Les analyses de Jacques Cheminade

PME-PMI : des sparadraps ne peuvent remplacer un projet

mardi 7 mars 2006, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Renaud Dutreil lance en ce début mars une politique visant à accélérer la croissance des PME dont il est supposé être le ministre. Quelles que soient sa bonne volonté et l’utilité ponctuelle de certaines mesures prises, l’initiative sera cependant vouée à l’échec tant que l’Europe et la France n’auront pas de réelle stratégie industrielle et que les grands programmes européens seront mis à sec par les « économies » qu’impose la dictature financière du court terme. C’est un cadre économique général complètement différent de l’actuel qui est indispensable si l’on veut réellement promouvoir des entreprises qui représentent plus de deux tiers de l’emploi et plus de 60 % de la contribution au Produit intérieur brut de notre pays. De notre point de vue, il est extrêmement urgent de le faire, car contrairement aux grands groupes dont le capital est largement contrôlé par les fonds anglo-saxons et dont le chiffre d’affaires français est désormais marginal, les PME-PMI sont le socle vivant de notre économie nationale.

Les sparadraps de M. Dutreil

Que propose M. Dutreil à des PME-PMI qui souffrent de la « concurrence libre et non faussée » et qui sont en nombre trop faible ? Non pas une protection et une aide à leur décollage dignes de ce nom, mais diverses mesures au cas par cas.

Il annonce d’abord la mise en route de cinq programmes « pour lever les obstacles à la croissance » consacrant aux PME-PMI 20 millions d’euros chaque année pendant cinq ans. L’objectif est de doubler le nombre d’entreprises de plus de 250 salariés pour atteindre 10 000. Pour surmonter l’obstacle du financement, auquel se heurteraient actuellement quelque 16 000 entreprises, il entend lever 2 milliards d’euros sur les marchés financiers, comme l’a annoncé le chef de l’Etat, en faveur de projets innovants. Dans le cadre d’un autre programme, 2000 PME-PMI vont recevoir le label « Gazelles » : elles auront accès à des « spécialistes de haut niveau » qui les aideront à « accélérer leur croissance ». En fait, ce seront 50 grandes entreprises (restant à identifier) qui pourraient faire émerger des PME grâce à des idées qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas exploiter elles-mêmes... Quelque 1000 labels « Génération innovation », ouvrant droit à une formation et à une assistance à la propriété industrielle, seront attribués. Les premiers brevets seront gratuits pour 500 entreprises et une assurance protection de la propriété industrielle sera mise en place. L’on créera 1000 groupements de PME à l’exportation car aujourd’hui seules 100 000 PME exportent, dont la moitié de façon occasionnelle.

Enfin, le ministre entend favoriser « la croissance externe et la transmission ». Il s’exclame : « Ce qui se fait aujourd’hui entre Suez et GDF, il faudrait que ça se passe tous les jours entre les PME. » L’obsession de la taille et de la puissance situe bien les conceptions du ministre dans une logique de cartellisation, dopée avec des moyens financiers sous contrôle des pouvoirs existants. C’est ce qui est condamné à l’échec.

Comment surmonter les vrais blocages

La réalité est que le ministre ne comprend pas l’économie, et s’évertue, comme ses prédécesseurs, à manoeuvrer les manettes monétaires du dispositif dont il a hérité. Or, seule une croissance retrouvée permettra de faire décoller les PME-PMI, auxquelles il faut assurer deux choses : une main d’oeuvre qualifiée pour produire et des marchés pour vendre.

Voyons les choses de ce point de vue. Pour qu’il y ait des marchés, il faut un développement des infrastructures. Or l’Europe des grands projets se trouve au régime sec. Selon la Commission de Bruxelles, seuls 5 projets ferroviaires transeuropéens, sur les 30 qui avaient été sélectionnés, pourront être financés comme prévu. Les autres chantiers « ne seront pas achevés avant la date butoir de 2020 ». Evoquant la liaison Lyon-Turin et la construction du tunnel austro-italien du Brenner, un industriel du BTP commente : « Au lieu des 20 milliards d’euros prévus, nous n’en aurons plus que 6. On ne peut pas dire qu’on a besoin de ces grands investissements et ensuite ne pas les financer. » Il faut aussi que les PME-PMI puissent avoir un accès privilégié aux grands marchés publics. C’est ce qui a permis à leurs consoeurs américaines de décoller, malgré une conjoncture industrielle difficile. En effet, depuis sa création en 1953, la Small Business Administration veille à ce que, conformément aux dispositions légales du Small Business Act, 23 % de tout contrat confié à une instance gouvernementale bénéficie aux PME-PMI américaines. Environ 50 milliards de dollars viennent ainsi chaque année garnir leur compte d’exploitation.

Pourquoi ne peut-on pas faire aujourd’hui la même chose en France et en Europe ? Pour deux raisons. La première est que la Commission européenne a mal négocié l’accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC, ratifié en 1996 : cet accord interdit, au nom de la libre concurrence, aux pays européens de prendre une telle disposition, alors que les Etats-Unis, également signataires de l’AMP, ont, eux, obtenu de pouvoir exclure leurs propres PME-PMI du champ de l’accord ! De plus, à l’intérieur même de l’Union européenne, des directives s’opposent à la mise en place de clauses donnant un « avantage concurrentiel » à une catégorie d’entreprises, comme les PME-PMI. Certes, en France le Comité Richelieu, association française de PME-PMI de haute technologie, a mis en place un « pacte PME », signé par des entreprises publiques et privées qui s’engagent à accorder une plus large part de leurs contrats à des PME. Douze grands groupes français l’ont déjà ratifié, mais il ne peut en aucun cas s’agir d’une mesure de même portée que celle prise aux Etats-Unis sur une impulsion encore rooseveltienne.

Notre politique est donc la suivante :

  1. Il faut refonder l’Europe sur la base de grands travaux financés par du crédit productif public, et pour cela se donner l’horizon d’un nouveau Bretton Woods et d’un Pont terrestre eurasiatique. C’est la seule source « productrice de productivité » qui puisse tracer la piste de décollage de PME-PMI, au sein de véritables politiques européennes industrielles et de recherche.
  2. Les PME-PMI doivent être associées à ces grands travaux publics. C’est pourquoi, afin de leur réserver leur part dans les contrats publics, il faut renégocier l’AMP dans des conditions équitables et revenir sur des directives économiquement stupides qui, au sein de l’Union européenne, contribuent à étrangler les PME-PMI.

Il faut assurer aux PME-PMI s’inscrivant dans cette approche une main d’oeuvre de qualité. A l’échelle européenne, cela signifie faire redécoller les programmes Erasmus et Leonardo, eux aussi actuellement mis au pain sec du diktat financier ; à l’échelle française, offrir une formation professionnelle de qualité non plus seulement à ceux qui ont un bagage initial fort et selon les besoins spécifiques des entreprises, mais aussi à tous ceux pour qui elle est une « seconde chance ».
La politique ponctuelle peut être un sparadrap utile, mais c’est le défi, ici aussi, d’une crise d’ensemble du système que nous devons relever.