Les éditoriaux de Jacques Cheminade

La France brejnévienne

jeudi 30 mai 2002

L’Union soviétique, sous Brejnev, était un géant aux artères sclérosées et au cerveau mort, qui se donnait l’illusion d’exister par des mots et des postures. La France officielle d’aujourd’hui évoque irrésistiblement cette tragique farce.

Après le choc des scrutins du 21 avril et du 5 mai, ceux qui n’avaient rien vu venir sont déjà retournés à leurs calculs d’appareil et à leurs discours rouillés. L’UMP, sorte de PMU pathétique, ne pense qu’à obtenir une majorité sans faille pour Jacques Chirac et un fauteuil élyséen pour Alain Juppé en 2007. Elle s’est donné pour unique horizon la restauration. La gauche plurielle, recollée à la hâte, ne retrouve un peu de vigueur qu’en dénonçant la confiscation de tous les leviers de pouvoir par une même famille et en espérant une cohabitation qu’elle dénonçait la veille.

A gauche, Christian Pierret, avant d’abandonner son ministère de l’Industrie, signe le décret permettant à La Poste de liquider quelques-uns de ses 17 100 bureaux répartis en France. Marie-Noëlle Lienemann fait la paire avec Jacques Mellick à Béthune. A droite, l’UMP investit Jean-François Mancel dans l’Oise, malgré ses multiples casseroles et ses alliances avec le FN, et ne craint pas de nommer Renaud Dutreil secrétaire d’Etat aux PME et Professions libérales, alors que sa femme est une proche collaboratrice d’Ernest-Antoine Seillière au Medef. Le nouveau ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie a, lui, installé au Luxembourg le siège de son enfant chéri, Arcelor. Ce « sauveur de la sidérurgie » avait auparavant organisé la fusion d’Usinor et Sacilor grâce à 80 milliards d’aides du Trésor public, accompagnées de 70 000 suppressions d’emplois....

Il est clair que la liquidation de « l’exception française » d’après-guerre - économie volontariste, protection sociale et service public - atteint sa phase finale. L’absurde réduction d’impôts promise par Jacques Chirac et l’inévitable hausse des dépenses de justice, de police et de défense, ne pourront être acquises, dans le contexte européen actuel, que par une vague de privatisations. C’est ce que prépare le gouvernement Raffarin.

Aucun effort de justice sociale, aucun projet de société, aucune vision internationale, rien pour répondre aux exigences confuses mais profondes de la jeunesse, si ce n’est le romanisme impuissant et intemporel d’une extrême-gauche dégoulinant de bonne conscience agressive et de conformisme stérile.

Faut-il donc désespérer ? Oui, si l’on considère la France officielle. Le message que nous envoient les événements de ce printemps est donc clair : rétablir un parti du progrès et de la solidarité sociale, animé par la transcendance autour d’une ambition collective concrète et rassemblant le courage face à l’oligarchie militaro-financière américaine. Autrement, il ne nous restera, comme biens nationaux, que les sentiments propres aux brejnéviens de tous temps : la peur et la petitesse.