Les analyses de Jacques Cheminade

Rejet de la Lituanie, hari-kiri de l’Europe

mardi 23 mai 2006, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Jean Zay, dans son ouvrage de réflexion politique écrit dans les geôles de Vichy, Souvenirs et solitude, s’écrie que de 1932 à 1940, « il y eut un sujet tabou : le libéralisme monétaire et financier ».
« L’équilibre budgétaire » rendit « impossible de réaliser la moindre réforme, de faire aboutir la plus petite innovation ». Nous y sommes à nouveau, mais cette fois à l’échelle de l’Europe ou plutôt d’une pseudo-Europe qui masque de plus en plus mal l’oligarchie financière et sa politique d’austérité sociale.

Preuve en est que la Commission de Bruxelles propose de refuser l’entrée de la Lituanie dans la zone euro car elle dépasserait de 0,04 point le critère d’inflation prévu par le traité sur l’Union ! C’est d’autant plus ridicule (ou révélateur, nous allons le voir) que le déficit budgétaire de ce pays est de 0,5 % de son produit intérieur brut (PIB) et que son endettement est limité à 20 % de ce même PIB ! Alors ? Alors, ce qu’on reproche en réalité à l’économie lituanienne, c’est de tourner à plein régime, c’est-à-dire de ne « pas maîtriser l’inflation sur le long terme ».

La Commission demande donc à un pays en phase de nécessaire rattrapage économique de se développer plus lentement, pourvu qu’un bas taux d’inflation soit respecté. De fait, ce qui importe aux banquiers et aux financiers qui dominent aujourd’hui l’Europe, c’est la déflation et l’austérité sociale, pas la croissance. L’euro est devenu leur arme et le relais de l’ordre mondial dominant. C’est pourquoi Vilnius ne devrait pas avoir beaucoup de regrets, mais au contraire se féliciter d’être exclu d’un club de masochistes soumis.

Conséquence, en effet, de la politique anti-croissance européenne : seuls cinq projets ferroviaires européens sur les quatre-vingts sélectionnés pourront être financés, les autres chantiers « n’étant pas achevés avant la date butoir de 2020 ». Mais, dira-t-on, l’Europe se préoccupe de culture. Au contraire, avec ces mêmes restrictions, les programmes éducatifs Erasmus et Leonardo vont eux aussi passer à la trappe : le premier, à partir de 170 000 étudiants en 2006, n’en concernera plus que 140 000 en 2007-2013, et le second passera de 50 000 étudiants aujourd’hui à 36 000 dans sept ans.

L’Europe des grands projets est morte, l’Europe de la culture est morte, et le budget européen que l’on se fixe sera de 1,04 % par rapport au précédent, c’est-à-dire qu’en tenant compte de l’inflation, l’Europe contracte ses moyens et s’autodétruit.

C’est pourquoi il faut sortir du carcan de l’euro, de Maastricht, du pacte de stabilité et de la Banque centrale européenne pour refonder une Europe digne de ce nom, celle d’une alliance de nations souveraines rassemblée autour de grands projets et d’une renaissance culturelle, non celle d’un rassemblement de financiers se faisant hara-kiri sur la place des marchés.