Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Mutations

mardi 26 septembre 2000

En période de crise, de soudaines mutations marquent la chute des idées reçues et des certitudes qui paraissaient peu avant inébranlables.

Rappelez-vous : selon la presse et les sondages, avant la rentrée, Chirac et Jospin atteignaient des sommets de popularité, Laurent Fabius parlait d’une France heureuse et « plus prospère qu’elle ne l’a été depuis trente ans », la baisse progressive de l’euro était vue comme un phénomène positif car elle favorisait nos exportations et la hausse des prix du pétrole n’était pas prise en compte par les experts. Le Fonds monétaire international « brossait le tableau optimiste d’une économie mondiale enregistrant sa plus forte croissance depuis dix ans ». L’Europe devait prendre le relais des Etats-Unis. La reprise était à l’ordre du jour.

Puis, en quelques semaines, le même Lionel Jospin qui affichait sa belle assurance à l’université d’été du Parti socialiste, le 3 septembre, tombe de dix-huit points dans les sondages, Jacques Chirac perd dix points puis subit la vengeance posthume de Méry, Laurent Fabius se trouve de toutes parts mis en cause, l’euro sombre, les prix du pétrole en s’envolant provoquent un mouvement de protestation sociale à travers toute l’Europe et l’inflation prétenduement contrôlée par le néo-libéralisme revient brutalement sur la scène.

Pour comprendre, il faut regarder au-delà des ombres qui se dessinent sur les murs de la caverne. La réalité est que le système monétaire et financier international est en train de s’effondrer sous nos yeux. Larry Summers, le secrétaire d’Etat américain au Trésor, qui hier ricanait en voyant tomber l’euro, a dû brutalement changer de politique pour le soutenir. Pourquoi ? Parce que si le système-dollar vampirise la zone euro à son profit, en le faisant il provoque un contre-choc dans les sociétés de la nouvelle économie américaine, victimes du « dollar fort » nécessaire à ce même système ! Preuve en a été la chute d’Intel, numéro un mondial des microprocesseurs, de 23% en une seule journée boursière.

Le système mondial est aujourd’hui comme un jongleur qui ferait tourner trois balles en l’air, appelées « euro », « pétrole » et « nouvelle économie ». Au moindre souffle, s’il en laisse échapper une seule, c’est tout le jeu qui tombe. Un jeu meurtrier pour les hommes.

Nous devons, en France, faire vite, c’est-à-dire sortir de l’univers bureaucratique, qui réduit la réalité à des dossiers, et prendre le taureau politique par les cornes, en définissant les conditions d’une alternative au système actuel et en se battant pour elle sur la scène mondiale. Tout le reste, toute gestion de la crise, aussi fine soit-elle, nous mène droit dans le mur.

Ce changement, cette mutation d’attitude personnelle répondant aux mutations de la crise, relevant le défi, ne concerne pas seulement nos dirigeants. Elle concerne chacun d’entre nous  : cela s’appelle devenir citoyen et pas demeurer sujet.