La sagesse d’Erasme : indispensable pour arrêter la guerre en Ukraine

jeudi 23 mars 2023, par Karel Vereycken

Le professeur Luc Reychler.

Le 6 mars 2023, Luc Reychler, professeur émérite et respecté de relations internationales à l’Université catholique de Louvain (UCL), en Belgique, qui se qualifie lui-même de « pionnier de l’architecture durable de construction de la paix », a publié un article intitulé « Symphonie d’une guerre annoncée », dans le quotidien flamand progressiste DeWereldMorgen, réduisant à néant le récit de guerre et la propagande de l’OTAN.

Pour les personnes intéressées, le professeur Reychler a rédigé un texte court et fort intéressant intitulé « Principes d’une architecture de paix durable » (en anglais) en 10 points, soulignant l’importance de la beauté et de l’empathie.

« Après 50 ans de recherche sur les guerres et la paix, je suis consterné par la guerre et la contre-guerre en Ukraine, en particulier par le fait qu’elle n’ait pas été évitée. Les humanitaires et les faucons plaident pour plus d’armes et plus de guerre. La violence peut se poursuivre pendant longtemps, s’intensifier et même conduire à une guerre régionale, à une troisième guerre mondiale ou à une guerre nucléaire », écrit-il.

Si la stratégie actuelle n’est pas remise en question en temps voulu et de manière approfondie, nous aurons une opération perdante, non seulement pour les Ukrainiens et les combattants des deux camps du champ de bataille (principalement de jeunes hommes et pour la plupart, sans aucune expérience militaire), mais aussi pour le reste de l’Europe.

Après un examen détaillé des erreurs occidentales ayant conduit au désastre actuel, Reychler souligne que dans le cas de l’Ukraine,

il n’y avait pas de graves problèmes de sécurité tant que le pays était ‘neutre’ et que l’OTAN restait à l’écart. Remplacer la neutralité par l’adhésion à l’OTAN, ou remplacer le ‘partenariat pour la paix’ par un ‘partenariat pour la guerre’ n’est pas une preuve de réalisme stratégique. Ne pas prendre au sérieux la vulnérabilité historique d’un pays (la Russie) avec onze fuseaux horaires et l’insécurité résultant de l’expansion subreptice de l’OTAN, ne témoigne pas d’une empathie stratégique ou, pour reprendre les termes de Clausewitz, de génie stratégique. (...) Le désir d’adhérer à l’UE aurait été moins problématique si le rapprochement avec la Communauté européenne avait été découplé de l’adhésion à l’OTAN (...).

Avec une pointe d’ironie, il estime que

la phrase de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, ‘les armes sont le chemin de la paix’, ferait un titre approprié pour un tableau surréaliste de Magritte.

Erasme, Complainte de la paix.

Reychler ne cache pas qu’il s’inspire du grand humaniste Erasme de Rotterdam (1469-1536) lorsqu’il note :

Les politiciens ou les journalistes étrangers peuvent, à distance convenable, avec un savoureux cappuccino ou un verre à la main, plaider pour plus d’armes et rêver de victoire. Érasme nous a mis en garde contre le dulce bellum inexpertis. La guerre est douce pour ceux qui n’y participent pas ou qui n’en connaissent pas grand-chose. Les soldats ukrainiens se battent et meurent. Les souffrances et les destructions ont lieu à l’intérieur des frontières, en particulier dans la partie orientale du pays.

Sa conclusion est encore plus érasmienne :

Il y a 500 ans, Érasme s’attaquait sans sourciller à l’establishment de son temps, qu’il s’agisse des princes ou des papes. Il critiquait et se moquait des prétextes invoqués pour justifier les guerres et les contre-guerres. Il les considérait comme des pratiques barbares et stupides ne méritant pas d’avoir leur place dans un monde de personnes douées de raison, et encore moins dans un monde qui prétend à des valeurs plus élevées. Il constate que la guerre engendre d’autres guerres et que la doctrine de la ‘guerre juste’ a perdu toute crédibilité. Ses écrits ‘Douce est la guerre’ (1515, Adage), Complainte de la paix (1517) et De l’éducation des enfants (1529) sont des plaidoyers en faveur de l’argument suivant : ‘Si tu veux la paix, prépare la paix’.

Préoccupé par le changement climatique, Reychler termine en affirmant que « les climats humain et naturel étant étroitement liés, il est urgent de mettre fin à cette guerre et de créer les conditions d’une paix et d’une sécurité durables en Europe ».