Les analyses de Jacques Cheminade

Ce que sont pour moi Lyndon H. et Helga Zepp-LaRouche

mardi 5 septembre 2006, par Jacques Cheminade

J’ai rencontré Lyndon LaRouche pour la première fois dans une réunion publique tenue à New York, au printemps 1974. Ce qui m’a d’emblée frappé en lui, après l’intervention d’orateurs de son mouvement moins convaincants, fut sa faculté de penser devant un auditoire, ouvertement, naturellement, à la recherche de la vérité, sans compromissions, sans souci de se faire bien voir, ni envolées démagogiques, ni recours à des notes.

J’ai su que cette rencontre allait changer ma vie non par l’adhésion à une « organisation » ou à un groupe, mais par quelque chose de rendu libre au dedans de moi-même, l’acte socratique, curieusement ressenti à 33 ans, d’un accouchement décisif de ce que je portais déjà en moi-même mais qui n’avait pas pu jusque-là s’épanouir au dehors. Ce ne fut pas, bien sûr, un accouchement instantané. Je ne suis pas très sujet aux illuminations. Ce fut un déclic qui fit son chemin en moi, au fur et à mesure que les idées de LaRouche et de ses amis me devenaient familières, que je relisais Leibniz et Marx, et que j’apprenais à connaître Cues et Lessing, Carnot et Riemann, et toute la véritable histoire des pères fondateurs de la Révolution américaine. La remise en cause de Freud et du freudisme, ainsi que de toute l’école anthropologique anglo-américaine, contribua, elle, à me donner des arguments contre des errements que je soupçonnais.

Cet aspect subjectif de notre première rencontre reposait sur deux conceptions que LaRouche développait alors. La première était le lien qu’il établissait entre une économie financière devenant de plus en plus destructrice et une contre-culture promouvant le flash, l’instantané, le flux irrationnel des sensations. L’être humain se trouvait ainsi dépourvu d’horizon, réduit à ne réagir que dans l’instant comme un animal domestiqué. La seconde, face à ce défi, était la nécessité, soulignait alors LaRouche, du recours à une psychologie de l’être humain créateur, reliée à son intervention politique pour changer le monde et surtout la manière de penser le monde, localisant le domaine des idées - le long terme - par delà les sensations immédiates.

Sans prendre de pincettes, LaRouche appelait cette dérive de notre société un « fascisme à visage démocratique », dans lequel les dirigeants totalitaires et charismatiques de type mussolinien se trouvaient remplacés par un bourrage de crâne constant et organisé. La société des producteurs, fondée sur l’éthique et la morale du travail transformateur, se trouvait ainsi remplacée par une société de services, sous la coupe de prédateurs financiers contrôlant des consommateurs passifs. LaRouche soulignait alors le rôle joué par la consommation de drogues et l’abrutissement par les images dans cette réduction de citoyens intervenant dans les affaires de la cité à des sujets subissant plus ou moins consciemment la loi du plus fort.

Ce qui était en moi la part d’intimité, de vie intérieure, se trouvait ainsi en accord avec la part publique, qui me portait à me battre pour un ordre plus juste sans trouver jusqu’alors de réel répondant. L’accent qui était mis dans ce mouvement d’idées sur la formation du caractère, par référence à une culture scientifique et artistique, notamment dans le dialogue du chant choral, me parut une réponse au défi intellectuel et moral de l’époque, un recours contre une sous-culture destructrice du sexe marchandise, de la consommation de drogues et de la musique-bruit. Je n’avais vu aucun parti politique ou autre force relever ce défi, en France ou ailleurs, ce qui les condamnait à répéter des formules ou des idées reçues, à faire appel à des dogmes ou à des idéologies, sans éveiller les facultés créatrices des hommes, c’est-à-dire sans être capables de faire face à l’imprévu.

Aujourd’hui, en lisant l’Etrange défaite de Marc Bloch, je pense à cette incapacité de l’armée et de notre état-major de 1940 de, précisément, relever le défi de l’imprévu. L’ennemi devient ainsi, si l’on est paralysé par « les instincts paresseusement égoïstes et les moeurs bureaucratiques », un « trouble-fête de la stratégie », « un malappris qui ne fait jamais ce que l’on attend de lui » et qui, sans le moindre scrupule, vous condamne à la défaite. Cette faille de la France de 1940, je la vois dans celle du XXIe siècle, dans la soumission à un néo-libéralisme prédateur tout comme dans les divers catéchismes qu’on lui oppose, tiers-mondiste, marxiste ou souverainiste. Le courant politique et philosophique que représente LaRouche par rapport à cette paralysie de l’esprit, celui de Socrate, Leibniz, Benjamin Franklin et Martin Luther King, est celui d’un goût de la vie et de la pensée qui renouvelle et ressource, c’est-à-dire de l’esprit de découverte de celui qui se tient à la frontière du connu, et pour qui l’imprévu est l’occasion de donner le meilleur de soi-même et d’y prendre plaisir. C’est ce que je ressentais confusément dans ces journées des années 70, après la chute d’Allende et la victoire communiste sans perspective politique en Indochine, et que je comprends beaucoup mieux aujourd’hui, de par les responsabilités publiques que j’ai prises et par l’accélération de la crise historique, cette fin de cycle que nous vivons et au cours de laquelle les choses deviennent plus claires.

Aujourd’hui, en revoyant un film sur le Front Populaire (L’avenir est à nous, de Jean Renoir), c’est avec une profonde émotion que tout à coup j’entends l’un des militants dire à deux nouveaux venus, qui assistent à une chorale du Parti communiste : « Nous, ce qu’on veut, c’est ramener en France le goût de la musique et du théâtre. » Cette fidélité à une culture humaine mise socialement à la portée de tous est ce qui constitue maintenant l’essence même de notre mouvement transatlantique et transcontinental de jeunes larouchistes, mais c’était aussi le LaRouche que je vis apparaître dans ma vie en ce jour du printemps 1974, et qui, à 84 ans, vit toujours du même élan.

Le flambeau se trouve ainsi relevé, et porté bien plus haut, avec l’introduction dans le champ même du politique de chorales de jeunes adultes chantant le Jesu meine freude de Jean-Sébastien Bach, l’Ave verum de Mozart et aussi, ici en France, le Chant des partisans, le Chant du départ et des canons politiques déchaînant l’arme du rire contre le respect qui n’est pas dû. En même temps, contre le monde logique et plat d’Euclide et d’Aristote, se lève un travail d’exploration du fil qui court dans la science de Kepler à Leibniz, de Leibniz à Fermat, de Fermat à Gauss, de Gauss à Riemann et Abel et à toute la géométrie de l’espace-temps physique.

Ce fil mène au principal apport de LaRouche dans le domaine de l’économie : le critère de potentiel de densité démographique relatif comme « signature » du développement d’une société humaine. En effet, la science de l’espace-temps physique, fondée non sur le témoignage des sens dans un système clos, mais sur la découverte de principes physiques universels émergeant en dehors des frontières de systèmes jusque-là repérés et connus, produit des découvertes appliquées sous forme de technologies et d’innovations qui permettent de produire plus par tête et par unité de surface, accroissant la capacité d’accueil de la société, son potentiel de densité démographique « relativisé » par les types de technologies de plus en plus productives auxquelles elle a recours.

C’est ce développement continuellement renouvelé qui permet à la société de vivre en s’étendant. L’être humain est différent de l’animal précisément par cette capacité de découvrir et de redécouvrir des principes physiques universels - comme la gravitation universelle de Kepler ou le calcul différentiel - qu’il applique pour transformer la nature en épargnant son travail physique par sa capacité d’agir sur la matière à distance avec des machines dont la conception intègre les découvertes effectuées. Alors que les mathématiciens grands prêtres de la science préfèrent commenter le monde, les esprits créateurs ne cessent jamais d’agir sur le monde et de valider expérimentalement ce qu’ils découvrent. La validation expérimentale en économie, l’instrument de mesure de l’économie physique, a découvert LaRouche, est le potentiel de densité démographique relatif exprimant l’application pratique, sociale, des pouvoirs cognitifs de l’être humain. En aucun cas le produit intérieur brut, qui ne fait qu’exprimer la somme des valeurs ajoutées, c’est-à-dire la somme des différences comptables entre prix d’achat et prix de vente, sans tenir compte de l’effet sur l’économie physique - sur l’homme et sur la nature - de l’opération effectuée.

Mais, dira-t-on, où se trouve le politique, la pratique politique, dans cet élitisme apparent ? Où ça mène ? A quoi ça sert ? M. Sarkozy ou Mme Royal ne font pas tant de manières. Là est la question déterminante. Car M. Sarkozy et Mme Royal opèrent à l’intérieur d’un système, comme un poisson rouge dans un bocal, dont ils connaissent bien la règle du jeu qu’ils appliquent avec efficacité. Mais la vie humaine ne se déroule pas dans un bocal, et n’obéit pas aux axiomes et aux définitions d’une règle du jeu éternelle.

Il n’est de permanent que le changement, comme le disait Héraclite d’Ephèse. La contribution de LaRouche, par rapport à des politiciens de ce type, est de poser un critère qui valide, celui du potentiel de densité démographique relatif, à l’aune duquel on peut juger la valeur d’un système, des hommes, des infrastructures et des biens qu’il produit, et surtout mesurer les conséquences qu’entraînerait le fait de ne pas changer de système. Lorsque celles-ci deviennent comme aujourd’hui claires - passage à une économie de services post-industrielle au sein de laquelle le financier et le monétaire croissent de façon exponentielle, tandis que la production physique stagne ou recule - la nécessité de changer de système apparaît, et toutes les réformes internes au système existant ne font qu’aggraver la situation. Les astuces et les manoeuvres de politiciens comme M. Sarkozy ou Mme Royal, ou les récitants de catéchismes comme M. Bové, M. Besancenot ou Mme Laguillier, ne font qu’empirer la situation faute de définir la sortie du système, c’est-à-dire un type d’économie et de culture promouvant les pouvoirs créateurs de l’esprit humain pour échapper à une extrapolation mécaniste des tendances passées ou à une fuite en avant anti-système, anti-autoritaire, mais sans perspectives autres que la satisfaction impuissante de détruire un ordre injuste.

C’est au nom des réussites inachevées, nécessairement inachevées puisqu’ils étaient des êtres humains, de nos prédécesseurs qu’il faut aujourd’hui reprendre le flambeau pour sortir d’un système qui se détruit lui-même. L’impératif est de proposer un projet mobilisateur, conçu avec les yeux du futur, pour créer les conditions d’une mobilisation des potentiels créateurs des hommes : infrastructures physiques, écoles, hôpitaux, laboratoires, à la fois sans contraintes extérieures, en bannissant la nouvelle gouvernance et le critère de rentabilité financière à court terme, et en promouvant un travail d’émulation en équipe, la contrainte de la liberté intérieure engagée pour le bien commun. A une économie du développement mutuel correspond ainsi un enseignement mutuel, afin d’élever à la dignité d’hommes tous les individus de l’espèce humaine.

Voilà le défi jeté par LaRouche ou, plus exactement, par le moment de l’histoire où nous nous trouvons à travers l’apport de LaRouche. C’est pourquoi cet homme, si exigeant dans le travail intellectuel et l’effort culturel, l’est tout autant dans l’incitation à détruire par la polémique toute caste, clique ou oligarchie attachée non plus à la vérité, mais à des rapports de force, et donc corrompue par ses possessions et ses positions.

Aujourd’hui, il mène ainsi son combat aux Etats-Unis avec quelques centaines de jeunes et une organisation oeuvrant au sein du Parti démocrate, contre l’administration Bush-Cheney et surtout contre ceux qui contrôlent d’en haut le jeu politique, cette synarchie financière des Shultz et des Rohatyn, des Goldman Sachs, Lehman Brothers, Lazard Frères, Morgan Stanley et autres Citigroup, qui, pour préserver ses intérêts et s’emparer des principaux actifs existants, pousse à des mesures d’austérité et de contrôle social contre toute résistance, et à l’exploitation de la peur par le terrorisme et la menace de guerres asymétriques (guerre d’Israël contre les infrastructures et le peuple libanais) et de mesures liberticides (lois Patriot ou Perben II). Ce faisant, LaRouche insère sans cesse des idées dans le débat politique, et est devenu l’inspirateur d’un retour aux politiques de Roosevelt, et bien au-delà, d’un ressourcement de son pays et du monde dans les valeurs originelles de la Révolution américaine. La réflexion de fond rejoint ainsi l’engagement dans la vie de la cité, à l’exemple d’Athènes et du christianisme, et à l’opposé du monde romain enfermé dans un système impérial de règles préétablies et de lois écrites servant un pouvoir en place (cf. Simone Weil, Quelques réflexions sur les origines de l’hitlérisme).

Le point fondamental que LaRouche souligne dans la situation actuelle est qu’il ne s’agit pas de guerres d’Etats-nations - fussent-ils les Etats-Unis ou Israël - mais d’une guerre globale menée par une synarchie et une oligarchie financières, implantées dans les « grandes familles » de la « corporate America » (Mellon, Olin, Rockefeller, ...), dans les grandes « boîtes à idées » (Heritage Foundation, Hudson Institute, American Enterprise Institute, Olin Foundation, Smith-Richardson Foundation...) et dans la grande presse internationale (du Financial Times au Washington Post, en passant par Fox News ou NBC), où ces intérêts entretiennent des réseaux d’influence et de connivence. Le ministre de l’Education nationale du Front populaire, Jean Zay, notait ce même phénomène en France, dans Souvenirs et Solitude, depuis sa prison de Riom, le 17 janvier 1941, et l’on peut aujourd’hui aisément constater qu’il se reproduit. Quant aux Etats-Unis, le célèbre intellectuel anti-fasciste Gaetano Salvemini y constatait, en 1927 puis en 1942, « un nouveau type de fascisme... un fascisme du monde des grandes affaires (corporate business enterprise) ».

Notons que la corporate governance d’aujourd’hui, le transfert d’entreprises publiques ou d’entreprises privées auparavant indépendantes en faveur de conglomérats financiers reposant sur des partenariats public-privé et appliquant des critères de rentabilité financière à court et moyen terme obéit à une même logique de recartellisation que celle des années trente du XXe siècle. La grande experte de cette corporate finance en France, baptisée « nouvelle gouvernance », est Mme Clara Gaymard, qui a rallié la direction de General Electric après avoir introduit ce mastodonte américain au sein de l’Agence française des investissements internationaux, dont elle était la directrice...

L’Amérique de ceux qui ont kidnappé le pouvoir aux Etats-Unis se trouve donc bien implantée en France, avec les Clara Gaymard, Nicolas Sarkozy (reçu outre-Atlantique par l’American Enterprise Institute et le Hudson Institute, et certainement pas pour ses beaux yeux...) et autres chefs d’entreprise type Bébéar ou de Castries. Il est donc indispensable que nous nous battions ici contre eux et pour l’autre Amérique, la vraie, celle des pères fondateurs et de Lyndon LaRouche, représentant la tradition de Roosevelt, Lincoln et Hamilton, c’est-à-dire de tous ceux qui se sont opposés à la dérive anglo-américaine des XIXe et XXe siècles et aux impérialismes de type Woodrow Wilson, Theodore Roosevelt ou Richard Nixon, jusqu’à aujourd’hui la famille Bush. Il est intéressant de constater à ce sujet que toute la presse anglo-américaine sous influence, qui s’en est constamment prise à Lyndon LaRouche en déformant systématiquement ce qu’il est et ses idées, est la même qui, sous la pression des services parallèles de renseignement mis en place par le vice-président Cheney, a diffamé et systématiquement attaqué la France lorsque notre gouvernement a opposé son veto à la guerre contre l’Irak. Aux responsables politiques français de tirer les leçons de cette « coïncidence », tant sur l’importance réelle de M. LaRouche - on ne prend pas un marteau-pilon pour écraser un moustique - que sur le comportement des « élites » proches de la Maison Blanche et de Wall Street.

LaRouche a bien montré comment l’ultra-libéralisme financier du dimanche soir conduit au fascisme du lundi matin, avec les cas exemplaires hier d’Hjalmar Schacht et aujourd’hui de Félix Rohatyn. Il fait revivre ce qui a inspiré le combat de Franklin Delano Roosevelt contre le nazisme, les injustices sociales et l’oligarchie financière - ceux que dans son discours inaugural il a appelés les « monarchistes de l’économie ».

Dans ce combat, pour délimiter son camp et ses forces, LaRouche et ses amis m’ont donné à connaître la véritable histoire de la Révolution et de la Constitution américaines, la victoire des influences de Leibniz, d’Abraham Gotthelf Kästner, notamment à travers Benjamin Franklin, et d’Emmerich de Vattel contre celles de John Locke et du « système britannique ». Les fondements de l’Amérique authentique, m’a-t-il fait comprendre, sont les fruits de cette victoire. C’est le principe des droits inaliénables de l’homme que sont « la vie, la liberté et la recherche du bonheur », inscrit dans la Déclaration d’indépendance de 1776, et non « la vie, la liberté et la propriété », comme le voulaient John Locke et son disciple, Thomas Jefferson.

Cette distinction est fondamentale : elle oppose un droit dynamique à connaître et comprendre les lois de l’univers, et à les appliquer pour le bien commun, ce qui définit le bonheur, à un droit mécanique à posséder des biens pour soi-même, sans participer à un processus social de développement mutuel. La Constitution explicite ce principe en posant comme justification de l’existence de l’Etat-nation la souveraineté, vouée au bien commun (general welfare), au service de tous les habitants de cet Etat-nation et des générations à y naître. Le développement économique est, par delà les statistiques comptables et les bilans financiers, la mise en oeuvre de ces droits inaliénables. La croissance du potentiel de densité démographique relatif exprime ce développement dans l’univers pensant, vivant et non-vivant, mesuré par les effets constamment renouvelés de découvertes scientifiques et d’innovations technologiques permettant d’accroître la capacité de production par tête, par unité de surface et par ménage. Cela mesure à la fois la responsabilité de l’homme, qui est d’accroître la capacité d’accueil de l’univers, et son bonheur, qui est d’en comprendre les principes, d’en établir les lois et d’en appliquer les technologies, c’est-à-dire de remplir sa mission, qui est de le transformer en accord avec les autres êtres humains.

C’est au nom de cette conception que LaRouche se bat pour une écologie du progrès humain : énergie nucléaire, qui exprime la plus grande densité du flux d’énergie par unité de surface, grands travaux d’équipement, recherche, éducation, santé publique, à l’opposé de l’économie de contraction financière et d’austérité sociale qui nous est aujourd’hui imposée sous le nom abusif de « mondialisation ». LaRouche m’a ainsi communiqué un instrument de jugement que je ne possédais pas, et surtout orienté vers un combat constamment renouvelé et toujours plus ample contre l’oligarchie prédatrice dominante et aussi celle que nous portons en nous-mêmes, qui paralyse nos initiatives et veut nous faire rester sujets pour que jamais nous ne menacions, en tant que citoyens, les pouvoirs en place.

Ceux qui ont participé à la Libération de la France et à sa reconstruction de l’après-guerre avaient une idée de ce que cet engagement signifiait, depuis le Parti communiste jusqu’au gaullisme. Aujourd’hui, il s’agit de communiquer à de jeunes adultes, à ceux qui chantent Bach et étudient Riemann, contre le courant dominant du culte de l’instant (sexe marchandise, musique rythme et bruit, drogue et fascination de l’image), la flamme d’une politique portant sur les quinze à cinquante ans à venir, apportant un horizon long et une espérance aux générations à naître.

En pensant à Lyndon LaRouche, je vois ici apparaître - horizon et espérance - la figure de Léonore, la libératrice de son mari Florestan dans le Fidelio de Beethoven. Pourquoi ? Parce que notre espérance est d’abord celle d’un avenir dans lequel les chaînes de la domination physique et de la manipulation mentale tomberont, dans l’aube d’une liberté retrouvée. Non pas la liberté corrompue, dont l’usage est commun aux hommes et aux animaux et qui, consistant à faire tout ce qui plaît, conduit à la dictature,mais la liberté de faire sans crainte ce qui est juste et bon. C’est cette liberté pour laquelle, comme l’ont fait Léonore et Florestan, il faut, si nécessaire, exposer notre vie.

Léonore : la femme de Lyndon LaRouche, Helga Zepp-LaRouche, s’est battue elle aussi pour faire libérer son mari, qui a passé cinq ans de sa vie dans les prisons américaines, entre 1989 et 1994, après un procès politique truqué et manipulé par les affidés de George Bush, le père du président actuel. Il ne fut libéré que par l’intervention de Bill Clinton, lorsque celui-ci fut élu président. Je dois à Helga d’avoir lu un des livres qui a changé le cours de ma vie, les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, de Friedrich Schiller. Schiller, qui a été fait citoyen d’honneur de notre pays par un décret de la Convention, a écrit ce texte au moment de la Révolution. Condamnant le « sauvage » et le « barbare », celui qui se laisse guider par ses instincts et celui qui se laisse diriger par des formules, il y souligne que « toute amélioration de l’ordre politique doit partir de l’ennoblissement du caractère » et que l’instrument de l’amélioration des caractères ne peut être que l’art. Cette affirmation est plus que jamais juste aujourd’hui, alors que règne une contre-culture de l’instinct et de l’instant, de l’impression et du flash, du jeu avec l’argent et du jeu avec la mort, qui empêche les êtres humains de voir avec les yeux du futur, c’est-à-dire des générations à naître.

Helga Zepp-LaRouche et moi-même avons lancé en Europe, parallèlement à ce qui est fait aux Etats-Unis, un mouvement de jeunes larouchistes (LYM) exigeant un avenir et se battant pour une culture de la vie, c’est-à-dire une culture sans formules stériles ni projection d’instincts, mais de développement des capacités créatrices, du principe de puissance en l’homme - le vrai, celui qui le porte à découvrir non pour son propre avantage individuel, mais pour l’avantage d’autrui. Schiller, dans sa huitième lettre, écrivait ainsi : « Non seulement donc cette lumière de l’intelligence ne mérite l’estime que dans la mesure où elle se réfléchit sur le caractère ; mais encore elle part dans une certaine mesure du caractère, car le chemin qui mène à l’esprit doit passer par le coeur. La formation du sentiment est donc le besoin extrêmement urgent de l’époque, non seulement parce qu’elle devient un moyen de rendre efficace pour la vie une compréhension meilleure de la vérité, mais même parce qu’elle stimule l’intelligence à améliorer ses vues. » Pour Helga comme pour moi, il s’agit là du fondement de l’engagement politique, alors qu’aujourd’hui la tendance dominante est de rechercher sa propre satisfaction, généralement au niveau des sens, ou bien de tenter d’appliquer quelque formule idéale dont le caractère dogmatique - communisme ou néo-conservatisme, fédéralisme ou pseudo-souverainisme - s’imposerait à tous.

Dans un autre texte, celui-ci de Lessing, dont Helga m’a également ouvert les portes, Ernst und Falck, à Ernst qui défend une révolte violente contre l’Etat injuste au nom d’un ordre plus juste, Falck répond que le raisonnement dogmatique, manichéen, suscite fatalement l’apparition d’un nouveau pouvoir injuste, alors que la raison fraternelle, qui s’efforce de faire germer le meilleur en l’autre, permet au contraire une recherche commune de la vérité qui dépasse les dogmes. Nous sommes des êtres humains, donc nécessairement divers, mais nous aspirons à l’unité dans un monde meilleur. Nous devons donc vivre l’unité dans la diversité, en nous élevant mutuellement, comme le juif, le musulman et le chrétien de Nathan le Sage. Pour moi, cette leçon, et le sens de la beauté morale que l’on trouve toujours dans les grandes héroïnes de Schiller qui transcendent leurs limites, que ce soit Jeanne d’Arc, Thekla, la reine de Don Carlos ou Marie Stuart, est ce qui inspire mon engagement dans un univers politique qui, si je le prenais pour ce qu’il est devenu, ne pourrait m’inspirer qu’une grande répulsion. Mais cette répulsion, livrée à elle-même, deviendrait à son tour source de cynisme et d’abaissement, d’impuissance et de petitesse. Les exemples politiques de De Gaulle partant seul ou presque à Londres le 17 juin 1940, ou de Jean Moulin rendant à son bourreau, sur la feuille qu’il lui avait donnée, non pas les noms qu’il espérait mais sa caricature, ressourcent ma volonté d’engagement hors des sentiers battus.

J’ai récemment appris d’Helga Zepp-LaRouche qu’elle était revenue à son ami d’adolescence, Friedrich Schiller, lorsque, vivant à New York avec son mari dont la vie était menacée en raison de son engagement politique, elle s’était retrouvée pratiquement enfermée dans leur petit appartement. Elle avait alors trouvé dans l’oeuvre de Schiller un moyen d’élever ses vues pour pouvoir dépasser l’injustice. Ainsi d’un mal objectif, son enfermement, est sorti un bien supérieur, ce qu’elle nous en a apporté, et en particulier à moi, lorsqu’elle a recouvré un peu de liberté. Un peu, car aujourd’hui encore, elle doit se battre dans une cage, sous les menaces de ceux qui ne peuvent supporter que leur ordre soit remis en cause, et qui mesurent combien une parole de liberté, une liberté de faire sans crainte ce qui est juste et bon, serait convaincante si elle pouvait être librement connue.

Si Lyndon LaRouche m’a fait relire Leibniz, Helga, elle, citoyenne de Trêves, m’a fait concevoir l’importance de Nicolas de Cues en le situant par rapport au courant historique dont il s’est nourri. Je suis moi-même ainsi différent, car j’ai été transformé par ces hommes du passé lus avec l’engagement de prendre le risque de changer. La vie devient tellement plus passionnante quand on revit la démarche de Platon s’opposant à celle d’Aristote, celle de Leibniz à celle de Descartes, celle de Lazare Carnot et de Grégoire à celle des féodaux et de révolutionnaires livrés à un désir auto-destructeur de vengeance, celle de Gauss et de Riemann à celle de Lagrange et de Cauchy. La vie devient tellement plus passionnante lorsque l’on met ses pas dans ceux de Malcom X après sa conversion à l’Islam, de Martin Luther King expliquant pourquoi il faut aimer ses ennemis, de Ghandi chassant le colonisateur britannique par la non-violence organisée, de Lazaro Cardenas ou encore de Franklin Roosevelt redonnant âme au Mexique et aux Etats-Unis.

Pensant à Lyndon LaRouche, à sa femme et à moi-même, je me suis souvent demandé pourquoi ce que nous entreprenons pouvait être qualifié de « sectaire » ou de « dérive sectaire » par des gens en place, alors que rien ne justifie ce label infamant. Oui, il est vrai que nous ne pensons pas comme le plus grand nombre à ce moment de l’histoire, que nous en tirons honneur, mais que nous pensons que nous pouvons convaincre le plus grand nombre de penser comme nous, à condition de nous bouger les fesses. Et que cela bien entendu déclenche ce que Georges Bernanos appelait « la grande peur des bien pensants ». Les inquisitions ont des formes dures, mais aussi des formes plus molles pour défendre leurs dogmes et leurs possessions. Cependant, c’est en relisant la huitième lettre de Schiller que j’ai trouvé le message le plus clair (et le plus perspicace) s’adressant à nous-mêmes et à ceux qui nous attaquent. En hommage ironique à tous ceux qui nous ont précédés et qui nous suivront dans ce « pélerinage de la perfection » dont parle Jaurès dans De la réalité du monde sensible, lui-même inspiré par Weimar, et en signe d’amitié pour Helga Zepp-LaRouche, je terminerai ce témoignage, rendu nécessaire par la perplexité de certains de nos amis et la fureur bien peu héroïque de certains de nos ennemis, par ce message de Schiller :

« Aie la hardiesse d’être sage. Il faut l’énergie du courage pour lutter contre les obstacles que l’indolence de la nature et la lâcheté du coeur opposent à l’enseignement de la vérité. Un vieux mythe plein de signification montre la déesse de la Sagesse surgissant tout armée de la tête de Jupiter ; dès son premier acte elle est belliqueuse. Dès sa naissance elle a à soutenir un dur combat avec les sens qui ne consentent pas à être arrachés à leur douce quiétude.

« Le plus grand nombre des hommes sont beaucoup trop fatigués et lassés par leur lutte contre les privations pour être capables de rassembler leurs forces en vue d’une lutte nouvelle et plus dure contre l’erreur. Satisfaits d’échapper à l’âpre labeur de la réflexion, ils laissent volontiers s’exercer une tutelle sur leurs pensées et s’il arrive que des besoins supérieurs s’agitent en eux, ils saisissent d’une foi avide les formules que l’Etat et les prêtres tiennent en réserve pour cette circonstance. Si ces malheureux méritent notre pitié, notre juste mépris va aux autres, qu’un sort meilleur libère du joug des besoins, mais que leur propre choix courbe sous celui-ci. Ces derniers préfèrent aux rayons de la vérité qui chassent l’agréable fantasmagorie de leurs rêves le crépuscule de concepts obscurs qui permettent de sentir plus vivement et qui laissent l’imagination se former à son gré des fictions commodes. Ils ont fondé tout l’édifice de leur bonheur sur ces illusions mêmes, que la lumière de la connaissance contrarie et doit dissiper, et il leur faudrait acheter bien cher une vérité qui commence par leur ôter tout ce qui possède de la valeur pour eux. Il faudrait qu’ils fussent déjà sages pour aimer la sagesse : c’est là une vérité qu’a déjà sentie celui qui a donné à la philosophie son nom. »

Un tel texte n’est évidemment pas ce que les hommes politiques qui fréquentent les allées du pouvoir ou qui prétendent y parvenir mettraient sur leur site internet. C’est bien là tout leur problème, et celui de l’époque.