Les analyses de Jacques Cheminade

Dieudonné, antisémitisme et racisme

mardi 5 avril 2005, par Jacques Cheminade

Il est des sujets dont on préférerait ne pas avoir à parler, tant le fait même de leur existence est intellectuellement et moralement avilissant. Il en est ainsi des propos proférés par Dieudonné à diverses reprises, et qui sont devenus pour la presse un objet de scandale très vendeur dans le climat actuel de communautarisme et de crise sociale.

Ces propos sont l’expression d’un salmigondis intellectuel sans intérêt, mais la paranoïa antisémite qui les sous-tend est, elle, intolérable. Les considérations sur la « pornographie mémorielle », que ce soit de la Shoah ou de ses commémorations, sur la responsabilité collective des juifs dans l’esclavage et dans les difficultés que lui, Dieudonné, éprouverait pour tourner un film sur ce thème, ne font que reprendre de vieux délires remis au goût du jour communautariste.

Dans ce contexte, il est grave que des proches de Tariq Ramadan et des altermondialistes aient pu lancer une pétition intitulée « Nous sommes les indigènes de la République » qui, sous prétexte de mettre légitimement en cause « la gangrène coloniale » et de très nombreuses discriminations actuelles, font comme si l’Occident, la « République postcoloniale » et « une frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français » s’étaient quasi-unanimement transformés en « agents de la pensée bushienne ». Tout d’abord, Georges W. Bush, tout comme Dieudonné, est incapable de penser. Surtout, les généralisations dont font preuve les auteurs épargnent les réels responsables et jettent l’anathème tous azimuts, créant ainsi non seulement une déplorable confusion, mais aggravant le sentiment d’isolement et de frustration des victimes, confrontées à un monde sans nuances hostile.

C’est encore dans ce contexte qu’on a pu constater, au cours des récentes manifestations lycéennes, le 15 février et le 8 mars, des violences anti-Blancs, non seulement dans le but de voler des objets, mais de « punir » des jeunes privilégiés vus soit comme des oppresseurs, soit comme des profiteurs. L’aspect totalement apolitique de ces actes est extrêmement grave, les victimes ayant trouvé l’excuse raciale ou territoriale pour devenir à leur tour bourreaux massacrant à coups de pieds et de poing, dans un monde dépourvu de solidarité humaine, entièrement fondé sur des rapports de force.

Une pétition « d’intellectuels » bien-pensants a été quasi-immédiatement élaborée et signée pour dénoncer ces actes, contribuant à jeter de l’huile sur le feu et à faire boire du petit-lait à Bruno Gollnisch. Chacun se trouve ainsi confiné dans ses préjugés : les enfants des « indigènes de la République », croyant n’avoir aucun recours et ne voulant pas devenir « beurs ou blacks de service », attaquent les enfants des « bobos blancs », qui pourtant manifestaient pour une éducation plus juste, et les parents de ceux-ci dénoncent les « barbares de banlieue » dans un cycle infernal de bêtise, tandis qu’un nombre croissant de ressortissants des communautés respectives ne pensent plus en termes universels, c’est-à-dire en termes de l’avantage de l’autre avec celui des miens, mais en considérant l’avantage des miens contre celui des autres. Un univers où le conflit serait l’état naturel du monde naît ainsi peu à peu, bien que les expériences du passé montrent où il peut conduire.

C’est le vieux principe de diviser pour régner qui se met en place. Mais au profit de qui ? Des éléments dont nous disposons montrent que Dieudonné et son entourage sont poussés par certains groupes de la Nation of Islam, qui pratique également aux Etats-Unis l’antisémitisme et le communautarisme musclé, et dont le but avoué est d’isoler les communautés noires, détruisant ainsi tout sens de solidarité entre minorités opprimées. De plus, nous croyons savoir que l’agression commise contre Dieudonné aux Antilles aurait été inspirée par des éléments juifs américains d’extrême droite, sans doute la Ligue de défense juive. Ainsi se met en place en France une situation « à l’américaine », sans que la plupart des acteurs du scénario en soient conscients.

Nous leur recommandons de se rappeler qu’avant de mourir, Martin Luther King avait souligné la nécessité d’éviter le repli communautariste et de réunir tous les opprimés dans une revendication commune de justice, par-delà les barrières raciales ou ethniques. Précisément, l’une des principales raisons du succès du Mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, pendant les années soixante, a été le soutien apporté par des militants juifs aux militants noirs. Et ce qui a été fait depuis vise à séparer les deux communautés, ou mieux encore à les opposer, avec pour résultat la dérive du pays vers la droite et une segmentation parallèle entre communautés.

En tous cas, une lecture à faire aujourd’hui de toute urgence par les gens de bonne volonté dans toutes les communautés, est le livre de Martin Luther King, Minuit, quelqu’un frappe à la porte, et en particulier le sermon politique prêché à Montgomery (Alabama) le 17 novembre 1957, « Aimer vos ennemis ». « En effet, dit-il, si vous les haïssez, vous vous trouvez dans l’incapacité de les convertir et de les transformer ». Réfléchissons aussi au fait que la compétition entre victimes, la haine et la destruction du sens de l’universel reviennent à anéantir les fondements mêmes que le judaïsme a légués à notre histoire, sur tous les continents du monde, ces fondements mêmes que les nazis voulaient exterminer à Auschwitz.