Neuilly : Rapport sur la France d’en haut

vendredi 25 mars 2005

Dimanche 13 mars à la mairie de Neuilly-sur-Seine, Nicolas Sarkozy n’a pas attendu la fin des résultats pour adresser à la salle acquise à sa cause ses remerciements émus. Après avoir salué les invités et serré quelques pognes, il partait, bras dessus avec Cécilia, bras dessous avec Christian Clavier. A avoir voulu le rattraper pour le féliciter de sa victoire, je me retrouvais loin des petits fours et du champagne, c’est donc au coin d’un bouquet d’ornement que je tombai nez à nez avec le responsable du bureau UMP d’une ville riche des Hauts-de-Seine :

 Ah quelle campagne ! On a bien mérité un p’tit verre... Mais, ça serait pas vous Frédéric Bayle ? ( je hoche la tête)... Vous avez une bonne tête, exactement comme je l’imaginais. Mais vous n’avez pas de verre ! Attendez, j’vais vous en trouver un. Alors vous en dites quoi ?

 Tout ça me fait penser au Masque de la mort rouge, d’Edgar Allan Poe, vous connaissez ?

 Vous êtes un littéraire hein, vous êtes vachement littéraire dans votre mouvement... Bon, alors vous avez fait combien de voix ?

 171 ! dont 81 rien qu’à Neuilly !

 Tenez prenez cette coupe... Dites, vous n’avez pas été tendre avec Nicolas quand même... Vous êtes drôle, mais vous n’y êtes pas allé de main morte.

 N’exagérez rien, on n’a pas été si méchants, et puis je vais vous faire une confidence : M. Sarkozy, je pense pas que l’histoire le retiendra et je vais tout faire pour que cela soit le cas.

 En tout cas, vous lui avez fait de la pub, on n’a jamais autant parlé de lui ! Bon enfin, pour cette fois je crois que ça ira, mais vous devriez vous méfier quand même, vous auriez pu avoir des ennuis avec la justice...

 Bô, j’ose penser que M. Sarkozy est plus malin que M. Perben.

 Je ne devrais pas rester avec vous, j’vais avoir des problèmes, regardez, y en a déjà qui me font les yeux noirs, enfin... Vous savez, vous avez une bonne tête, vous perdez votre temps avec Cheminade, vous devriez rejoindre l’UMP...

 Pourquoi pas les socialistes tant que vous y êtes !

 Bon, c’est pas tout ça mais j’ai soif, au revoir !

Dans le Masque de la mort rouge, Poe met en scène un prince et sa cour retranchés dans un château à festoyer pour tenter d’oublier la peste qui décime le royaume. C’est une horloge, à l’écart dans une chambre, qui, chaque heure, sonne un peu plus le glas du fantasme auquel ces gens s’accrochent derrière le sourire de leur masque vénitien.

Dans cette campagne, nous avons joué à l’horloge, ou plutôt à la boîte à vacarme avec des aiguilles tordues qui essaye de redonner, à grand renfort de paradoxes, le sens du combat à mener aujourd’hui. Pendant que nous sonnions aux portes des Putéoliens et des Neuilléens, Sarkozy jouait cartes sur table : « Les Français préfèrent le discours de la cohérence à celui de la vérité », ou encore « vous voyez, ce dont je suis fier, c’est que lorsque la droite incarne ses vraies valeurs, le Front national recule et certains électeurs sont ramenés à la raison (...) ». Vous appelez ça du sophisme ? Gagné, et ce sera notre futur président, si les Français copient la mode de l’ouest parisien. Car il est fort, le bougre ! Endormir le patient en sautillant partout : ça tient de l’art du charmeur de serpent, ce Nicolas, quel talent !

Dans l’un de ses derniers textes, Les cinquante prochaines années, LaRouche dit que ceux qui ne comprennent pas l’histoire s’en prennent aux dirigeants alors que c’est la culture elle-même qui est à l’origine des catastrophes. Dans la crise que nous traversons, si l’Europe ne se débarrasse pas de l’hypocrisie vénitienne des systèmes parlementaires, les compromis des hommes de bonnes intentions mèneront irrésistiblement ce genre de « joueur de flûte » directement sur le trône royal. Exemple de cela, les socialistes qui, dans une cohue de « non » ou de « oui » à la Constitution européenne, ont brillé par leur absence. Ce n’est hélas pas un Henri Emmanuelli, inspiré par nos Sarkopages qui aurait pu donner de la carrure à une non-candidate et égratigner Schwarzenegger le Petit. Pour les autres, les « un peu plus de social par là », les « un peu de piste cyclable par ici », bref le « penser global agir local » qui colle à la semelle des bobos a eu raison de toute bataille d’idées. Sarkozy, lui, posait le problème : « A 10 minutes d’ici sur les quais de la Seine, à Gennevilliers (c’est là où j’habite, avec les militants du LYM), il y a des jeunes qui n’ont pas d’avenir ! Que va-t-on faire pour eux ? Moi je veux une société où chacun ait sa chance... » La chance, ça n’existe pas dans le monde de Nicolas, pas plus que pour Alex, mon suppléant, la possibilité d’intervenir dans son meeting. ça reste notre seul regret, tant il est vrai que notre rencontre avec Perben lors de la campagne lyonnaise lui a laissé un souvenir impérissable. Peut-être Nicolas aurait-il apprécié, lui, l’humour de nos chansons et de notre théâtre de rue ? Peut-être était-ce lui derrière les vitres fumées de sa Jaguar qui observait notre chemin de croix de Lorraine...

Ne sois pas triste, Nicolas, la campagne pour 2007 ne fait que commencer, nous aurons l’occasion de nous rencontrer.

Frédéric Bayle