Le mouvement de jeunes

Les « Jeunes Populaires » : des « valeurs » à donner des frissons dans le dos

vendredi 16 septembre 2005

On apercevait parfois « Cap sur nos valeurs » sur des écrans géants, pendant les pauses... les pauses du match France-îles Féroé. Lyonnais sur les chaises, Marseillais sur les tables, difficile de dire qui criait le plus fort. Trois buts pour la France ! Tous, enivrés, font claquer leurs couverts sur la table à n’en plus finir. Plus tard, entre les flashs des stroboscopes, on apercevra la Croix Rouge emmenant un jeune proche du coma éthylique. Quelques heures auparavant, c’était sur les airs tranquilles de Jango Reinhardt qu’on traînait sur la plage privée en compagnie de célébrités en peignoirs blancs, entre copains, glaces offertes à la main.

C’était l’université d’été des jeunes de l’UMP. Le premier week-end de septembre à La Baule, à l’université d’été des « Jeunesses Populaires », il ne fut question ni d’ouragan, ni de menaces contre l’Iran, ni de catastrophes aériennes. A Katrina on préféra Nicolas - Nicolas Sarkozy, nouvelle sève, sang neuf du mouvement.

Tout s’est déroulé sur un fond de constat du « déclin » de la France... Entre ceux qui reprennent explicitement ce thème cher à la droite de la droite et ceux qui le font en filigrane, on joue la petite musique de 1940. Mais soyons rassurés, les sarkozystes veulent donner le beau rôle à la jeunesse. Roger Karoutchi (sénateur UMP, Hauts-de-Seine), après avoir flatté les jeunes (« Vous êtes jeunes, donc beaux »), parlait d’eux comme « la nouvelle France, qui n’a pas peur, qui ne veut pas du déclin ». François Fillon dit voir dans les jeunes « une nouvelle génération qui souscrit et se bat avec les règles du marché », qui fera preuve « d’humilité et de travail ». Manuel Aeschlimann, conseiller de Sarkozy sur l’opinion publique, vante le fait que « les électeurs sont de moins en moins idéologues et votent pour leur intérêt, ce qui est une chance pour un parti comme le nôtre avec un président pragmatique comme Nicolas Sarkozy ». Ce vote « d’intérêt personnel » reflète l’état d’esprit de combat darwinien pour la survie qui se généralise dans la population, situation typique de cette période d’effondrement du système financier adopté à la mort de Bretton Woods. Mais, pour Aeschlimann, ça n’est pas un problème, mais plutôt une chance à exploiter ! Ainsi notre génération se doit-elle d’être le fioul qui leur manque pour faire élire des hommes qui créeront les conditions de l’avènement en France d’un ordre libéral à l’anglo-saxonne.

Une France qui gagne « à la sueur de son front »

« Les forces vives de la France ne sont pas encouragées, mais entravées par des charges sociales destinées à entretenir des gens qui ne sont pas incités à se réinsérer dans la vie active. C’est la spirale de l’assistanat, déclenchée par une gauche qui a fait prévaloir les droits sur les devoirs.

« Revenons aux valeurs du travail (mérite), de la famille, et de la "France qui gagne", par un système d’égalité des chances, qui donne à chacun possibilité égale de tirer son épingle du jeu et de trouver sa place dans la société. Ainsi, nul ne pourra se plaindre de rester sur le carreau, puisque ce ne serait que le juste retour de bâton de son refus de jouer le jeu. « 
Honnête, non ? Même salutaire.

« Ces "valeurs" censées relever la France sont pourtant étriquées : le projet national au service de l’humanité se cantonne aux frontières françaises, la formation du citoyen au service de la nation est réduite à la cellule familiale et associative, la transformation de la nature et de la société par l’activité humaine n’est plus qu’un travail-effort, qui se mesure à la "sueur du front" » (dixit Sarkozy).

« Valeurs » immédiatement bafouées par les activités que l’on propose aux « jeunes pops » : les adeptes du travail sont invités à se prélasser sur une plage privée où glaces et boissons sont offertes gracieusement. Les amoureux des valeurs familiales passent une soirée dansante très arrosée à la recherche d’un partenaire pour la nuit. Quand un jeune, qui s’exclame « Oh le beau c.. ! » chaque fois qu’il aperçoit une silhouette féminine, vous explique qu’il a rejoint l’UMP pour « se placer », comment savoir de quel placement il parle ?

Ces « valeurs » ne sont en outre ni morales, ni universelles. Devant l’hystérie des participants face à un match de foot ou les joutes entre tablées durant le repas pour savoir qui crie le plus fort, on s’aperçoit que la morale à laquelle aspire l’UMP cohabite totalement avec une culture du clan, de la compétition, de la force physique et de l’affirmation de soi toute nietzschéenne, cohérente avec l’absurdité brutale dans laquelle les néo-conservateurs américains tentent de faire basculer le monde. « La France qui gagne » est une France qui gagne contre les autres, dans un monde régi par une loi du plus fort acceptée comme inéluctable. Le « Français qui gagne » n’est plus qu’un « surhomme » déguisé en bon père de famille, fantasme doublement rassurant, car protecteur et présentable.

Devant un tel dualisme, on ne peut s’empêcher de penser à l’époque sombre où, soumis à un ordre bestial, les Français voulurent purifier par des valeurs traditionnelles une France « qui avait trop joui ».

Frissons

Frissons, une jeune nous avoua en avoir eus pendant le discours de Nicolas Sarkozy. L’homme qui dit s’être lancé en politique après y avoir découvert les « émotions collectives », fascine, à gauche comme à droite. C’est l’homme des démonstrations de force, des poignées de main décomplexées, des grands débats assistés par l’analyse transactionnelle, des couvertures mystificatrices de première page. Mais c’est aussi la victime, l’homme qui sait endurer des attaques ignobles en silence et qui a la bonté, la générosité même, de laisser Nicolas Dupont-Aignan, partisan du « non » au référendum, s ’exprimer à l’université d’été, et même - quel homme charitable ! - de demander à ce que l’UMP soutienne Jacques Chirac jusqu’à la fin de son mandat, avant d’amorcer les ruptures.

Il fascine, mais seul, cet homme n’est rien. Une machine le pousse, tout comme elle pousse Angela Merkel (CDU, Allemagne) et Tony Blair, tout comme elle pousse l’agenda « néo-conservateur » aux Etats-Unis. Il n’est pas anodin que dans un atelier du week-end, trois intervenants sur cinq se soient identifiés comme néo-conservateurs, y compris l’auteur du livre « Le néo-conservatisme est un humanisme ».Ces néo-conservateurs sont les hommes de main des temps de crise d’une oligarchie prête à tout pour empêcher un changement de système qui donnerait perdants les réseaux de la grande finance, et gagnant le développement des capacités productives et créatrices des individus présents et à venir.

Mais sous le discours de la réforme, bien mystificateur, quelles sont les mesures proposées par Sarkozy et les siens ? Des mesurettes à peine plus libérales que celles déjà très libérales proposées par les autres composantes de l’UMP et même par la gauche. Chômage élevé ? Obligeons les chômeurs à accepter un emploi quel qu’il soit, après plusieurs refus, preuve de lâcheté. Précarité des salariés ? Finissons-en avec la division CDD-CDI et créons un contrat unique, ce qui libérera les entreprises d’un carcan trop rigide. Faible pouvoir d’achat ? Permettons aux Français de travailler plus pour gagner plus et ne remplaçons pas plus d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Difficulté d’acheter un logement ? Les banques vont prêter à ceux qui en ont vraiment besoin et créer en France les conditions d’un boom immobilier et hypothécaire, comme aux Etats-Unis. Les universités françaises sont en bas de classement ? Permettons-leur de choisir leur enseignement et d’être financées par des fonds privés.

Il n’y a dans ces mesures rien de grandiose ; ce qui emballe, c’est l’émotion, l’impression qui retentit, et c’est bien là le danger. Car derrière ces mesures, la priorité est de rembourser la dette du pays, de résorber les déficits, et non de garantir le bien-être de la population par une politique d’investissements productifs et de création d’emplois qualifiés. C’est le type de politique qui a contribué à l’avènement du nazisme dans le sillon de la grande dépression de 1929/30. C’était une politique insoutenable qui n’aurait jamais tenu sans politique « sécuritaire », de terreur, de guerre, de dictature, cocktail explicite d’un Milton Friedman, grand sorcier dans le Vaudou du libre-échangisme.

Ces politiques ne peuvent être imposées qu’à des peuples en mal de critères de jugement, ceux qui, comme ces « jeunes pops », auront été nourris et arrosés aux pires sources de la culture américaine si fortement appréciée par Nicolas Sarkozy.

Elodie Viennot et Laurent Simon