Transformer le complexe militaro-financier en outil pour la paix

vendredi 5 janvier 2024

Chronique stratégique du 5 janvier 2024

Les informations quotidiennes ressemblent de plus en plus à une nécrologie de la faillite occidentale, avec son lot d’erreurs de calcul, d’échecs et d’autres déconvenues. Le 27 décembre, l’administration Biden a annoncé un nouveau programme de financement pour l’Ukraine, en dépit du fait que cette guerre, qui ne peut pas être gagnée, se solde d’ores et déjà par une catastrophe pour l’Ukraine ainsi que pour les pays de l’OTAN. En réalité, la Maison-Blanche cherche désespérément un moyen de sortir par la petite porte, dans un contexte où l’Ukraine est à court de troupes et de matériel, et où les États-Unis sont à court de soutien politique.

Cependant, le devant de la scène est toujours occupé par le massacre sanglant perpétré à Gaza par Israël, avec le soutien des États-Unis – et menaçant d’aggraver le conflit dans toute la région et au-delà. De plus en plus reconnu comme un génocide, ce conflit ne contribue qu’à dégrader chaque jour davantage la sécurité et le statut d’Israël dans le monde. Les récents votes à l’Assemblée générale des Nations Unies ont montré que l’opinion mondiale appelle désormais à un cessez-le-feu inconditionnel, une opinion que seuls quelques pays, dont les Etats-Unis, continuent de rejeter.

Barbarie géopolitique et frénésie financière

Au-delà de l’échec politique et stratégique – faisant suite aux échecs en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Libye – le conflit à Gaza souligne à l’encre rouge à quel point le leadership occidental est tombé bas aujourd’hui, avec toutes les conséquences que cela implique pour les années et décennies à venir. 

Mais ce n’est pas tout. S’il encourage le massacre de dizaines et de centaines de milliers de vies dans ces guerres géopolitiques barbares, tout en poussant le monde vers une confrontation mondiale entre les principales superpuissances nucléaires, ce système occidental se trouve lui-même dans un état d’effondrement économique et politique.

En effet, la frénésie autour de la dette du Trésor américain se poursuit ; malgré les efforts déployés pour fermer la récente fenêtre de prêt de la Réserve fédérale et annoncer un « atterrissage en douceur » de l’inflation récente, les prêts d’urgence aux banques sont allés dans la direction opposée. De plus, les pertes latentes dans les livres de compte des banques occidentales continuent de croître de manière incontrôlable, telle une bombe à retardement sur le point d’exploser. 

Les nations occidentales, qui ont émergé après la Seconde Guerre mondiale avec la mission de reconstruire le monde et de créer une paix durable, se sont laissées de plus en plus consumer par un parasite, dont les proportions sont progressivement devenues gargantuesques – parasite contre lequel le président américain Eisenhower, en 1961, avait mis en garde, sous le nom de « complexe militaro-industriel », et que nous avons rebaptisé « complexe militaro-financier », en raison du fait que la nature parasitaire de ce système détruit la substance-même de l’économie réelle, dont l’industrie est l’une des composante vitales. 

Le parasite

Dans un rapport publié le 14 décembre dernier, nos amis du magazine de renseignement économique et stratégique, l’Executive Intelligence Review (EIR), se sont attachés à mettre en évidence l’explosion des dépenses militaires américaines dans les trente dernières années, les principales entreprises et institutions financières qui en ont tiré les bénéfices, et surtout ce que les milliers de milliards engloutis permettraient de faire s’ils étaient investis dans le développement économique.

Alors que dans les années 1990, les dépenses militaires américaines étaient d’environ 4000 milliards de dollars, la première décennie du XXIe siècle a vu ces dépenses passer à environ 6500 milliards avec l’avènement de la « guerre contre le terrorisme » et d’autres aventures militaires post-11 septembre. Puis, dans les années 2010, avec les opérations en Libye et en Syrie (entre autres), ce chiffre est passé à plus de 8000 milliards de dollars. 

Pour les années 2023-2024, avec les conflits en Ukraine et en Israël-Palestine, auxquels ont peut ajouter la montée en puissance de la campagne antichinoise, les dépenses militaires américaines vont se situer entre 1800 et 1900 milliards. En parallèle, tandis que la dette fédérale américaine était passée de 1000 à 5500 milliards de dollars dans la période de 1977 à 2001, elle a augmenté de 32 000 milliards de dollars entre 2001 et 2023 !

Ce mastodonte suce le sang des économies occidentales, gonfle les dettes nationales et induit l’érosion puis l’effondrement du travail productif et vital, sans parler des millions de victimes provoquées par les conflits à travers le monde. 

Est-il nécessaire d’en dire davantage pour justifier à quel point un changement politique global est crucial ?

Reconvertir le complexe militaro-financier

Il est temps d’en finir avec ce complexe militaro-financier et de le réoutiller afin de répondre aux besoins légitimes du monde d’aujourd’hui et de demain : l’industrie, l’agriculture, les infrastructures et le progrès scientifique qui profitent au bien-être général. 

Comme le montre l’EIR dans son rapport, les biens d’équipement et les capacités scientifiques énormes des entreprises du secteur militaire pourraient largement contribuer à la reconstruction économique des pays en voie de développement, ainsi qu’à la remise sur pied des infrastructures des pays occidentaux.

Quelques exemples : 

  • Le coût d’un seul bombardier nucléaire B21 « Raider » (environ 800 millions de dollars), actuellement construit par Grumman Aerospace, serait presque suffisant pour achever le module principal de la station spatiale Lunar Gateway (935 millions de dollars), qui orbite à 6,4 millions de kilomètres de la Terre, en pierre de touche de la mission Artemis de la NASA sur la Lune et la Mars.
  • Avec les fonds accordés à General Electric Company (GE) pour construire les moteurs des chasseurs-bombardiers de la série F (plus de 1 000 milliards de dollars), l’une de ses filiales, GE/Hitachi Nuclear Energy (GEH), pourrait construire son prototype de petit réacteur nucléaire modulaire, le réacteur BWRX300, permettant la production d’électricité et le dessalement de l’eau dans les zones désertiques du sud-ouest de l’Asie — y compris pour la reconstruction des territoires palestiniens.
  • Aux États-Unis, les 2 000 milliards du fonds du Département d’État américain de la guerre contre le terrorisme (OCO/GWOT), dépensés sur la période 2001-2020, auraient permis de construire un réseau de près de 70 000 km de trains électrifiés à grande vitesse à travers les États-Unis pour un coût de construction d’environ 500 milliards de dollars ; de construire l’Alliance nord-américaine pour l’eau et l’électricité (NAWAPA), pour un coût de 400 milliards de dollars ; et de créer des sociétés de 200 milliards de dollars dans les secteurs du nucléaire et de l’aérospatial. Des fonds auraient également été alloués à la construction d’écoles, d’hôpitaux, de systèmes d’approvisionnement en eau potable, etc.