Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Par delà le bien et le mal

jeudi 8 novembre 2001

Le 31 octobre, un recul de 0,4% du PIB américain était annoncé pour le troisième semestre 2001, et pour les trois derniers mois de l’année une baisse de 1,5% est d’ores et déjà prévue. Une forte chute de la consommation et de la confiance des ménages se conjugue à une grave détérioration de l’emploi. Tous les secteurs économiques indiquent une forte baisse des profits et une réduction d’effectifs.

L’on dit cependant en France, à droite comme à gauche, qu’il s’agit d’une crise cyclique et que les mesures prises par une Administration Bush « convertie au keynésianisme » permettront une reprise au printemps prochain ou, au plus tard, à l’automne. Ce raisonnement est doublement faux : les mesures ne sont pas keynésiennes et elles ne permettront pas une reprise.

Examinons-les une à une. Les déductions d’impôts, qui en constituent l’essentiel, ne profiteront pas à l’ensemble des consommateurs. Selon le Washington Post, plus de 50% des cadeaux fiscaux seront empochés par 1% des contribuables les plus riches ! Les aides d’urgence en faveur des entreprises ne vont pas à celles qui en auraient le plus besoin, mais aux grands groupes ayant financé le Parti républicain. Qui plus est, elles s’avèrent inefficaces : malgré les 15 milliards de dollars débloqués par Washington en faveur des compagnies aériennes, celles-ci ont essuyé des pertes nettes de 3 milliards de dollars au cours du dernier trimestre. En même temps, les baisses des taux directeurs de la Réserve Fédérale n’engendrent pas de crédit en faveur de l’investissement productif, mais des flux d’argent pour sauver la bulle financière. Bref, ce curieux keynésianisme-là conduit les Etats-Unis à la situation inextricable du Japon, en bien plus grave.

Pourquoi ? En raison de deux éléments fondamentaux mal compris ou ignorés à Paris. Le premier est qu’une bulle immobilière est sur le point d’éclater. Le Trésor américain a dû faire baisser les taux à long terme pour provisoirement sauver les emprunteurs sur les marchés hypothécaires, mais il a ainsi provoqué de fortes pertes chez les courtiers et les hedge funds. Or ceux-ci interviennent sur des marchés des changes et des produits dérivés (paris à terme avec effet de levier) déséquilibrés et dont les opérations ont littéralement explosé : 4 000 milliards de dollars chaque jour, selon la Banque des règlements internationaux, c’est-à-dire l’équivalent de 10 % de la somme des PIB de tous les pays du monde ! Le financier et l’immobilier se trouvent ainsi indissolublement liés dans un cercle vicieux spéculatif.

Le « keynésianisme » de Bush ne peut, dans ces conditions, que conduire à la chute de tout le système. C’est ce qu’un Chevènement, parmi d’autres, ne peut et ne veut pas comprendre. Il a donc raison de dire de lui-même « je suis par delà le bien et le mal. » Economiquement, il n’est en effet nulle part.