Les analyses de Jacques Cheminade

CPE : Arrêtons les bradeurs financiers

mardi 7 février 2006, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Après le contrat nouvelle embauche (CNE), pour les entreprises de moins de vingt-et-un salariés, voici le contrat première embauche (CPE), pour les jeunes de moins de 26 ans : dans les deux cas, ces nouveaux contrats de cinq ans permettent de licencier pendant deux ans, du jour au lendemain, et sans motif. Le scandale est que cette façon moderne de pouvoir mettre à la porte, qui n’a pas été discutée avec les syndicats et à peine avec les ministres concernés, puisse être présentée par Dominique de Villepin et Thierry Breton comme un progrès.

Il s’agit en réalité d’une adaptation du droit du travail à une réalité inique, qui constitue un inadmissible recul social. Aujourd’hui, en effet, le taux de chômage des moins de 30 ans est proche de 20 % et atteint plus du double pour ceux qui sont sans qualification ou habitent en banlieue. Et l’essentiel des embauches (70 %) s’effectue en CDD ou en intérim, après une suite de stages le plus souvent non rémunérés. Le CPE, qui formalise les choses en y ajoutant un peu d’assouplissant, serait, selon le Premier ministre, un compromis entre des exigences complémentaires : « La liberté et la solidarité, le dynamisme et le progrès social, l’innovation et la fidélité à la tradition française ». Disons que c’est du pipeau, ou plutôt du Sarko.

Le contenu relève du libéralisme financier le plus plat et le coup de brushing technocratique masque une concession éhontée faite aux bradeurs financiers, faute d’avoir le courage politique de les combattre.

La question ne peut être analysée en elle-même, il faut la placer dans le contexte d’ensemble défini par la soumission du patronat officiel et du gouvernement à la mondialisation financière anglo-américaine.

Le CPE

Selon ses défenseurs (parmi lesquels le sénateur « social-blairiste » Jean-Marie Bockel), le CPE « offre des contreparties modestes mais réelles aux jeunes salariés : préavis, droit à la formation ouvert dès la fin du premier mois, indemnisation chômage dès le quatrième mois (au lieu de six actuellement) avec une allocation forfaitaire garantie, indemnité de rupture (deux mois de salaire), accès au crédit bancaire, bénéfice du locapass facilitant théoriquement l’accès au logement ». Les stages, ajoute Dominique de Villepin, les périodes de formation en alternance et les CDD effectués dans l’entreprise seront à valoir sur les deux ans de période d’essai. Ainsi, conclut le Premier ministre, « au total, chaque jeune qui a aujourd’hui une difficulté à rentrer sur le marché du travail pourra mettre moins de deux ans avant d’accéder à un emploi stable, au lieu des huit à onze actuels ».

C’est un pot pourri de mensonges et de demi-vérités, un habillage qui cherche à justifier l’idéologie inspirant la mesure. D’abord, il n’est pas vrai que les jeunes mettent « huit à onze ans à trouver un emploi stable ». Les vrais chiffres sur le pourcentage d’emplois précaires sont de 90 % à 18 ans, 25 % à 25 ans et 10 % à 33 ans, plus bien entendu le chômage réel qui affecte 17 % de la population active. C’est terrible, mais moins que l’épouvantail agité pour faire accepter une mesure qui, de toutes façons, est elle-même davantage créatrice d’effets d’aubaine que de recrutements induits, car les entreprises n’ont pas attendu pour recourir massivement à l’emploi précaire. Pire encore, tout jeune ne trouvera que peu d’emplois après deux ans de période d’essai. Les patrons « modernes » licencieront en effet avant ce délai. Comme ils se verront exonérés de toute charge sociale pendant trois ans s’ils embauchent un jeune au chômage depuis au moins six mois, ils s’intéresseront en priorité à ceux-là. Ce qui revient donc à créer une sorte de stage obligatoire de six mois aux Assedic, entre deux CPE avortés (ou un CPE et un CNE dans les petites entreprises) avant de devenir (ou redevenir) un candidat intéressant. Vous avez dit parcours sécurisé ? En fait, la logique de la mesure est comme dans la dictature d’Orwell : consolidation égale précarisation, moins de freins au licenciement égale moins de réticences à l’embauche et exonération totale des cotisations patronales égale emploi. Tout serait pour le mieux dans la meilleure des lois de la jungle.

Lois de la jungle ? Dominique de Villepin envisage bel et bien « une réforme globale du contrat de travail ». Laurence Parisot, présidente du Medef, assure que « la bonne formule serait plutôt d’étendre le CNE à toutes les entreprises ». Bingo, c’est le troisième étage de la fusée sociale Villepin : le « contrat unique » de travail, qui élargirait la période d’essai de deux ans à l’ensemble des salariés quels que soient leur âge et la taille de l’entreprise ! Dominique de Villepin et ses conseillers affirment que ce n’est pas d’actualité, mais dans son interview au Nouvel Observateur du 26 janvier, le Premier ministre a admis que ce contrat « était sur la table ». Jean-Louis Borloo l’a également dit lors de ses voeux à la presse, le 18 janvier. Nouvelle définition du mot « actualité ».

En ce qui concerne les « contreparties modestes » pour les jeune salariés, revenons-y. Villepin assure qu’un jeune n’aura plus, avec son locapass, de difficultés pour se loger. Cependant, celui-ci n’assure qu’un étalement du paiement de la caution pour prendre un logement en location. Et René Pallincourt, président de la Fédération nationale des agents immobiliers, nous dit bien que « notre compagnie d’assurances, la CGIA, qui garantit les loyers impayés, refuse de prendre des dossiers de locataires du CNE, ou à l’avenir du CPE, s’ils ne disposent pas d’une bonne caution ». Ce n’est ni M. de Villepin, ni M. Sarkozy de Nagy Bocsa, qui la fourniront au jeune intéressé ! Quant au crédit bancaire, soulignons que les banques ne sont pas tenues de motiver leur éventuel refus. L’accès au crédit pour les salariés en CPE sera donc, en fait, à la discrétion de son banquier. L’on pourrait continuer ainsi sur chacune des rustines apposées par le gouvernement sur un « tout » injuste.

Souligons simplement pour finir que la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 12 janvier un arrêt qui bouleverse la jurisprudence sur les licenciements économiques : elle a estimé qu’un employeur pouvait licencier pour prévenir des difficultés futures et améliorer sa productivité. Le jeune titulaire du CPE qui aura franchi la barre des deux ans passera donc d’un CDD précaire à un CDI précarisé par la justice.

Le contexte

Côté Medef, le contexte a été bien défini par Laurence Parisot, que même Le Figaro caricature, le 30 août 2005 : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Michel-Edouard Leclerc appelle, lui, à une thérapie de choc pour la France, et l’on sait les effets que de telles « thérapies » ont eus dans les pays de l’Est ou en Amérique du sud. Cela n’a rien à voir avec le CPE français ? Faux, comme dirait M. de Villepin, c’est exactement la même logique ! Il ne s’agit pas seulement d’une déclaration de guerre - en dentelles, avec M. de Villepin, en armure médiévale, avec M. Sarkozy - contre les nouvelles générations, mais d’une guerre tous azimuts !

Preuve en est que la machine à éjecter les chômeurs tourne à plein régime et que l’on améliore les statistiques en faisant passer des chômeurs en fin de droits (ASS), indemnisés avec l’argent de l’Etat, en érémistes (il y en a désormais plus d’1,2 million) indemnisés par les départements qui, faute de ressources, s’efforcent eux aussi de les éjecter. L’on estime ainsi qu’en six mois, environ 120 000 chômeurs ont été radiés de l’ANPE après des contrôles renforcés.

La réalité est donc qu’avec les nouveaux CNE et CPE, et pire encore s’il y avait un contrat unique, les salariés seront ballotés d’un contrat à l’autre, confinés, comme le dit justement la CGT, « dans une rotation incessante entre périodes d’emploi, périodes de non emploi et périodes de sous-emploi ». Le CDI est donc bien dans l’oeil du cyclone, car, comme le dirait M. Bockel, le saint Jean bouche d’or de son milieu, « il est vrai que dans une économie mondialisée, d’échanges accélérés, l’adaptation et la souplesse sont des principes favorables au développement de l’emploi ». On serait tenté d’ajouter, inspiré par M. Poutine, qu’on ira en trouver « jusque dans les chiottes »

Lâcheté politique

Avec la gauche et l’extrême-gauche qui s’opposent au CPE, nous ne pouvons donc qu’être d’accord sur la critique. Cependant, la gauche ne propose que d’autres sparadrap qui en font un Villepin bis ou ter, et ajoutent à l’hypocrisie ambiante. Suivant Jean-Louis Borloo qui parle d’expértimenter un « contrat de transition professionnelle », François Hollande propose un « contrat de sécurité formation », la formation étant financées par l’impôt, Dominique Strauss-Kahn évoque une « garantie permanente d’activité » et Laurent Fabius, un « contrat sécurité-insertion ». Chacun y va de sa formule socialo-techno, sans rien remettre en cause de l’essentiel.

L’extrême-gauche, elle, récite ses catéchismes politiques sans la moindre idée de ce que pourrait être l’articulation d’une politique intérieure et d’une politique étrangère, et demeure toujours attachée à une logique de rapports de force, un darwinisme social à l’envers.

Le vrai problème, celui que je développerai dans ma campagne présidentielle, est qu’il ne peut y avoir d’emploi sans croissance de l’économie physique. Pour que cette croissance puisse avoir lieu, il faut sortir de la mondialisation financière et, par un projet mobilisateur, redonner le goût du futur et l’esprit citoyen de combat. Oui, l’on peut envisager chez nous un contrat formation et recherche d’emploi, ou un contrat d’autonomie suivant l’idée développée par Jean-Baptiste de Foucauld, par lequel la collectivité publique prendrait la responsabilité d’être l’employeur en dernier ressort de tous les citoyens. Cependant, l’enjeu est mondial : tant que nous n’avons pas fait éliminer ceux qui imposent leur tyrannie à Washington et au monde, tant que nous n’aurons pas écarté l’oligarchie financière du pouvoir par la banqueroute organisée de ses capitaux fictifs, la précarisation restera la « marque de la bête » apposée par l’ordre dominant. Mon objectif est d’être le catalyseur des forces qui la combattront, en leur donnant un horizon qui rassemble, sans béquilles hypocrites ni rêveries complaisantes. C’est un nouveau type de fascisme qui est à nos portes, il faut les leur claquer au nez.