Les éditoriaux de Jacques Cheminade

La dépression qui vient

vendredi 20 avril 2001

L’économie mondiale est entrée dans une phase de destruction qui va s’accélérer au cours des prochains mois. Les effets sociaux du krach boursier que l’on subit actuellement en France -Valéo, Groupe André, Marks & Spencer, Danone, bientôt Philips, au Mans- ne sont que le début d’une tendance générale qui bouleversera la donne. La question n’est pas de savoir si cela se produira, mais de comprendre pourquoi les responsables politiques et les experts économiques officiels ne parviennent pas à s’en apercevoir et à faire appliquer les mesures d’urgence qui s’imposent.

Trois raisons principales expliquent leur aveuglement et leur impuissance. Tout d’abord, ils évaluent et gèrent « en linéaire », sans prendre en compte les mutations. Leur carrière et leur manière de penser sont liées au système ; ils ne peuvent donc en concevoir l’effondrement. Ensuite, ils ne veulent pas voir que l’effet de levier qui a propulsé les marchés aux niveaux qu’ils avaient atteints en mars-avril 2000, produit à présent l’effet inverse. Enfin, et surtout, même les plus qualifiés d’entre eux sont dotés d’un instrument impropre à mesurer la réalité de ce qui se passe : ils prennent en compte la valeur monétaire des choses au prix des marchés et non leur valeur physique dans un processus économique d’ensemble. Ils croient donc, par exemple, qu’à l’expansion impressionnante qu’ont connue les Etats-Unis succède actuellement une chute rapide, sans voir que, depuis environ une trentaine d’années, les Etats-Unis n’ont plus de croissance physique réelle, mais une expansion purement financière et monétaire, maintenue par l’endettement, le non investissement dans les infrastrucures et l’achat à bas prix de biens à l’extérieur, aux dépens d’autrui. Ce qui se passe aujourd’hui est le moment de rupture d’un système venu à bout de ses possibilités et dont l’extension est mondiale.

C’est pourquoi l’Europe et la France vont être également touchées - même si c’est avec un certain décalage, comme en 1929 - par la dépression qui vient.

Il serait donc temps de changer de politique et de projet de société, comme Franklin Roosevelt le fit aux Etats-Unis à partir de 1933. Le combat contre l’oligarchie financière est inévitable, et plus on attendra, plus il sera difficile.

Au lieu de cela, l’on assiste à de timides dénonciations de « l’unilatéralisme américain », sans projet face à une administration Bush qui tire les leçons de la loi de la jungle en fondant tout sur les rapports de force et l’élimination des concurrents, sans apporter de soutien à tout ce qui, en Amérique, est au contraire porteur de neuf et d’universel.

La France, en réalité, ne sait plus où elle va. Face à la dépression qui vient, mon ambition est d’y éveiller le sens de sa mission et d’abord, de contribuer à refaire un pays où le politique ne rende plus les armes à l’actionnaire.