Les analyses de Jacques Cheminade

Actualité de Marie-Antoinette
Nécessité de refonder la Révolution

mardi 25 juillet 2006, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Marie-Antoinette

par Henri Heine


Comme les fenêtres brillent gaiement au Palais des Tuileries, et pourtant, en plein jour, les spectres d’autrefois y reviennent.

Marie-Antoinette reparaît dans la Pavillon de Flore, où, chaque matin, elle tient son lever suivant une étiquette sévère.

Dames de cour en toilette. La plupart sont debout, d’autres assises sur des tabourets ; les robes sont de satin et de brocart, garnies de joyaux et de dentelles.

Leur taille est fine, les jupes à paniers bouffent, et, dessous, bruissent les mignons petits pieds à hauts talons ; - ah ! Si seulement elles avaient des têtes.

Aucune n’en a ; même à la reine la tête manque, et c’est pourquoi Sa Majesté n’est point frisée.

Oui, elle qui, haut coiffée, pouvait se comporter si orgueilleusement, la fille de Marie-Thérèse, la petite-fille des Césars allemands.

Il faut maintenant qu’elle revienne sans coiffure et sans tête, entourée de nobles dames non coiffées et sans têtes également.

Ce sont là les suites de la Révolution et de ses odieuses doctrines. Toute la faute en est à Jean-Jacques, à Voltaire et à la guillotine.

Mais, chose étrange ! Je crois presque que les pauvres créatures n’ont en rien remarqué combien elles sont mortes et qu’elles ont perdu la tête.

Comme autrefois, ce ne sont qu’allures gourmées, que plates courtisaneries ; - risibles et terrifiantes tout à la fois sont ces révérences sans tête.

La première dame d’atours s’incline et apporte une chemise de linon que la seconde présente à la reine, puis toutes deux se retirent avec une révérence.

La troisième et la quatrième dames s’inclinent et s’agenouillent devant Sa Majesté pour lui passer ses bas.

Une demoiselle d’honneur s’incline, apportant le déshabillé du matin ; une autre encore s’incline qui apporte le jupon de la reine.

La grande maîtresse de la cour se tient là, rafraîchissant avec un éventail sa gorge blanche, et, la tête lui faisant défaut, elle sourit avec le derrière.

A travers les tentures des fenêtres, le soleil glisse des regards curieux, mais à la vue de ces vieux fantômes, il recule épouvanté.

(Romancero : Histoires)

« Il ne s’agit pour nous que de les endormir [les députés de la Constituante] et de leur donner confiance en nous pour mieux les déjouer après. Il est impossible, vu la position d’ici, que le Roi refuse son acceptation [de la Constitution], nous n’avons donc plus de ressources que dans les puissances étrangères. »

 Lettre de la reine Marie-Antoinette au comte de Mercy, ambassadeur d’Autriche, le 26 août 1791.

Le pari sur la défaite de la France en 1940 - L’étrange défaite de Marc Bloch - alors pris par la synarchie financière et les forces « conservatrices » de l’état-major n’est malheureusement pas une exception dans notre histoire nationale. Déjà, en 1791 et 1792, Marie-Antoinette et Louis XVI avaient voulu une guerre en espérant que la France la perde. Attendre le salut de la défaite est donc une mauvaise habitude de nos élites, comme on peut le voir aujourd’hui avec l’acceptation du démantèlement des principaux instruments d’une politique nationale indépendante (banque, bourse, acier, énergie, automobile...), en contrepartie de la bienveillance espérée des « marchés financiers ». Dans ce contexte, la revitalisation du mythe de Marie-Antoinette - « incomprise », « légère mais généreuse », « victime d’un procès déshonorant pour la République » - est tout sauf innocente. Il s’agit de créer un mouvement de sympathie et de compréhension pour une attitude irresponsable d’ « après moi le déluge », un anti-républicanisme poudré et perruqué comme dans la version hollywoodienne de Mlle Sofia Coppola. La plus belle ruse des traîtres est en effet de banaliser la trahison en la parfumant à l’air du temps.

La forfaiture contre-révolutionnaire

Comme l’indique Jean-François Kahn dans un très intéressant article de Marianne (3 au 9 juin 2006), l’ensemble des missives de la reine rassemblées dans « Marie-Antoinette, correspondance 1770-1793, établie et présentée par Evelyne Lever », établit de manière accablante la forfaiture de la reine.

Celle-ci a constamment servi les intérêts de l’Empire austro-hongrois et de la noblesse noire européenne. Les preuves sont innombrables et irréfutables.

Au début de la Révolution, après le Serment du jeu de paume, Marie-Antoinette et le comte d’Artois (le futur Charles X) incitent le Conseil royal à ne céder qu’en apparence à la réunion des élus des trois ordres (noblesse, clergé et tiers-état), et à concentrer des troupes à Versailles et à Paris pour exécuter un coup de force permettant de disperser les députés. Les régiments des Etats allemands sont en alerte le 11 juillet, Breteuil, défenseur attitré de la monarchie absolue, est aux affaires et le duc de Broglie commande les armées. La prise de la Bastille, le 14 juillet, est la provocation escomptée. Cependant, la défection d’une partie de l’armée ne permet pas l’exécution du coup d’Etat contre-révolutionnaire. Breteuil reçoit alors une lettre de créance qui l’habilite à « traiter avec les cours étrangères ».

Marie-Antoinette et son entourage ultramontain ne veulent à aucun prix de la monarchie constitutionnelle. La Fayette note dans ses mémoires : « Les partisans de la cour à l’Assemblée constituante se réjouissaient de toutes les entreprises qui faisaient espérer que l’absurdité et les crimes des « novateurs » ne manqueraient pas de permettre le rétablissement de l’Ancien Régime ».
Ayant engagé dès le départ des pourparlers secrets avec l’Autriche - par l’entremise de Breteuil et du comte de Mercy - pour préparer une intervention extérieure armée, Marie-Antoinette repousse toutes les propositions d’aide des monarchistes constitutionnels et des modérés. Elle considère « le parti constitutionnel comme aussi mauvais que les Jacobins ». Elle déteste personnellement La Fayette. « Mieux vaut périr que d’être sauvée par ces gens-là » est sa ligne de conduite. Le 20 juin 1791, alors que Louis XVI prépare sa désastreuse fuite à Varennes, il jure à La Fayette qu’il ne partira pas. Celui-ci répond sur sa tête de l’intention qu’a le Roi de rester et se discrédite aux yeux de tous.

Dès le 3 février 1791, Marie-Antoinette avait écrit à Mercy : « Monsieur le marquis de Bouillé [commandant des garnisons de l’Est et favorable à la Contre-Révolution] croit comme nous qu’il serait impossible de rien faire sans le secours des puissances étrangères, lequel serait dangereux si nous n’étions hors de Paris. »

Bien plus grave, le parti de la noblesse noire envisage le démembrement de la France. Dès mars 1791, l’Autriche indique qu’elle veut bien aider le Roi à condition de se payer de l’Alsace, des Alpes et de la Navarre. Le 6 mai, la reine écrit qu’il serait possible, en cas d’une intervention de l’Autriche, de s’assurer de la neutralité de l’Angleterre en lui sacrifiant « des possessions en Inde et aux Antilles ».

Marie-Antoinette poursuit sans scrupules : « Une guerre une fois allumée, le roi se flatte qu’un grand parti se ralliera autour de lui. » A la fin du printemps 1792, elle fera systématiquement parvenir à l’Empereur d’Autriche les plans de campagne et les mouvements de l’armée française.

A la demande de son ami Fersen, la reine fait rédiger par le marquis de Limon, en émigré français, un manifeste qui sera rendu public par le général Brunswick, commandant en chef des forces austro-prusiennes. Le texte en est publié le 28 juillet ; il promet Paris « à une exécution militaire et à une subversion totale et les révoltés au supplice si les Parisiens ne se soumettent pas immédiatement et sans conditions à leur roi. » Ces menaces provoquent par réaction le soulèvement du 10 août 1792, les Tuileries sont envahies et la monarchie renversée. Marie-Antoinette se dit alors : « Bah, ce sont six mauvaises semaines à passer et le duc de Brunswick ne sera pas moins en France le 23. » En l’occurrence, ce fut Valmy.

L’autre aspect de la politique de la reine et de son entourage est de jouer les extrémistes contre le « parti constitutionnel ». L’on dispose de preuves de leur financement par la cour (mission de distribution de fonds confiée à Omer Talon) et il est avéré que lorsque, à la veille de la journée du 10 août, il fut question d’arrêter Robespierre et Marat, la reine les fit prévenir.

L’esprit de la Révolution américaine en Europe

Jusqu’ici, nous avons suivi de très près l’analyse de Jean-François Kahn. Cependant, celle-ci ne donne à voir qu’une partie de la réalité. Dès le début, la Révolution française fut à la fois combattue frontalement par les contre-révolutionnaires mais aussi manipulée de l’intérieur par les « hommes de Londres ». Lord Shelburne (William Petty) sema ainsi le chaos et la confusion en France en finançant à la fois les milieux réactionnaires, notamment par les cercles de jeux, et les « ultras » jacobins et sans-culotte. Olivier Blanc, dans Les Hommes de Londres, histoire secrète de la Terreur (Albin Michel, 1989), établit preuves en main le déroulement de cette opération, notamment au sein du Comité de salut public mais surtout du Comité de sûreté générale. Nous avons également publié ici de nombreux éléments sur les divers agents d’influence auxquels les services anglais eurent alors recours, depuis Marat, le secrétaire personnel de Philippe Egalité, Choderlos de Laclos, Danton, jusqu’à Barrère.

Le but était de créer une situation de chaos et de confusion en France, afin d’éviter le succès des idées « constitutionnalistes » américaines et leur incarnation dans un régime stable.

La prise de la Bastille donna dès l’abord, par les excès qui la suivirent, un goût de sang à l’émeute. Du 10 août 1792 aux massacres de septembre, ce furent ensuite une série de soulèvements et de déchirements internes qui affaiblirent une République menacées militairement de toutes parts, à ses frontières comme en Bretagne ou en Vendée. La véritable guerre de religion qui s’ensuivit, accompagnée par les crimes de la Terreur, faillit venir à bout d’une France prise en tenailles entre invasion et décomposition.

Ce fut Lazare Carnot, en organisant la résistance et en formant un parti du salut public par delà les factions, qui sauva ce qui paraissait ne plus pouvoir l’être. Entré au Comité de salut public le 14 août 1793 avec Prieur de la Côte d’or, il procéda dès le 16 août à la levée en masse, transformant la nation en armée et la France en champ de bataille : de 204 000 hommes en février 1793 à 554 000 en décembre et 732 000 en septembre 1794, avec le canon de Gribeauval et le pays transformé en un immense atelier militaire (récolte de salpêtre, production de poudre, de fusils et de canons) et civil (forges), les conditions de la victoire militaire furent réunies.

Cependant, les hommes de Londres l’avaient emporté sur le plan culturel. La Révolution, au lieu de mettre en oeuvre les principes du bien commun, et un ordre constitutionnel juste, dévora constamment ses propres enfants dans une stérile lutte de factions en vue d’exercer le pouvoir. Cela conduisit, après le Consulat, à l’horreur de l’Empire bonapartiste et à la destruction d’une partie des ressources de la France et de l’Europe continentale. Nous ne nous en sommes pas encore réellement remis.

Le but de ceux qui voulaient établir un pont entre la République américaine, la France et d’autres pays européens adoptant un ordre constitutionnel, était de créer une alliance de républiques souveraines obéissant aux mêmes principes, le bien commun, la liberté, la poursuite du bonheur et le service des générations futures. Cette alliance devait définir la politique mondiale. Cependant, elle échoua. Le grand poète allemand Friedrich Schiller juge « qu’un grand moment de l’histoire ne rencontra qu’un peuple petit ». J’ajouterais que ce peuple avait été rendu idéologiquement petit sans même qu’il s’en soit entièrement aperçu.

Aujourd’hui, une fois de plus, les intérêts financiers dominants attendent leur salut d’une soumission de la France.

Nous ne pouvons donc en aucun cas nous permettre la nouvelle « divine surprise », comme l’écrivait Charles Mauras en 1940, d’une France se soumettant à l’invasion de forces prédatrices. Notre mission est de créer un parti de la Résistance avant la résistance, c’est-à-dire avant que l’invasion ne détruise nos institutions publiques. Nous devons rejeter à la fois la Contre-révolution et un nihilisme gauchiste auto-destructeur, pour susciter la volonté de construire un ordre plus juste, à notre échelle et à celle du monde. Car, comme de Gaulle sut le comprendre en juin 1940, et comme les révolutionnaires de 1789-1794 ne voulurent pas le savoir, une fois de plus, la partie se joue à l’échelle de cette Amérique qui est physiquement de l’autre côté de l’Atlantique, mais que chacun d’entre nous porte aussi en lui-même, dans son principe anti-oligarchique. Notre ambition doit être enfin de lui trouver un espace et un temps, cette fois de part et d’autre de l’Atlantique, et de l’Atlantique à la mer de Chine.

Notre défi ne serait-il pas alors de refonder notre Révolution républicaine, dans nos caractères et dans nos coeurs ? Pour cela, il nous reste à grandir pour rencontrer un grand moment de l’histoire.