Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Leadership

mardi 28 juin 2005

Le samedi 18 juin, à une heure du matin, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker constatait à Bruxelles que nous sommes plongés « dans une crise bien plus profonde que certains n’en ont conscience ». « J’ai eu honte », a-t-il dit ensuite, en évoquant la somme d’égoïsmes qu’est devenue l’Europe et en imputant justement l’échec du sommet à Tony Blair. M. Juncker était un partisan du « oui » à la Constitution européenne ; sa bonne volonté et sa lucidité sont preuve que très vite, pour continuer à exister, l’Europe a besoin d’un projet mobilisateur qui rassemble par delà le « oui » et le « non ».

Car aujourd’hui, comme le déclare justement Henri Emmanuelli, « on vole leur vote aux Français ». Répondre à ce qu’ils ont manifesté en votant, c’est, pour la France, être capable de redonner à l’Europe un projet, une ambition, un devenir.

L’exemple de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) montre que, oui, on peut, on doit faire les choses autrement qu’on ne l’a fait depuis trente ans, c’est-à-dire depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. On savait à l’époque que les secteurs du charbon et de l’acier étaient menacés, et on les a gérés avec des politiques volontaristes, d’une manière anti-libérale : quotas fixés par les autorités publiques après négociation avec les gouvernements nationaux, décisions prises en commun de fermer certains sites, politiques de reconversion, de formation, d’intégration. C’est à cet esprit qu’il faut revenir, dans les conditions d’aujourd’hui.

Cela suppose, d’abord, qu’on se donne les moyens de le faire. L’Europe a besoin d’un projet et d’un gouvernement économique qui en prenne la responsabilité et s’en donne les instruments financiers. En clair, il faut changer le statut de la Banque centrale européenne, lui attribuer pour impératif le plein emploi et la croissance, la mettre sous contrôle des citoyens et non d’experts financiers de type Trichet et, avec la Banque européenne d’investissements, établir un centre d’émission de crédits productifs publics, pour financer les grands travaux par-delà l’impôt et l’emprunt.

Si l’on ne se mobilise pas dans cette voie, tout de suite, nous allons vers un attelage Merkel-Blair-Sarkozy, ultra-libéral en économie et ultra-sécuritaire en politique.

Ceux qui n’en veulent pas doivent s’unir, par-delà les affiliations partisanes. Il ne s’agit pas d’une fatalité. Il s’agit, comme aux Etats-Unis, de bloquer une machine infernale. Mais par cela, comme Mendès-France l’exprimait dans sa République moderne, « l’homme d’Etat doit faire confiance au peuple. Alors, celui-ci prend conscience que les grandes décisions lui appartiennent vraiment et il sait se hisser au niveau de son devoir historique ».