Le possible retour de Trump fait frémir les otaniens européens

mercredi 20 décembre 2023

Chronique stratégique du 20 décembre 2023

Un génocide contre les Palestiniens à Gaza ? La mort d’une génération de jeunes Ukrainiens envoyés comme chair à canons pour enrichir le complexe militaro-industriel américain ? 

Tout cela n’émeut guère le microcosme atlantiste parisien, avant tout en émoi devant le possible retour du bouffon américain Donald Trump dont les politiques isolationnistes risquent de frapper au portefeuille les supplétifs de l’OTAN et de Washington en Europe. 

Quoi de neuf outre-Atlantique ? 

Le 5 décembre, dans les pages du New York Times, Liz Cheney, la fille de l’ancien vice-président Dick Cheney, architecte de la guerre contre l’Irak en 2003 et l’un des pire néo-conservateurs des temps modernes, a fait comprendre qu’elle envisage de créer un nouveau parti conservateur. En attendant, la priorité pour les néo-cons, dit-elle, c’est d’assurer que Donald Trump ne soit pas réélu. Et pour cela, elle n’exclue pas de se présenter à la fonction suprême. La conseillère de Dick Cheney, faut-il le rappeler, s’appelait Victoria Nuland, grande architecte du désastre en Ukraine sous Obama puis Biden et cheville ouvrière de la machine euro-otanienne (connue pour son « Fuck the EU » lors du Maïdan en Ukraine).

« Ce n’est pas la girouette qui tourne mais le vent », aimait répéter en France Edgar Faure. 

Or, moins d’une semaine après, les petits télégraphistes de Paris annoncent avoir reçu le message 5 sur 5, et donnent dans la dramatisation.

Ouvrant le bal, l’ancien correspondant du Monde à Washington et Moscou, Bernard Guetta, à ce jour eurodéputé du « Groupe Renew Europe » (le parti de Macron). Membre de la Commission des Affaires étrangères et spécialiste en géopolitique, vice-président de la Commission des droits de l’homme du Parlement européen, il murmure sans doute dans « l’oreille » d’Emmanuel Macron. 

Le 12 décembre, lors de l’émission « C à Vous » sur France5, Guetta s’est confié sur ce monde terrifiant qu’il voit arriver à l’horizon, où l’Europe se retrouverait abandonnée à son triste sort, entre l’Amérique de l’affreux Trump et la Russie du méchant Poutine. « La moitié des citoyens américains s’apprête à voter pour Donald Trump », a-t-il déploré, précisant qu’« ils votent pour un retrait des États-Unis » des affaires mondiales, et surtout le « retrait des États-Unis de l’Europe ». Autrement dit, les Américains « ne veulent plus être ni les gendarmes du monde, ni les parrains de l’Alliance atlantique », et pensent que les Européens doivent se débrouiller tout seuls.

« Si Trump devait arriver au pouvoir, a projeté Guetta, chose incertaine mais réellement possible, que se passera-t-il ? Il fera ce qu’il a promis. En 48 heures, il résoudra la question ukrainienne, c’est parfaitement possible. Il dira à Poutine : je reconnais vos conquêtes territoriales : Crimée et Donbass ; je cesse de financer et de soutenir militairement l’Ukraine, et en échange vous allez prendre vos distances avec la Chine, ce que Poutine fera ou ne fera pas ». 

Selon le député européen, cela confortera Poutine dans son idée que les Occidentaux ne sont que des coui…s molles et des lâches, et qu’il peut poursuivre son délire géopolitique, « reconstituer ses forces et augmenter la pression sur les frontières des trois États baltes et pourquoi pas sur la frontière finlandaise ». « N’oublions pas que Poutine a dit, et écrit, qu’il allait recréer, non pas l’empire soviétique, mais l’empire des tsars dont les pays baltes, la Finlande et une grande partie de la Pologne faisaient partie. Donc si nous disons ‘oui M. Poutine, vous pouvez annexer, tuer et bombarder, etc.’, sans réagir, pourquoi se retiendrait-il d’aller plus loin ? ».

« Nous sommes à un moment de bascule avec les élections américaines, de plus en plus inquiétantes, nous sommes à un moment de changement global de l’histoire de l’humanité, un moment dramatique, a conclu Guetta. Et lorsque la presse européenne s’inquiète de la montée des populistes d’extrême droite en Europe, même si elle est inquiétante et réelle, elle est beaucoup, beaucoup moins préoccupante que ce qui se passe aux États-Unis ».

La peur des néocons

Le 14 décembre, à la veille du sommet des chefs d’État de l’UE, Sylvie Kauffman, éditorialiste senior du Monde, un journal qui publie régulièrement des pages en anglais rédigées par le New York Timesa elle aussi donné le ton

Dans sa ligne de mire, Victor Orban, le cheval de Troyes dans l’UE et l’agent de Poutine. Orban en effet menaçait d’un double véto : sur l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE avec l’Ukraine (veto auquel Orban a renoncé en échange d’une subvention de l’UE à la Hongrie) et sur une aide européenne de 50 milliards d’euros permettant à l’Ukraine de payer ses achats d’armes aux Etats-Unis et maintenir l’effort de guerre (veto que Orban a heureusement maintenu). 

Or, puisqu’au même moment le Congrès américain s’apprêtait à refuser son chèque en blanc pour Kiev (ou du moins, à l’ajourner), un retour au pouvoir de Trump serait un cauchemar : 

« Trump aussi, lorsqu’il était président, vitupérait contre l’Union européenne. Trump 2, promettent certains experts américains, sera bien pire, moins bridé par des garde-fous qui auront disparu. Son programme prévoit de ‘mener à son terme la mission de réévaluation de l’OTAN’ lancée pendant le premier mandat. La formulation laisse peu de place à l’imagination : on voit où il veut en venir. » 

« Prise en étau entre Trump et Poutine, l’Europe court à la catastrophe, comme les somnambules de 1914, brillamment décrits par l’historien Christopher Clarke (Les Somnanbules. Eté 1914. Comme l’Europe a marché vers la guerreFlammarion, 2013). Car, si les dirigeants des Vingt-Sept, vendredi, ne parviennent pas à contourner l’obstacle Orban pour débloquer les 50 milliards d’euros d’aide promis à l’Ukraine, s’ils ne parviennent pas à surmonter le veto hongrois pour ouvrir des négociations d’adhésion avec Kiev et Chisinau, et si, parallèlement, le Congrès américain refuse aussi son aide, le signal sera reçu cinq sur cinq au Kremlin ».

« C’est le même signal que celui qui était envoyé par le sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, lorsque Berlin et Paris avaient bloqué l’ouverture du processus d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie. Le même signal que l’absence de réactions fortes après l’invasion de la Géorgie cette même année, puis l’annexion de la Crimée en 2014, puis l’occupation du Donbass dans la foulée. Ce signal, c’est celui de la division et de la faiblesse ».  Pour couronner le tout, Franceinfo a également publié un article le 17 décembre dans lequel l’on s’inquiète carrément du fait que l’Amérique vivrait sa dernière année en démocratie, si une administration Trump 2 devait voir le jour. 

L’article cite notamment plusieurs néoconservateurs américains de premier plan, tel que Robert Kagan, le mari de Victoria Nuland, ou justement Liz Cheney que ces atlantistes Européens verraient bien comme candidate de droite contre Trump.

Bien que Macron se soit un temps payé de mots sur « l’OTAN en état de mort cérébrale » et sur « la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans », il semble que les néocons ont toujours pignon (et pognon) sur rue dans notre pays. 

Toutefois, ne nous y trompons pas : leurs gesticulations ne reflètent que le désarroi de l’oligarchie anglo-américaine face au basculement du monde vers un nouvel ordre mondial basé sur la coopération Est-Ouest-Nord-Sud entre nations souveraines, reléguant au passé son cher « ordre fondé sur des règles ». 

Dans cette situation, il faut rapidement faire émerger des alternatives car rien de plus dangereux qu’un tigre blessé, surtout s’il lui reste des dents nucléaires.