Afghanistan : Cap sur une reconstruction heureuse

jeudi 23 novembre 2023, par Karel Vereycken


« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » — Mark Twain

C’est ce qui vient à l’esprit lorsqu’on fait le bilan de ce que vient d’accomplir le Centre de recherche et de développement Ibn Sina travaillant en partenariat avec l’Institut Schiller international présidé par Mme Helga Zepp-LaRouche.

L’Afghanistan, un pays de la taille de la France et peuplé de plus de 39 millions d’habitants, a été ravagé par 40 ans de guerres soviétique et américaine. Or, la « communauté internationale » en a fait un pays paria, hors la loi. Estimant que l’arrivée au pouvoir des talibans le 15 août 2021 constituait un « coup d’état terroriste », Washington a jugé bon de confisquer 9,5 milliards de dollars des avoirs de la Banque centrale afghane à l’étranger et de suspendre, du jour au lendemain, toute aide extérieure (qui représentait jusqu’à 60 % du budget afghan), à un moment où le pays doit affronter la pire crise alimentaire, sanitaire et sécuritaire de son histoire, résultant des guerres d’occupation et non du nouveau régime.

De retour d’Afghanistan

Je reviens de Kaboul avec 1000 idées et autant d’anecdotes. J’ai eu le plaisir d’intervenir début novembre à un événement hors normes. Préparée depuis un an et financée exclusivement par des citoyens afghans de la diaspora, une belle conférence dans un grand hôtel à Kaboul a réuni trois jours de suite plus de 600 personnes, dont une bonne centaine de femmes, afin de dessiner les contours d’un nouveau départ pour le pays. Toute la première journée a été transmise en direct par la télévision nationale qui l’a rediffusée plusieurs fois les jours suivants suscitant des milliers de commentaires et de likes sur les réseaux sociaux.

A la tribune des plénières, plusieurs ministres adjoints (dont celui des Affaires étrangères), secrétaires d’État et haut responsables de tous les ministères clés (mines, énergie, eau, agriculture, éducation, finance, culture, etc.) ont montré un gouvernement décidé à s’affranchir des manœuvres géopolitiques à l’origine des conflits dans la région. En proclamant un pardon des offenses et une amnistie pour ceux ayant collaboré avec l’ancien régime, l’esprit était totalement « westphalien ». Tout afghan et tout étranger de bonne volonté qui vient, en ayant rangé ses armes au vestiaire (guns down), est le bienvenu pour aider à la reconstruction. Très appréciée, l’intervention courageuse de l’ancien eurodéputé italien Pino Arlacchi (voir ci-contre), venu encourager Kaboul à continuer sa politique d’éradication du pavot à opium.

Pour tous, l’heure n’est plus à faire la guerre « par procuration » au service des autres (Londres, Moscou ou Washington). Finie l’époque où des ministres imposés par Washington possédaient 64 appartements dans la capitale alors que le peuple croupissait dans la saleté et la misère. « Un Parlement source permanent de corruption ? Non merci, on veut de l’eau ! »

L’Afghanistan a décidé d’éradiquer le mot « donateur » des esprits.et, dans des conditions franchement cauchemardesques, de se prendre en main, se retrousser les manches et construire les infrastructures de base dont le pays a grand besoin. Carrefour historique sur les Routes de la soie depuis la nuit des temps, en se connectant à initiative chinoise Une ceinture, une route et aux BRICS, il retrouvera la place qu’il mérite.

La question des femmes

La bonne volonté, l’optimisme et le sourire étaient sur tous les visages, chacun sachant qu’il s’agissait d’un moment historique. En particulier le fait que, pour la première fois depuis la prise de Kaboul il y a deux ans, des responsables talibans et des mouvements de femmes ont accepté de se parler dans une même enceinte, estimant que dans un élan général de reconstruction, le sectarisme cédera bien plus vite qu’on ne le pense.

Huit tables rondes thématiques (eau, agriculture, transport, héritage culturel, travail, éducation, santé et finance), animées par des spécialistes de l’Institut Schiller venus des États-Unis, d’Allemagne, de Chine et de France, ont permis aux experts, aux responsables locaux et aux représentants de la société civile de se connaître et de croiser leurs regards. C’est le groupe de travail sur l’éducation qui a attiré les plus de monde avec 120 personnes dans l’assistance, dont 60 femmes. Bien plus que des « droits », ces dernières, qui occupent déjà 70 % des emplois dans le pays, réclament de l’eau, de l’électricité, un frigo, un revenu et une formation professionnelle permettant cette émancipation dont tout le monde parle en Occident.

Le canal de la concorde

Et ça marche ! En août, Kaboul a fièrement annoncé l’achèvement des 108 km de la première phase du canal Qosh Tepa (aussi long que notre canal Seine Nord, le plus grand projet européen dans ce domaine) qui permettra l’irrigation de quelque 500 000 hectares supplémentaires des terres les plus fertiles au nord du pays. Jusqu’ici largement déficitaire en céréales, l’Afghanistan pense devenir exportateur dans les années à venir !

Ce projet a suscité un véritable engouement national. Plus de 7000 conducteurs de camions de tout le pays se sont précipité sur le chantier pour y travailler sans relâche, achevant le chantier bien avant les délais. Le projet, qui va surtout permettre aux paysans d’origine tadjike et turkmène de reprendre une activité productive, met en pièce le « narratif » qui présente les pachtounes (57 % de la population totale et non 37 % comme l’affirme Wikipédia) comme une « minorité éthnique » n’agissant que pour son propre intérêt. Pour Le Figaro, il s’agit du « Canal de la discorde » car l’eau « détournée » par l’Afghanistan, n’irait plus remplir la mer Aral et assecherait ses voisins (Ouzbékistan, Turkménistan). En réalité, l’Afghanistan, de concert avec les pays voisins, travaille à rendre plus efficaces et économes les techniques d’irrigation permettant un partage plus équitable de la ressource. Pour sa part, le professeur français Jean Marc Deplaix, ancien expert auprès de l’ONU, a adressé un message vidéo à la conférence pour féliciter le gouvernement afghan pour son initiative et offert son expertise pour la bonne réalisation du projet.

Cet événement est une belle leçon pour nous en Europe qui cédons si facilement au renoncement et finissons par préférer l’impuissance à la joie d’agir pour le bien commun.


Pr Pino Arlacchi : « Consolider votre victoire contre l’opium »

 Pr Pino Arlacchi (à droite), traduit par Fatah Raufi du Centre R&D Ibn Sina
Pr Pino Arlacchi (à droite), traduit par Fatah Raufi du Centre R&D Ibn Sina
Karel Vereycken

Président d’honneur de la Fondation Giovanni Falcone, baptisée en hommage du procureur italien (et ami proche) assassiné par la mafia en 1992, l’ancien sénateur italien Pino Arlacchi est un spécialiste de la lutte anti-mafia. Il a également été le directeur exécutif du Bureau des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime.

Après avoir rappelé le fait que les Etats-Unis, après l’invasion de l’Afghanistan par l’OTAN ont protégé les seigneurs de la guerre et la production du pavot, le Pr Arlacchi a précisé les raisons de sa venue à la conférence du 8 novembre à Kaboul :

Je suis ici aujourd’hui parce que les talibans ont publié récemment un décret ordonnant l’éradication du pavot à opium identique à celui adopté il y a 21 ans. Et ils ont réussi : la production d’opium a été réduite de plus de 90 % ! C’est un résultat considérable, non seulement pour l’Afghanistan, mais aussi pour le reste du monde. En effet, près de 100 % de l’héroïne consommée en Europe est d’origine afghane. L’Europe compte plus d’un million d’héroïnomanes. Et dans les pays voisins et en Afghanistan même, il y existe un gros problème d’addiction. Je comprends donc que vous cherchiez à éradiquez l’opium, d’abord pour votre santé et pour vos jeunes. Mais le reste du monde doit être reconnaissant aux talibans pour ce qu’ils ont fait.

Je suis donc venu ici pour parler à votre gouvernement et proposer que mon expertise soit mise à votre disposition pour élaborer un plan efficace permettant de consolider ce résultat positif. Car l’expérience me dit que, si on n’y met pas les ressources, peut-être dans deux ans, l’opium reviendra. Mon plan nécessitera environ 100 millions de dollars par an pendant cinq ans. Une conférence spéciale avec les pays donateurs amis d’Afghanistan permettra de réunir cet argent. Pour les pays du golfe, la Chine, la Russie et autres pays amis, ce n’est pas insurmontable.

Enfin, pour la mise en œuvre, il faut une agence dédiée. Ma proposition vise à consolider votre succès contre l’opium. Dans la lutte contre le terrorisme, vous avez également obtenu un résultat exceptionnel. (…) Donc, si vous mettez ensemble ce grand succès que vous avez remporté contre le terrorisme et contre les stupéfiants, vous pouvez présenter le nouvel Afghanistan au monde d’une manière très positive. Et je suis sûr qu’il y aura suffisamment de pays qui l’apprécieront à sa juste valeur et qu’un processus de reconnaissance s’enclenchera. Vous devez être reconnus. Non seulement parce que vous êtes le gouvernement légitime d’Afghanistan, mais aussi parce que vous agissez de manière très positive pour le monde. (…) Je vous remercie. (Applaudissements).