militaires, Lellouche affirme qu’une aide militaire toujours plus importante à l’Ukraine peut nous conduire au désastre : « Avec le risque d’un conflit qui s’enlise et qui n’aurait pas de véritable gagnant ou perdant — l’ensemble de l’Ukraine deviendrait alors une immense zone de conflit gelée sur le continent — couplé à la possibilité d’un effritement du soutien ukrainien au fil du temps, les alliés des États-Unis semblent vouloir prendre le risque de glisser irrémédiablement dans la co-belligérance. Cela conduirait à une confrontation de plus en plus directe avec les forces russes, ouvrant la voie à des réactions en chaîne incontrôlées... »

Cette option, que personne, « à l’exception de Scholz », n’ose remettre en question à l’heure actuelle, comporte selon Lellouche trois grands risques : 1) l’offensive ukrainienne pourrait échouer ; 2) la Russie pourrait riposter, y compris en Pologne, ce qui déclencherait l’article 5 de l’Otan et ouvrirait la voie à un conflit ouvert entre l’OTAN et la Russie, et 3) « Si la Russie était sur le point de perdre la Crimée, un territoire qu’elle considère comme sien, elle pourrait décider d’utiliser des armes non conventionnelles conformément à sa doctrine militaire, ce que les dirigeants ont clairement indiqué ».

Face à de tels risques, écrit Lellouche, l’absence de débat dans nos sociétés, y compris chez nous en France, est proprement consternante. Les médias unanimes, ainsi que les commentateurs et autres géopoliticiens autoproclamés ne cessent de nous répéter que la victoire est au bout d’un missile Himars, que la Russie va inévitablement s’effondrer et que Poutine sera renversé.

Si l’option consistant à essayer de mettre fin au conflit le plus rapidement possible par une victoire sur le terrain est certainement justifiée, explique l’ancien ministre, c’est à condition que d’autres options, notamment diplomatiques après un éventuel cessez-le-feu, soient également sérieusement envisagées. « On aurait pu espérer que ces options soient débattues au Parlement ou dans les médias, écrit-il. Mais ce n’est pas le cas et pour une bonne raison : Toute opinion divergeant du soutien inconditionnel à l’Ukraine rend son détenteur immédiatement coupable de poutinisme et de haute trahison. Pourtant, après un an de guerre et des centaines de milliers de victimes, face à la force effrayante et destructrice des armes de haute technologie qui, selon les rapports des soldats, transforment les combattants en ‘steak haché’, n’est-il pas temps de se demander comment trouver une issue à cette guerre, d’une manière qui n’implique pas la poursuite du carnage ? »

Lellouche note qu’à Washington, le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, a eu publiquement le courage de dire que cette guerre ne serait gagnée par personne et qu’il était temps de l’arrêter (voir notre chronique du 17 novembre 2022). De même, Henry Kissinger a courageusement rappelé comment, pendant la Première Guerre mondiale, face aux dégâts causés par les armes modernes de l’époque, des tentatives de médiation avaient été menées, mais trop tard.

Pourquoi ce débat est-il absent ici en France, y compris à gauche ?, demande Pierre Lellouche. Charles de Gaulle était obsédé par le risque de voir la France, surtout nucléaire, entraînée dans une escalade qu’elle ne serait plus en mesure de maîtriser.

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...