Les écrits de Lyndon LaRouche

Le nouveau changement de paradigme culturel : Où va l’Europe ?

mardi 14 juin 2005, par Lyndon LaRouche

Dans les récents événements survenus en Europe et aux Etats-Unis, Lyndon LaRouche voit le début d’un renversement des valeurs dominantes de ces trente à quarante dernières années. Dans ce texte, rédigé le 31 mai 2005, soit deux jours après le référendum sur la Constitution européenne en France, il souligne l’importance, dans ce contexte, du Mouvement de jeunes qu’il a fondé.

Une semaine seulement après que le Sénat américain ait déjoué le coup d’Etat contre la Constitution des Etats-Unis, fomenté par un vice-président Dick Cheney totalement enragé, une importante majorité des quelque 70% des Français ayant participé au scrutin a rejeté la Constitution européenne proposée. Entre-temps, tout au long de cette semaine, la grande presse européenne, à l’exception notamment du Neue Zürcher Zeitung, a passé strictement sous silence les implications décisives de l’action du Sénat pour résister au putsch de Cheney, qui prenait des allures de coup à la Hermann Goering, ou peut-être devrions-nous plutôt dire, à la Carl Schmitt ou Leo Strauss ? Le lien entre le référendum en France et le silence de la presse européenne sur cette action devrait désormais être évident parmi les cercles européens qui réfléchissent encore.

Alors que le monde sombre de plus en plus vite dans la pire crise monétaro-financière mondiale depuis les années 30, assortie d’une crise sociale qui va en s’aggravant, d’autres crises politiques comme celles qui se sont manifestées en Europe et aux Etats-Unis ne tarderont pas à éclater. Dans les semaines précédant le scrutin, les signes visibles de résistance à la Constitution européenne manifestés par certains cercles français indiquaient déjà qu’un « changement de paradigmes culturels à rebours » contre le phénomène « bo-bo » (bourgeois bohèmes) a désormais atteint le niveau de « masse critique » ou est sur le point d’y arriver. Il ne s’agit pas d’un phénomène spécifique à la France ; on constate la même tendance ailleurs, quoique sous forme souvent différente, non seulement en Europe mais aux Etats-Unis. De toute évidence, une couverture de presse honnête sur la résistance montée contre le coup de Cheney en Amérique aurait renforcé chez beaucoup d’Européens l’opposition au projet de Traité constitutionnel européen. Le motif du silence à propos de cette épisode est désormais parfaitement clair.

Et maintenant, que va-t-il se passer, non seulement aux Etats-Unis et en France, mais dans le monde entier, et plus spécialement dans les Amériques et l’ensemble de l’Europe ? Quel augure peut-on tirer du roulement des nouvelles charrettes de l’histoire qui arrivent, nous rapprochant de la date de l’histoire qui est en train d’être écrite pour demain, ou même pour aujourd’hui ?

Hier...

Depuis la mort du président américain Franklin Roosevelt, le monde est aux prises avec un modèle cyclique marqué par le rôle d’un nouveau mouvement social qui est, de fait, fasciste. C’est un mouvement existentialiste incarné, ces dernières décennies, par les menées de la cohue intellectuelle associée au Congrès pour la liberté de la Culture, à la Paris Review de l’après-guerre gravitant autour de l’Américain de type vénitien John Train, entre autres, etc. Les enfants nés dans les Amériques et en Europe occidentale en 1945 ou peu après subirent la forte influence d’un endoctrinement massif à la contre-culture, qui devait ensuite battre son plein dès le début des années 50. L’endoctrinement de ces enfants, dans les conditions terrifiantes d’« intox » créées par la menace d’une guerre nucléaire générale et par la guerre culturelle toute puissante dans les domaines de l’art et de l’éducation, allait produire la « génération des soixante-huitards » et sa contre-culture de « rock-drogue-sexe ».

Cette campagne internationale de contre-culture, avec ses effets au niveau de l’éducation, notamment celle de la « classe moyenne » des banlieues américaines* des années 50 et 60, a infligé au monde ce « grand changement de paradigmes culturels », comme on l’appelle aujourd’hui, une évolution vers l’idéologie nietzschéenne ou post-nietzschénne qui a donné naissance à des phénomènes comme les « bo-bo » en France. Notons l’influence des idéologues de l’Ecole de Francfort, comme Martin Heidegger, le « grand » philosophe nazi et anti-sémite qui exerça à l’université de Freibourg, et ses co-penseurs, tels que ses collaborateurs Theodor Adorno et Hannah Arendt. Même si les origines de ces deux derniers les empêchaient de faire carrière sous le régime d’Hitler, ils représentaient par ailleurs le même virus culturel existentialiste et dionysiaque qui donna au monde ses Heidegger, Nietzsche, Hitler, etc. Issues entre autres de l’Ecole de Francfort, les recrues aux troupes de choc anglo-américaines du Congrès pour la Liberté de la Culture haïssaient la culture classique d’Europe et des Etats-Unis avec autant de passion que n’importe quel nazi. Les étiquettes et les parfums étaient différents, mais le poison était, en dernière analyse, la même haine existentialiste de la civilisation européenne moderne. Et tous la partageaient avec Hannah Arendt, qui méprisait la vérité, et avec le mentor d’Angela Davis, Herbert Marcuse.

Le dénominateur commun de cette corruption culturelle est l’aversion pour la mémoire et la politique du président américain Franklin Roosevelt. C’est aux Etats-Unis mêmes, y compris parmi la génération comparable aux bo-bo au sein même du Parti démocrate, que ce lien s’est manifesté de la façon la plus évidente. Ce fait historique ne s’est nulle part montré plus clairement que dans la manifestation récente d’une tendance contraire : le retour du Parti démocrate à sa tradition rooseveltienne au cours de la campagne présidentielle de 2004 et par la suite, depuis l’élection du 2 novembre 2004.

Et aujourd’hui

On peut évaluer la portée de ce changement au regard de la haine que me vouent personnellement la Maison Blanche de George Bush et le bureau de Dick Cheney. A tel point que, faisant preuve d’une paranoïa aiguë, ils m’attribuent personnellement la responsabilité de tous les ennuis qui ont affligé le deuxième gouvernement Bush jusqu’à ce jour. Certes, dans le contexte actuel, mes propositions sont accueillies plus favorablement qu’il y a un an ; mais bien que mes politiques reflètent effectivement ma collaboration actuelle avec certains cercles officiels du Parti démocrate, les racines de ces politiques sont les mêmes qu’il y a un an et qu’au cours des décennies précédentes. Le changement essentiel qui effraye aujourd’hui la Maison Blanche, au point de manifester une telle furie à mon égard, c’est la tendance vers un changement de paradigmes culturels qui renverse les effets associés à la génération des soixante-huitards. Voilà la tendance grandissante qui terrifie l’administration Bush. C’est ce changement qui est reflété dans les résultats du référendum français de dimanche dernier.

Ce renversement récent apparaît clairement si l’on compare le rôle de mon mouvement de jeunes aux Etats-Unis avec certains développements en Europe même. Est, à cet égard, exemplaire la haine exprimée vis-à-vis de moi et de ce mouvement de jeunes, parmi les cercles qui, en France et ailleurs, prêtent une oreille complaisante aux rumeurs propagées par le gouvernement libéral-impérialiste du Premier ministre britannique Tony Blair, un va-t-en-guerre de type fabien et complice de Bush.

Parallèlement à l’effondrement de la bulle des « technologies de l’information » en 2000, on vit émerger aux Etats-Unis la possibilité de bâtir un mouvement de jeunes d’inspiration nouvelle ; ce ferment reflétait, parmi les jeunes gens, une qualité particulière d’opposition au legs culturel et au style de vie de la génération de leurs parents, les « baby boomers ». Ces jeunes adultes, notamment de la tranche d’âge des 18 à 25 ans, se sentaient comme jetés par la génération de leurs parents dans un monde « sans avenir ». Je n’étais pas le seul à avoir ce sentiment ; à peu près au même moment, certains cercles officiels aux Etats-Unis avaient réuni des éléments les amenant à une conclusion similaire.

Comme les indices culturels allant en ce sens étaient convaincants, je répondis à la demande d’un groupe de ces jeunes en acceptant de parrainer un nouveau mouvement répondant à leurs vœux. Ce serait aussi, comme il se devait, un mouvement d’études supérieures, dont les deux points de référence spécifiques étaient la dissertation de Carl Gauss de 1799, consacrée à ce qu’il nomma plus tard le théorème fondamental de l’algèbre, et le motet Jesu, meine Freude, de Jean-Sébastien Bach. Ces deux points de référence définissent ainsi un programme d’éducation axé sur la conjugaison de la science physique et de la culture classique, les deux éléments les plus essentiels pour étudier l’histoire en vue de permettre à un jeune adulte de trouver le sens de son existence.

L’accent initialement mis sur la dissertation de 1799 de Carl Gauss, afin d’introduire le jeune adulte à l’étude de la science moderne, impliquait de retracer l’histoire du développement européen de la science physique depuis la Grèce anti-sophiste et pré-artistotélicienne de Thalès, Pythagore et Platon, jusqu’à des exemples emblématiques comme Nicolas de Cues, Pacioli, Léonard de Vinci, Kepler, Fermat, Leibniz, l’Ecole polytechnique, Gauss, Dirichlet et Riemann. Cela voulait dire aborder l’étude de l’histoire du point de vue de l’histoire des idées, ces exemples de l’histoire des découvertes en science physique représentant le sens correct du terme « idée ».

Cela implique aussi d’étudier les idées comparables propres à la composition et à l’interprétation artistiques. Pour cela, l’emphase doit être mise sur des repères tels que le chant bel canto classique développé à Florence au XVème siècle, reposant sur la valeur naturelle et traditionnellement classique du do égal à 256 hertz, ou encore sur Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann et Brahms, des poètes et historiens comme Shakespeare, Lessing, Schiller, ainsi que sur l’histoire de la Constitution des Etats-Unis, depuis les Winthrop et les Mather, jusqu’à Franklin, Hamilton, John Quincy Adams, Lincoln et Franklin Roosevelt.

Cinq ans après ces débuts, le ferment intellectuel et l’enthousiasme avec lesquels ces jeunes hommes et femmes maîtrisent les principes classiques du chant en chorale feraient honte à la plupart des universités. Ils partagent une passion pour la découverte et la recherche de la vérité - à la fois en science, en art, en histoire et dans la vie politique actuelle - qui susciterait l’envie de toute université qui se respecte.

Le progrès accompli dans ce programme m’a fait découvrir quelque chose de primordial pour comprendre ces jeunes adultes en tant qu’individus. Il faut reconnaître qu’ils représentent un échantillon scientifiquement crucial, bien qu’encore restreint, des capacités potentielles de la nouvelle génération de jeunes adultes qui vont suivre leur exemple. Ils nous fournissent le point de départ pour comprendre ce qui s’est passé en France le week-end dernier. Ils nous donnent un aperçu de ce qui est à la fois nécessaire et possible pour le monde dans son ensemble.

L’événement historique de dimanche

Le rôle que le Parti démocrate doit tenir dans les missions actuelles est clairement un écho du Parti démocrate rassemblé autour du président Franklin Roosevelt. Ce qui est ancré au plus profond de la culture et de l’expérience de la population américaine, de ses immigrés et ses institutions nationales depuis plus de deux siècles, refait surface aujourd’hui. La génération des « bo-bo » en France, aux Etats-Unis et ailleurs, est en passe de se discréditer si lourdement que cela ouvre la possibilité d’un « changement de paradigmes culturels à rebours », d’un retour de la civilisation européenne à cet optimisme que suscita la défaite d’Hitler grâce au rôle décisif des Etats-Unis au cours de la dernière phase de ce que la plupart des gens appellent la « Deuxième Guerre mondiale ».

Ironiquement, la précondition de ce « changement de paradigmes culturels à rebours » était déjà implicite dans l’illusion, si répandue à l’époque, selon laquelle la chute de l’Union soviétique inaugurerait l’entrée du monde dans une nouvelle ère ; cela aurait dû nous rappeler la funeste proclamation par Adolf Hitler d’un « Reich millénaire ». Dans le cas présent, ces plagiaires d’Hitler d’après 1989 parlaient, à l’instar du fanatique néo-conservateur Francis Fukuyama, de la « fin de l’histoire », terme destiné à traduire la notion brutale de la « nature humaine » d’un Hobbes, celle d’une caricature américaine de l’ancien Empire romain, un empire régnant sur « une société mondiale globalisée », comme on dit maintenant.

Près de seize ans ont passé depuis la fameuse « chute du mur de Berlin » donnant lieu à l’illusion de la « fin de l’histoire ». A cette époque, un « Bo-Bo » né après mai 1945 avait 44 ans ou moins, mais il en a 60 aujourd’hui. Le trop-plein de confiance ayant marqué la présidence de George Bush père s’est émoussé, se transformant en peur, sous l’impulsion du simple pourrissement de plus en plus rapide des économies en Europe et dans les Amériques, notamment depuis l’effondrement de la bulle des « technologies de l’information » en 2000 et la défaite de la candidature présidentielle d’Al Gore cette même année.

Par conséquent...

Les « bo-bo » d’aujourd’hui ont battu en retraite, se retranchant derrière les murs délabrés de leur obsession de consommateurs vieillissants surendettés, résolus à défendre leur « style de vie » de plus en plus illusoire, espérant que la mort viendra silencieusement, à l’improviste, sans préavis ni douleur. Aux protestations de la génération des jeunes adultes qui réclament un avenir digne de ce nom, ils demeurent inaccessibles. « Pour qui vous prenez-vous ? », objectent les bo-bo ; « Ce monde est à nous et doit rester conforme au style de vie que nous nous sommes choisi. » Lorsque disparut la dernière illusion, avec l’éclatement de la bulle financière des technologies de l’information de Greenspan, au printemps 2000, la crédibilité déjà bien entamée des bo-bo auprès de la jeune génération commença à s’effondrer.

L’écart grandissant entre la génération des « baby boomers » et la génération suivante comporte deux aspects principaux. D’abord, il y a les baby boomers qui gagnent relativement bien, ceux qui appartiennent à la tranche en diminution de la population en haut de l’échelle des salaires ou, sinon, qui s’accrochent au style de vie en rapport avec cette tranche de revenus. En même temps, l’écart se creuse entre la génération des jeunes adultes et le style de vie dominant parmi les moins pauvres de la génération plus ancienne.

Deuxièmement, les jeunes adultes, dont l’hostilité à l’idéologie des baby boomers est modérée par leur optimisme quant à la possibilité de bâtir un avenir meilleur pour l’humanité, tendent à trouver une convergence d’intérêts avec les catégories moins favorisées. Le jeune adulte voit chez certains d’entre eux, comme les travailleurs qualifiés de la machine-outil, l’incarnation d’un mélange d’optimisme culturel personnel persistant et de conscience du grand péril imminent, au cas où devaient se poursuivre les tendances actuelles de la classe supérieure de ce que la France appelle ses bo-bo.

Les rapports sur le vote du week-end dernier en France à propos de la Constitution européenne mettent en lumière quelques exceptions apparentes qui confirment la règle. Sinon, de manière générale, les grandes tendances sont claires. On voit s’exprimer, avant tout, l’effet d’un « changement de paradigmes culturels à rebours », comme l’expriment les jeunes adultes, qui a trouvé un écho chez les couches plus vastes de la population rejetant les illusions utopiennes usées de la « globalisation ». Le comportement des électeurs français correspond à ce modèle connu de « sociologie ».

En dehors de la France, nous trouvons un phénomène comparable dans l’éclatement apparemment irréversible de la « coalition rouge-verte » au gouvernement en Allemagne. Dans les deux cas, et ailleurs aussi, notamment aux Etats-Unis, la tendance grandissante est à la formation de nouvelles coalitions politiques basées sur la promotion traditionnelle du bien-être général, contre les courants ultra-libéraux. Ceci laisse augurer un réalignement difficile mais inévitable des formations électorales et politiques dans une bonne partie du monde, principalement dans les Amériques et en Europe. Il est également clair que ces formations s’appuieront avant tout sur le rôle des « mouvements de jeunes » tendant à faire écho au rôle spécifique joué par le mouvement des jeunes larouchistes. Ces mouvements de jeunes auront un rôle fondamental à tenir en dirigeant le changement contre la décadence des « soixante-huitards » des deux côtés de l’Atlantique.