Bombes à sous-munitions : le visage cynique des perdants

mardi 11 juillet 2023

Chronique stratégique du 11 juillet 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Lorsque vous appuyez sur l’interrupteur afin d’allumer la lumière, et que cela déclenche la chasse d’eau des toilettes, vous savez qu’il y a un problème.

Cela résume à peu près la situation actuelle de l’alliance transatlantique, où chaque action entreprise dans le but de préserver son hégémonie mondiale finit par se retourner contre elle. Les sanctions contre la Russie, qui ont davantage nui aux économies occidentales qu’à la Russie, en est un premier exemple. Puis, la pression exercée sur les nations neutres pour les pousser à condamner l’opération spéciale russe en Ukraine, a également produit l’effet inverse, conduisant à une révolte presque totale des pays du Sud.

Aujourd’hui, un phénomène similaire semble se produire avec la décision criminelle et hypocrite de fournir à l’Ukraine des armes à sous-munitions – soi-disant pour des raisons « humanitaires ».

Bombes à fragmentation

L’intention des élites occidentales est de plus en plus mise à nu aux yeux de tous – la volonté de mettre à genoux l’État russe, au prix d’années ou de décennies de souffrance pour les Ukrainiens – voire même de la destruction totale de la nation ukrainienne.

Le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Hebestreit, a soutenu vendredi la décision américaine de livrer des bombes à fragmentation :

Contrairement à la République fédérale d’Allemagne, les États-Unis et l’Ukraine n’ont pas adhéré à la Convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions. Nous sommes convaincus que nos amis américains n’ont pas pris cette décision à la légère en décidant de livrer des munitions appropriées, a déclaré le porte-parole allemand.

 

N’en déplaise à M. Hebestreit, la décision de livrer ces armes à Kiev a été condamnée dans le monde entier, y compris par certains des plus proches alliés des États-Unis. Le premier ministre cambodgien Hun Sen a notamment mis en garde dimanche l’Ukraine contre l’usage d’armes à sous-munitions, rappelant « l’expérience douloureuse » de son pays, sur lequel des millions de bombes à fragmentation américaines s’étaient abattues au début des années 1970, provoquant des victimes civiles pendant quatre décennies après le conflit. « Par pitié pour le peuple ukrainien, j’appelle le président américain, en tant que fournisseur, et le président ukrainien, en tant que destinataire, à ne pas utiliser de bombes à fragmentation dans la guerre car les vraies victimes seront les Ukrainiens », a déclaré Hun Sen.

Plus grave, le président Biden a lui-même avoué lors de son interview à CNN le 7 juillet que cette décision avait été prise en grande partie parce que les États-Unis étaient à court de munitions traditionnelles à envoyer en Ukraine. Dès lors, de nouveaux types de munitions étaient nécessaires pour poursuivre les combats. Une manœuvre cynique qui ne fera que jeter davantage d’huile sur le feu et pousser le monde vers la guerre nucléaire.

Scott Ritter : l’hypocrisie derrière les armes à sous-munitions

Dans un éditorial poignant publié le 8 juillet sur le site Sputnik, l’ancien inspecteur des Nations unies pour l’armement nucléaire, Scott Ritter, dénonce le caractère frauduleux des arguments de l’administration Biden pour envoyer des armes à sous-munitions en Ukraine.

Selon lui, l’affirmation du conseiller américain à la Sécurité nationale Jake Sullivan et de Colin Kahl du Pentagone, selon laquelle l’arme « M864 DPICM » (Dual Purpose Improved Conventional Munition), que les États-Unis envisagent d’envoyer en Ukraine, aura un taux de raté certifié inférieur à 2%, est un mensonge délibéré, car les tests n’ont jamais été fait en situation réelle. Lorsqu’elles sont utilisées sur le terrain, le taux de raté des sous-munitions sera beaucoup plus élevé, souvent jusqu’à 20 %, estime-t-il. « Le terrain accidenté, la boue, le sol meuble, les arbres et les buissons vont contribuer à empêcher les sous-munitions d’exploser ».

En réalité, les bombes à sous-munitions ne vont apporter qu’un avantage tactique limité aux forces ukrainiennes, estime Ritter, et la véritable raison pour laquelle le gouvernement américain a décidé de les livrer à Kiev est que « l’Ukraine est à court d’obus d’artillerie de 155 mm et que les États-Unis n’ont plus rien à donner à l’Ukraine, sauf le M864 ». Dans l’état actuel des choses, l’Ukraine épuisera ses stocks d’obus d’artillerie de 155 mm avant que l’un des objectifs fixés pour la contre-offensive n’ait été atteint.

L’administration Biden a décidé de fournir les M864 en tant que mesure d’urgence pour permettre à l’Ukraine de maintenir sa cadence de tir prévue jusqu’à ce que la production américaine et européenne d’artillerie de 155 mm puisse être étendue pour répondre aux besoins opérationnels de l’Ukraine, ce qui ne devrait pas se produire avant la mi-2024 au plus tôt.

Ainsi, sans changer la dynamique sur le terrain, où il est clair que l’armée ukrainienne ne pourra jamais prendre le dessus face aux forces russes, la livraison de bombes à sous-munitions ne fera que prolonger le conflit.

Cela ne change rien à la trajectoire actuelle du conflit russo-ukrainien, qui, dans l’état actuel des choses, tend vers une victoire russe décisive, ce que l’administration Biden répugne à accepter, écrit Ritter.

Au milieu de cette tension dramatique, l’Institut Schiller a organisé une conférence internationale décisive ce week-end à Strasbourg. Des personnalités de haut rang de plusieurs pays, élus, diplomates, scientifiques, leaders culturels et sociaux, universitaires et bien d’autres, y ont débattu de la crise stratégique et culturelle et mis sur la table la seule solution viable : abandonner toute ambition d’hégémonie et construire une relation gagnant-gagnant avec la majorité émergente de.

Plutôt que d’affirmer froidement leur domination et d’exiger que tous les autres pays se conforment au prétendu « ordre fondé sur des règles » défaillant de l’Occident, les nations occidentales devraient travailler avec les nations du Sud global pour façonner un nouveau monde en mettant à contribution les immenses capacités – scientifiques, artistiques, culturelles, technologiques, etc – dont elles disposent. Autrement dit : prenons les meilleures idées de l’Occident et faisons-les contribuer à façonner cette nouvelle architecture de sécurité et de développement.

Les vidéos de cette conférence seront bientôt disponibles sur le site de l’Institut Schiller.

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