La dédollarisation est en marche. La fin d’un monde

lundi 10 avril 2023

Chronique stratégique du 10 avril 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

C’est devenu tellement évident que même les banquiers de la City de Londres et de Wall Street doivent l’admettre : il n’est désormais plus possible d’imposer le règne transatlantique au reste du monde. Comme le montrent la décision de l’Arabie saoudite de réduire sa production de pétrole, contre la volonté de Washington, la vente de Total de GNL à la Chine et l’accord du Brésil et de la Chine d’échanges commerciaux en yuans et en real : la dé-dollarisation est en marche ; elle est irréversible, et son impact va se faire sentir de manière significative au cours de la prochaine période.

Le pied-de-nez de l’Arabie Saoudite à Londres et Washington

Stupeur dans le monde pétrolier et financier. Le dimanche 2 avril, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle mettrait en œuvre une « réduction volontaire » d’un peu moins de 5 % de sa production, soit 500 000 barils par jour (bpj), « en coordination avec d’autres pays de l’OPEP+ et des pays non OPEP ». Le vice-président du gouvernement russe Alexandre Novak a déclaré le même jour que la Russie prolongerait sa réduction de production de 500 000 bpj jusqu’à la fin de l’année. La réduction de Moscou avait été annoncée pour la première fois en mars, en représailles au plafond de prix à ses exportations de pétrole par voie maritime adopté par le G7.

L’accord, qui réduit la production de pétrole de plus d’un million de barils par jour, vise à « stabiliser » les marchés pétroliers suite à la chute des prix provoquée par la crise bancaire de la mi-mars.

Cette décision a particulièrement suscité la colère de Londres et Washington car elle va à l’encontre de la demande du président Joe Biden d’augmenter la production de pétrole, pour tenter de maintenir l’inflation à un bas niveau, et aussi car cela va aider la Russie à obtenir davantage de revenus grâce à la hausse des prix du pétrole.

Ce n’est plus un monde unipolaire, se plaint un stratège financier de premier plan de la banque d’investissement mondiale RBC Capital Market (Banque Royale du Canada), dans les colonnes du Financial Times. C’est une politique axée sur l’Arabie saoudite. Ils se font de nouveaux amis, comme nous l’avons vu avec la Chine.

Le Financial Times s’inquiète en particulier du fait que « l’initiative dirigée par l’Arabie saoudite est inhabituelle car elle a été annoncée en dehors d’une réunion officielle de l’OPEP + », notant qu’elle a mis « Riyad sur une trajectoire de collision avec les États-Unis alors que le Royaume tente de stimuler les prix dans un contexte de craintes d’une demande plus faible .... Les coupes surprises risquent de raviver les différends entre Riyad et les États-Unis. »

Dé-dolarisation

Cette décision de l’Arabie Saoudite survient un mois après l’accord passé avec la Chine sur des exportations de pétrole en yuan, la monnaie chinoise. Riyad et Beijing ont en effet convenu de contourner le système de règlement interbancaire SWIFT basé sur le dollar et d’utiliser à la place le système CIPS chinois (China International Payments System). Les deux pays font correspondre ces arrangements financiers avec la construction d’une grande raffinerie de pétrole de 12 milliards de dollars à Panjin pour traiter quelque 210 000 bpj de brut saoudien.

Du coté français, à noter, le fait que fin mars, TotalEnergies, une première, a complété sa première transaction de GNL libellée en yuans avec le géant des hydrocarbures chinois CNOOC.

Au total, 65.000 tonnes de GNL sont exportées depuis les Emirats arabes unis vers la Chine dans le cadre de ce contrat. TotalEnergies a expliqué que cette transaction inédite en yuans était « une demande de CNOOC » sur un marché des hydrocarbures où les achats se règlent de longue date en dollars. Le contrat en yuans s’est conclu à travers la plateforme Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange (SHPGX), spécialement créée par la Chine pour développer l’import-export d’hydrocarbures payés en yuans, avec une branche spécialement dédiée au GNL depuis 2020. Lors de sa visite en décembre à Riyad en Arabie Saoudite, le président Xi Jinping avait appelé les pays du Golfe à passer par cette plateforme pour vendre leurs hydrocarbures en yuans à la Chine.

De leur côté, la Chine et le Brésil ont dévoilé un accord pour que le commerce entre les deux pays se fassent exclusivement en yuans et reals. Là aussi, le CIPS fonctionnera comme la chambre de compensation, au lieu de SWIFT. Le processus est si rapide que le yuan vient de remplacer l’euro en tant que deuxième monnaie détenue par la banque centrale du Brésil.

Entre les deux géants, de grands projets de développement physico-économique sont en cours de discussion – y compris la construction d’un corridor ferroviaire bi-océanique reliant les côtes atlantique et pacifique de l’Amérique du Sud – et il est probable que le président brésilien Lula signera un protocole d’accord pour rejoindre l’initiative « la Ceinture et la Route » lorsqu’il rencontrera le président chinois Xi Jinping à Beijing le 14 avril. Lula évoquera également avec Xi l’urgence d’une solution négociée à la guerre en Ukraine, qui menace de dégénérer en une guerre thermonucléaire à part entière entre superpuissances à tout moment. Les deux dirigeants ont présenté des propositions de paix à cette fin.

De même, le ministre sud-africain des Affaires étrangères a présenté une proposition visant à ce que le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – qui, avec la Russie, forment les pays BRICS – prennent l’initiative d’accueillir des négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine. L’Afrique du Sud se prépare également activement à accueillir le prochain sommet des BRICS en août, qui verra une expansion significative de ce groupe dans les BRICS-Plus. En effet, une vingtaine de pays souhaitent rejoindre les BRICS, dont l’Algérie, l’Argentine, l’Égypte, l’Iran, le Mexique, l’Arabie saoudite, la Turquie et un certain nombre de pays africains.

L’Arabie saoudite, le Brésil, l’Afrique du Sud – trois grandes nations et d’importantes puissances régionales au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Afrique – agissent tous sur la simple reconnaissance que le monde n’est plus unipolaire. Ils sont également de plus en plus conscients – tout comme la population aux États-Unis et en Europe – que la paix et le développement vont de pair.

Tout l’enjeu est de faire émerger cette même conscience dans les pays occidentaux, qui ressemblent de plus en plus à la proverbiale « vallée des paumés ». La prochaine conférence de l’Institut Schiller des 15 et 16 avril, organisée sous le titre « Sans développement de toutes les nations, pas de paix possible sur notre planète », vise justement à réunir les pays du « Sud global » (la majorité mondiale) et le mouvement pacifiste qui s’affirme de plus en plus dans les pays de l’OTAN, afin de tracer une nouvelle voie. Inscrivez-vous dès aujourd’hui pour vous retrouver aux premières loges de ce changement de paradigme (voir ci-dessous).

A SUIVRE LE 15 AVRIL : Visio-conférence internationale de l’institut Schiller

Infos et inscriptions : cliquer ICI