Amiral Jean Dufourcq : un « pat » stratégique pour arrêter la guerre en Ukraine

mercredi 8 mars 2023, par Karel Vereycken

Amiral Jean Dufourcq : un « pat » stratégique pour arrêter la guerre en Ukraine

Lors d’un colloque sur « l’impact global de la guerre en Ukraine », organisé par l’Académie de géopolitique de Paris le 28 février 2023, le contre-amiral français Jean Dufourcq (retraité) [1] a déclaré :

L’on ne sait pas très bien ce qui va se passer. On craint tous, en fait, une guerre longue, qui se terminerait par une sorte d’équilibre des forces, selon une ligne qui serait plus ou moins bétonnée et qui serait, pour des années encore, une espèce d’abcès de fixation. »

Ceci est ennuyeux car de part et d’autre, on a tout à perdre, et donc personne « ne va capituler facilement. »

Alors moi, j’ai une proposition à faire et je suis, je pense, le seul à l’avoir faite. Pour l’instant, j’ai le mauvais job à faire, qui est celui de dire qu’il faut certainement que tout le monde perde, c’est-à-dire qu’il ne faut ni vainqueur ni vaincu dans cette affaire. Il est temps de passer à ce que j’appelle le ‘pat stratégique’. (...) Un ‘pat’, au jeu d’échecs, c’est une situation dans laquelle les protagonistes constatent que personne ne peut gagner.

Le pat stratégique,

on en a un très bel exemple en 1991. (…) En 1986, Reagan et Gorbatchev se sont rencontrés à Reykjavík pour se dire ‘on ne va pas y arriver, personne ne va y arriver et donc, on va tout simplement mettre fin à notre conflit. On va apaiser le conflit et on va faire cela proprement.’ Chacun avait ses arrière-pensées (…) mais on voit qu’entre ces discussions de 1986 et la fin de l’URSS en 1991, s’est mis en place une solution où il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Chacun pense qu’il a vaincu, bien sûr. Mais en fait, il n’y a pas eu de bataille décisive finale. Moi je propose que l’on prenne exemple sur cette situation de 1991 pour chercher la fin de ce blocage stratégique [autour de l’Ukraine], et qui ne passe pas par une victoire décisive.

Aussi,

je trouve tout à fait irresponsable l’ensemble des acteurs qui veulent aujourd’hui une victoire décisive qu’on ne trouvera pas, qui va laisser tout le monde frustré. Il est donc temps que quelqu’un le dise. Alors je fais le sale boulot de dire qu’il ne faut pas que les Ukrainiens gagnent. C’est évident, quand je dis cela, ça fait bondir tout le monde.

Les grands perdants, nous le savons bien, c’est aujourd’hui le peuple ukrainien, qui dépense ses vies et son avenir. Et c’est l’Union européenne qui vient de perdre sa viabilité et sa pérennité. C’est vrai, il y a longtemps qu’elle ne l’a plus, mais elle ne peut plus la reconquérir maintenant, car nous avons perdu le fil directeur de l’Union européenne.

C’est le seul message que j’avais à vous dire ce soir. Ce pat stratégique, je vous demande de le suivre en essayant de le défendre avec tous les arguments que vous pourrez trouver dans votre connaissance du dossier. Mais nous ne pouvons pas accepter de continuer à vouloir la victoire de l’un ou de l’autre. C’est impossible et c’est donc tout à fait déraisonnable. Il faut que quelqu’un fasse ce travail. Sur les chaînes de télévision que l’on pratique tous d’une manière ou d’une autre, quand on veut le dire, eh bien, on nous coupe le micro. C’est pourquoi je pense qu’il est temps qu’on arrive à s’exprimer sur ce sujet.


[1Ancien élève du Prytanée militaire de La Flèche et de l’École navale (EN 69), le contre-amiral Jean Dufourcq (retraité) est un ancien commandant du sous-marin d’attaque Ouessant en Méditerranée et du navire d’escorte EV Henry en Atlantique. Il a également travaillé au Centre d’analyse et de prévision du ministère français des Affaires étrangères à Paris, à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles et au Collège de défense de l’OTAN à Rome.