Attaque de drones au Kremlin : minuit moins une sur l’horloge nucléaire

lundi 8 mai 2023

Chronique stratégique du 8 mai 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Dans la nuit du 2 au 3 mai, deux drones ont été interceptés aux abords du Kremlin par les services de sécurité. L’un d’eux a explosé au-dessus du palais du Sénat, où se trouvait une résidence de travail de Vladimir Poutine ; l’autre a terminé sa course sur le sol du Kremlin, près du Grand Palais, l’autre résidence de travail de Poutine. Moscou a immédiatement accusé Kiev de l’attaque, avec la complicité des États-Unis et de l’Otan, et a déclaré que la Russie se réservait le droit de riposter de la manière, au lieu et au moment de son choix.

Le 3 mai au matin, le ministère russe des affaires étrangères a publié une déclaration accusant le régime de Kiev d’avoir mené l’attaque de drone contre le Kremlin, soulignant que Kiev « bénéficie du soutien des pays occidentaux, qui lui fournissent des armes, des données de renseignement, entraînent ses combattants et lui assignent des cibles ». Le silence collectif de l’Occident, poursuit le communiqué, « est révélateur de sa connivence avec les méthodes terroristes employées par le régime néo-nazi de Kiev ».

Quelques heures plus tard, comme le rapporte l’agence TASS, la porte-parole du ministère des affaires étrangères, Maria Zakharova, affirmait sur sa chaîne Telegram que « avant tout, les créateurs et les manipulateurs du régime de Kiev, qui se trouvent à Washington, à Londres et à l’Otan, portent l’entière responsabilité de tout ce qu’il est en train de perpétrer ». Les pays occidentaux ont « éliminé les autorités légitimes de l’Ukraine, placé des opportunistes et des bandits à la tête du pays, leur ont fourni de l’argent et des armes, leur ont inculqué un sentiment d’impunité absolue, et leur ont apporté une couverture politique et un soutien militaire ».

En Occident, quand ils n’ont pas complètement passé sous silence les attaques au Kremlin, les médias dominants ont écarté d’emblée toute implication de Kiev et de Washington.

Le Parisien titre aujourd’hui : ‘PSG, Messi quel gâchis !’ Messi c’est fini c’est bien entendu plus important que les 2 drones frappant le Kremlin et ‘qui ne peuvent pas être partis de l’Ukraine’, a écrit Jacques Cheminade sur Twitter le 4 mai. ChatGPT devrait-il remplacer certains journalistes ?

De leur côté, les porte-paroles de la Maison-Blanche et du Département d’État ont montré pattes blanches et nié toute complicité américaine, avec la même hypocrisie à peine dissimulée qui avait été déployée suite aux révélations du journaliste chevronné Seymour Hersh à propos de l’implication des États-Unis dans l’explosion des gazoducs Nord Stream.

Tous les démentis des responsables ukrainiens et américains selon lesquels ils n’ont pas été impliqués dans cette attaque sont « risibles », a affirmé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, lors d’une conférence de presse. « De telles décisions — la définition des objectifs, la définition des moyens, etc. — sont dictées à Kiev par Washington, et nous en sommes bien conscients ».

Au bord de l’abîme

Le porte-parole du Kremlin a insisté sur l’importance pour les Américains de réaliser que la Russie est parfaitement consciente de son implication en Ukraine et « du danger d’une telle implication directe ».

De son côté, l’ambassadeur de Russie aux États-Unis, Anatoli Antonov, a déclaré que la Russie entendait bien réagir lorsqu’elle le jugerait nécessaire : « Comment les Américains réagiraient-ils si un drone frappait la Maison Blanche, le Capitole ou le Pentagone ? a-t-il demandé, selon l’agence Tass. La réponse est évidente pour tout politicien comme pour le citoyen moyen : la punition sera sévère et inévitable. (…) Nous répondrons quand nous le jugerons nécessaire. Nous répondrons en fonction de l’évaluation de la menace que Kiev fait peser sur les dirigeants de notre pays ».

Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergey Ryabkov, a également prévenu que la Russie était « prête à utiliser tous les moyens à sa disposition » pour dissuader les menaces contre sa sécurité et celle de ses dirigeants. Par ailleurs, il a affirmé que Moscou s’efforçait d’éviter que les relations russo-américaines ne sombrent « dans l’abîme d’un conflit armé ouvert ».« Nous travaillons pour empêcher les relations avec les États-Unis de tomber dans l’abîme d’un conflit armé ouvert, nous sommes déjà au bord de cet abîme », a-t-il déclaré jeudi soir dans une interview à la chaîne de télévision russe Pervy.

Du point de vue chinois : « la ligne rouge tacite » a été franchie

Une tribune non signée publiée dans l’édition du 4 mai du quotidien semi-officiel chinois Global Times donne un aperçu du point de vue de la Chine sur l’attaque de drone contre le Kremlin. Intitulé « L’attaque de drone franchit la ligne rouge tacite entre la Russie et l’Ukraine, aggravant encore les tensions », l’article affirme que « la nature de l’attaque de drone présumée est très grave ». Il cite Zhang Hong, chercheur associé à l’Institut d’études russes, d’Europe de l’Est et d’Asie centrale de l’Académie chinoise des sciences sociales : « Cette fois, l’attaque présumée a franchi la ligne rouge tacite fixée par les deux parties. (…) L’identité du coupable et la question de savoir si la Russie attaquera le palais présidentiel ukrainien en représailles sont devenues le plus grand suspense. (...) Cette action est à la fois un choc et un avertissement ».

L’article cite ensuite Song Zhongping, expert militaire et commentateur de télévision chinois, qui estime que la Russie va probablement prendre deux contre-mesures. « D’une part, [elle] va sans doute accroître son offensive de printemps, causant des pertes plus importantes à l’armée ukrainienne et réduisant sa capacité à attaquer la Russie. D’autre part, des représailles contre Zelensky lui-même ne sont pas à exclure. La possibilité de frappes de représailles sur des installations, y compris le palais présidentiel et le ministère de la défense de l’Ukraine, n’est pas non plus à exclure ».

Moscou a en effet été « surpris » et ne manquera pas de réagir, conclut l’article. La désignation par la Russie de ces actions comme une attaque terroriste planifiée entraînera des changements significatifs dans la nature de l’ensemble du conflit militaire, ce qui conduira inévitablement à de nouvelles tensions sur le champ de bataille. « Cela signifiera que la guerre entrera dans une phase plus turbulente, qu’elle sera plus amère et que les pertes des deux côtés augmenteront ».

Au moment des célébrations de la victoire contre le nazisme et le fascisme, puisse cette course folle vers une nouvelle guerre mondiale être stoppée et laisser place, comme nous le préconisons avec l’Institut Schiller, à des négociations diplomatiques ouvrant la voie à une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement.

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