Les éditoriaux de Jacques Cheminade

L’heure européenne

samedi 10 mars 2001

Nous vivons actuellement les derniers instants de l’ordre monétaire et financier international existant. Les interventions du président de la Réserve fédérale américain, Alan Greenspan, qui consistent à abaisser les taux d’intérêt pour jeter des liquidités sur les marchés afin d’enrayer leur baisse ne marchent plus. Non seulement elles n’aboutissent pas à une reprise de l’économie productive, mais elles ne sont même plus capables d’entraîner les Bourses à la hausse. Le monétaire n’embraye plus sur le physique ou sur le financier. Après le « e-krach » (krach internet) de mars 2000 et le « techno-krach » (pas technocrate) de l’automne passé, l’ensemble du système se trouve aujourd’hui contaminé.

Celui-ci est désormais incapable de fonctionner comme il l’avait fait au cours de ces vingt dernières années. Les Etats-Unis, frappés de plein fouet par la hausse du coût de l’énergie (gaz et pétrole) et dont les entreprises licencient, ne sont plus en mesure d’être l’« importateur en dernier ressort », tirant l’économie mondiale. Le Japon, en proie à une nouvelle récession et à une crise de tout son système bancaire et d’assurance-vie, n’est plus capable d’être le « prêteur en dernier ressort ».

Si l’Europe avait des dirigeants dignes de ce nom, son heure serait venue. Face à George W. Bush et à Tony Blair, les deux versions de tout ce qui a déjà échoué dans le monde, elle devrait fournir un leadership politique et intellectuel. La France devrait être au centre de l’alternative, avec notre tradition de service public, de planification indicative et d’indépendance nationale.

Cependant, l’Europe et la France, toutes deux à l’intérieur d’elles-mêmes, se trouvent livrées à leurs querelles de clocher. Le sommet de Nice a été un désastre, non pas tant par ce qu’il y a été décidé, mais par l’incapacité de ses participants à relever le défi de l’époque.

Aucun projet mobilisateur, aucun grand dessein n’est conçu. Le besoin d’Etat est de retour, mais les hommes d’Etat sont aux abonnés absents. Même un projet comme celui d’une relation ferroviaire à grande vitesse ParisBudapest, via Strasbourg, Munich et Vienne, qui devrait assurer le débouché du futur TGV Rhin-Rhône, se heurte à toutes sortes de tergiversations sur des détails. Face à l’ESB et à l’épizootie de fièvre aphteuse, l’on ne mobilise que les moyens courants, comme s’il s’agissait de « dossiers » et non d’alimentation et de santé publiques, du sort des agriculteurs et des consommateurs.

Alors ? alors, notre rôle ici est de mettre l’Europe et la France face à leurs responsabilités. En montrant la voie, par des idées, des projets et un combat politique. Hors normes, car les normes sont devenues suicidaires.