Trump invite les « souverainistes » français à la soupe populiste

mardi 5 décembre 2023, par Christine Bierre

Cet article est extrait de notre revue Nouvelle Solidarité. Pensez à vous y abonner pour recevoir l’ensemble de nos publications !


Eric Zemmour à la World Freedom Initiative
Eric Zemmour à la World Freedom Initiative

Bientôt un Milei, un Wilders, voire un Trump, en France ? Notre pays pourrait-il enfanter un tel monstre, lui qui fut le berceau historique de l’économie régulée et des conceptions d’harmonie sociale qui ont jalonné son histoire depuis Jean Bodin jusqu’à De Gaulle ?


En colère contre les partis traditionnels dont les politiques ne leur permettent plus d’assurer leurs fins de mois, un grand nombre d’électeurs se tournent vers « ceux qu’ils n’ont jamais essayé », sans s’apercevoir que ces « libertariens » ne sont que le stade ultime de la destruction de toute forme de protection sociale au bénéfice de la finance la plus rapace ! Qui gagne, en effet, lorsque la liberté (du plus fort) s’impose sur tous les plans, sans l’égalité et la fraternité qui ne peuvent être assurées que par les Etats ?

Les trumpistes débarquent en ville

C’est à une véritable OPA sur les courants « souverainistes » que l’on a assisté en France le 10 novembre dernier, menée par ces courants libertariens. Lors d’une conférence organisée à la Tour Montparnasse par Randy Yaloz, le président de Republicans Overseas (représentant le parti républicain américain à l’étranger), celui-ci a lancé l’Initiative pour la liberté mondiale (WFI). Parmi les invités, des personnalités politiques américaines de premier plan, toutes trumpistes, dont Mike Johnson, le tout nouveau chef de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Kristi Noem, probable co-listière de Trump aux élections présidentielles de 2024 et gouverneur du Dakota du Sud, et bien sûr, en invité surprise, Donald Trump lui-même, qui s’est exprimé par liaison téléphonique.

Mais qui sont les prises de guerre de cette équipée, parmi les « souverainistes » français ? D’abord Eric Zemmour, à qui l’on a conféré l’honneur d’ouvrir la conférence et d’en prononcer les mots de la fin. C’est lui qui a introduit ses collègues français : Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, Florian Philippot, fondateur des Patriotes, et Jean-Frédéric Poisson, président de VIA (ex Parti chrétien-démocrate).

« C’était une assemblée de luxe de partisans de Donald Trump, (650 euros pour assister à toute la journée, 1100 euros avec le dîner inclus) », rapportait France Inter. De l’argent sonnant et trébuchant pour appâter nos souverainistes ? Ça y rassemble fort. Une alliance autour de quoi ? Une « union des droites » et autres thèmes chers aux populistes : 1) lutte contre la mondialisation et retour aux nations ; 2) révolte contre la « dictature » sanitaire ; 2) climato-scepticisme ; 4) stopper l’immigration ; 5) défense inconditionnelle d’Israël ; et 6) cri de ralliement pour l’Occident, face au reste du monde (BRICS) qui acte son déclin.

Une véritable mutation pour ces souverainistes qui, à l’exception de Zemmour, prônaient jusqu’alors non seulement la sortie de l’UE et de l’OTAN, mais aussi un monde multipolaire et le rassemblement des patriotes de droite et de gauche, à l’instar du Conseil national de la Résistance. Autrement dit, il s’agirait de métamorphoser la lutte pour la souveraineté de la France en un populisme national-atlantiste !

L’Alliance pour une citoyenneté responsable (ARC)

Le véritable cœur de cette « opération » se trouve néanmoins à Londres. Pour mieux comprendre, il faut voir cette conférence de Paris comme la prolongation d’une autre, qui s’est tenue à Londres du 30 octobre au 1er novembre, sous l’égide de l’Alliance pour une citoyenneté responsable (ARC en anglais). De grosses pointures de la droite ultra-conservatrice (des présidentiables américains, plusieurs anciens Premiers ministres australiens, des membres du cabinet britannique et à nouveau Mike Johnson) s’y sont retrouvées pour discuter des mêmes thèmes, le tout enveloppé dans un beau discours sur les apports de la civilisation judéo-chrétienne à l’Histoire et la nature créative de l’être humain. Les responsables de l’ARC y ont poussé des cris d’orfraie face à la menace de disparition de la civilisation occidentale, appelant l’Occident à mener dès aujourd’hui la bataille pour sa survie. Nous sommes en train de mettre sur pied « une vision alternative de l’avenir, une alternative au récit apocalyptique », précise son fondateur, Jordan Peterson.

Plus prosaïquement, ces conservateurs ne pensent qu’aux élections qui les attendent. Présidentielles aux Etats-Unis, européennes, élections aussi en Grande-Bretagne, où les Tories ont peu de chances de l’emporter pour le moment : tous ont des paillettes dans les yeux après les victoires de Milei en Argentine et de Wilders aux Pays-Bas.

L’ARC semble également disposer de moyens financiers non négligeables. L’un de ses dirigeants, Sir Paul Marshall, a été l’un des principaux financeurs du Brexit, contribuant pour 100 000 livres sterling à la campagne. Non content de diriger l’un des principaux hedge funds européens, Marshall Wace LLP, il est aussi un investisseur majeur dans la chaîne britannique de droite GB News, ainsi que du site web de commentaires et d’analyses UnHerd. « Marshall, qui vaut 680 millions de livres sterling, selon la Rich List du Sunday Times, chercherait à racheter des titres de référence de la droite, le Telegraph et le Spectator. » Il est rejoint au conseil consultatif de l’ARC par Alan McCormick, actuel président de GB News et partenaire du groupe d’investissement Legatum, autre mécène de la conférence, basé à Dubaï.

Le Plan B de l’oligarchie occidentale

Le véritable objectif de tout ce manège ? Selon le Financial Times, il s’agit de mettre en œuvre un Plan B pour remplacer l’UE, après son éclatement, par des Brexit « durs » dans chaque pays. Le but serait de mettre en place une association de nations sous le contrôle de l’oligarchie financière anglo-américaine. Une fausse « alliance des nations » menée par des moutons « souverainistes » aux dents de loup du capital financier anglo-américain. Si certaines questions agitées par ces « populistes » relèvent de problèmes réels, la fraude ici est de penser que c’est en adoptant leur libéralisme libertarien encore plus extrême qu’on pourra les résoudre.

Milei et Wilders : L’heure des fake

Après les fake communistes, les fake européistes et les fake socialistes, nous voici dans l’ère des fake souverainistes ! Certes, comme Trump ou Marine Le Pen, les nouveaux arrivants Wilders et Milei sont habiles pour capter la colère populaire. Sans compter que les grands médias, quoi qu’ils en disent, leur déroulent le tapis rouge. Toujours en quête de nouveaux lecteurs, la grande presse élargit sa clientèle en jouant sur la rage, la grogne, la division et autre peur du déclassement pour conduire nos concitoyens à se méprendre sur les responsables qui leur empoisonnent l’existence.

Désigner des boucs-émissaires, les étrangers comme ceux qui ne respectent pas « nos valeurs » et attaquent « notre identité », semble désormais la recette idéale pour l’emporter au prochain scrutin européen ou présidentiel. En réalité, Trump, Wilders ou Milei ont des convictions libertariennes, une idéologie inspirée d’Ayn Rand, dont on saisit mal les fondements en Europe.

Ces fake populistes refuseront d’être des hommes forts à la tête d’un Etat fort au service du bien commun. A part un minimum de régalien (armée et police), ils nous promettent le démantèlement de l’Etat-providence, au profit d’un secteur privé sous la coupe des spéculateurs internationaux, ceux-là mêmes que les peuples ne cessent de rejeter dans les urnes. En Hongrie, la défense du droit au logement, mais seulement pour les jeunes « nationaux », s’est avérée la recette gagnante pour Orban, et c’est la même qui a permis à Wilders de l’emporter !

Caputo

En Argentine, après s’être affiché comme un tribun « antisystème », voulant démanteler la bureaucratie pour laisser le peuple respirer, Milei, avec l’appui du FMI, vient de nommer comme ministre de l’Economie Luis Caputo, ancien trader de la banque JP Morgan à Wall Street. Pour infléchir les 143 % d’inflation qui ruinent le peuple argentin, il avance une solution réellement souverainiste : supprimer la devise nationale pour la remplacer par le dollar !

Aux Pays-Bas, Wilders, trahi par son pedigree, joue la même partition. Ancienne plume du commissaire européen Bolkestein, soutenu par les colons israéliens et leurs parrains américains, son discours islamophobe lui vient de l’intellectuel britannique Douglas Murray, idole de BHL et maître à penser de l’ultime bouée de sauvetage de l’Empire.

Karel Vereycken