Les écrits de Lyndon LaRouche

A la redécouverte de l’Amérique

vendredi 28 octobre 2005, par Lyndon LaRouche

Le 12 octobre 2005, dix-sept ans jour pour jour après son célèbre discours à Berlin, Lyndon LaRouche a tenu une conférence à Washington, relayée en direct sur Internet. Son message politique le plus immédiat : pour regagner l’Amérique, il faut chasser du pouvoir Dick Cheney.

 
Lyndon LaRouche commença son webcast par une retransmission du discours qu’il avait prononcé le 12 octobre 1988 à Berlin, où il prévoyait la réunification de l’Allemagne et la dissolution du bloc soviétique, donnant ainsi un exemple frappant de sa capacité scientifique de prévision. Cette fois, il s’adressait au public avec une autorité tout aussi solide, quoique plus mûre et mieux qualifiée. Son intention, fit-il remarquer d’emblée, n’était pas de faire une prévision en tant que telle, mais de cerner les éléments à prendre en compte afin d’échapper au plus grand krach financier de l’histoire moderne.

Pour des raisons de place, nous ne publions ici qu’un résumé des propos de LaRouche. Vous pouvez cependant les écouter ou les lire intégralement, en anglais, sur le site larouchepac.com.

Depuis la dissolution du système soviétique, l’économie mondiale se porte, globalement, moins bien. Dans l’ancienne Union soviétique, en Europe et dans les Amériques, l’économie, en termes physiques, se trouve bien en dessous du niveau de prospérité, si l’on peut dire, qui existait en 1989.

Chaque décision que nous avons prise au niveau de la politique économique, en Europe occidentale et dans les Amériques, aux Etats-Unis en particulier, reflète une erreur stupide, entraînant des résultats catastrophiques. Les conditions de vie des 80 % de nos ménages les moins riches sont bien pires aujourd’hui. Nous avons perdu des industries. Nous avons moins d’infrastructure et de santé publique. Nous avons perdu tout ce qui faisait la force et les avantages de notre économie et dont nous étions fiers.

C’est la même chose en Europe, où l’on opère en deçà du seuil d’équilibre, en termes physiques. Faute de changer de politique, chaque économie européenne est condamnée. En outre, faute de changer le système monétaire suivant les indications que je vais donner, nous assisterons non seulement à l’effondrement, mais à la désintégration de tout le système monétaro-financier international, sous l’effet de l’hyperinflation.

Nous en sommes arrivés au point où nous devons non seulement résoudre les problèmes qui se posaient déjà en 1988-89, mais aussi abandonner la façon de penser qui a dominé depuis. A moins d’opérer des changements radicaux et d’abandonner tout ce qui passe pour « innovateur » depuis lors, nous disparaîtrons en tant que nation.

La question qui se pose est de savoir si nous, en tant que peuple, avons l’aptitude morale à survivre. Sommes-nous capables de corriger nos erreurs ? Ou sommes-nous si déterminés à ne pas remettre le dentifrice dans le tube que nous laisserons l’ensemble du système se désintégrer et la population mondiale chuter, de plus de six milliards d’êtres humains à moins d’un milliard ? Voilà le choix que nous devons faire.

Au premier abord, il semble que notre civilisation ait effectivement perdu l’aptitude morale à survivre. Mais étant moi-même optimiste, et pour cause, je pense que M. Cheney pourrait être forcé de partir et que la situation peut s’améliorer sous différents aspects, permettant de délivrer notre gouvernement de la folie qui a permis à un Cheney d’accéder à cette fonction.

Considérons d’abord quelques éléments de l’économie américaine. (LaRouche visionne alors différentes animations : 1) baisse du pourcentage d’ouvriers dans la population active, 2) sévère recul du réseau ferroviaire pour voyageurs entre 1962 et 2004, 3) pourcentage de centrales à charbon âgées de 50 ans ou plus, 4) pourcentage de centrales nucléaires âgées de 30 ans ou plus. Il esquissa ensuite l’histoire du développement formidable du territoire américain.)

L’autodestruction des Etats-Unis

Cette nation, surtout depuis le début des années 1970, s’inflige sa propre destruction. Celle-ci ne vient pas de l’étranger, ni d’une puissance occupante. Nous nous sommes détruits nous-mêmes. C’est nous qui avons démantelé le système de Bretton Woods, un modèle très réussi, sous l’influence de Nixon, Kissinger, Shultz, etc. Nous avons détruit l’économie américaine. Nous avons éliminé les régulations qui assuraient notre prospérité. Nous avons adopté le libre-échange, nous avons cherché la main d’œuvre la moins chère possible, nous avons opté pour les délocalisations, nous avons choisi la globalisation. Nous avons décidé que la technologie est mauvaise, ce qui est totalement faux, et cela a contribué à la chute de l’économie. En acceptant ces idées, qui sont devenues les idées dominantes au niveau du gouvernement et des grandes institutions politiques, nous avons assuré notre autodestruction.

La survie de cette nation dépend maintenant de notre volonté de nous changer. On ne doit pas s’adapter à l’opinion publique, mais la changer, car elle est devenue l’instrument de notre autodestruction. Nous devons donc revenir aux valeurs qui ont permis l’existence et la croissance économique des Etats-Unis. (...)

Il y a cependant un aspect encore plus dangereux : nous avons détruit notre capacité de penser. Au cours des années 1950, nous avons subi l’influence du Congrès pour la liberté de la culture, une bande de marxistes et d’existentialistes débarqués aux Etats-Unis. L’existentialisme était un aspect clé du CLC. Cela vaut la peine d’examiner le pedigree des gens qui le dirigeaient réellement, ainsi que leur comportement. Leur intention était de détruire la culture classique et l’éducation classique, c’est-à-dire les capacités ayant permis le progrès aux Etats-Unis et en Europe. D’où vient la technologie, d’où viennent la science et la médecine ? De la tradition culturelle classique européenne. C’est cela qu’ils voulaient éliminer.

Prenez l’industrie du spectacle, prenez Hollywood. C’était déjà mauvais à l’époque, c’est encore pire maintenant. Dans les années 1950, on divertissait les enfants avec des monstres venus de l’espace pour les manger, ou autre chose du même genre. C’était ça l’éducation des baby boomers - des monstres venus de l’espace pour les manger ! Ils se demandaient qui était ce monstre, et lorsqu’ils sont entrés à l’école, ils ont compris : c’était leur enseignant !

Nous avons détruit notre culture, et nous avons détruit en nous le sens d’humanité.

Les plus jeunes d’entre vous, ceux qui ont entre 18 et 25 ans, le savent mieux que les autres. Vos parents vous disent de faire des études, de « vous qualifier ». Vous leur répondez : « Savez-vous combien coûtent les frais d’inscription ? Savez-vous combien ça coûte d’aller à telle ou telle université ? Et savez-vous quelles idioties on vous apprend lorsque vous y êtes ? C’est tout à fait inutile, et en plus, c’est cher. On s’endette à vie. »

De manière générale, en dépit de quelques exceptions, l’éducation qui est dispensée aujourd’hui dans les universités est pire que dans les années 1950. Les membres de notre mouvement de jeunes, surtout en Californie, ont accès à une bien meilleure éducation que dans les universités. Et lorsque, à Boston par exemple, ils expliquent aux professeurs de Harvard les rudiments de la science, ces derniers doivent reconnaître que c’est vrai. Le problème, c’est que les gens ne comprennent pas la science économique, et c’est à cause du libéralisme. (...)

(S’ensuivit un résumé du développement de l’Etat-nation pendant la Renaissance, instaurant le principe d’un gouvernement ayant l’obligation morale de promouvoir le bien-être de l’ensemble des citoyens et de leur postérité. La notion opposée est celle d’une oligarchie, d’un empire, comme celui établi par la Compagnie britannique des Indes orientales).

Protectionnisme et économie physique

La Révolution américaine fut menée contre l’empire britannique. Ce fut un combat pour établir une république, contrairement à un empire de type vénitien qui gouverne par la force, en contrôlant l’argent et les taux des devises. Le système américain d’économie politique est le seul qui ait réussi à mettre en échec le système britannique, qui est un système d’usure.

La façon dont nous gérons l’économie est idiote. Nous disons que la performance de l’économie est évaluée en termes d’argent, alors que dans une république, la mesure est celle de l’économie physique : quelle est sa performance en termes de niveau de vie ? en termes de développement du territoire par individu et par kilomètre carré, d’accroissement de la productivité, de qualité d’éducation et de culture des citoyens ? Ensuite, on prend en compte l’argent, pour se demander comment organiser et gérer le système monétaire, qui a une fonction nécessaire, de façon à ce qu’il ne saigne pas le citoyen, mais serve d’instrument utile en promouvant le commerce et les investissements.

Mais à l’époque, le système international était dominé par la philosophie libérale anglo-hollandaise. La Révolution américaine ne l’a pas entièrement vaincue, mais a établi un précédent : le protectionnisme. Comment réguler l’argent ? Par le protectionnisme. Nous protégeons notre production face au commerce de produits bon marché. Nous encourageons des investissements productifs en accordant des avantages fiscaux sur des choses utiles à la société et prélevant davantage d’impôts sur ce qui l’est moins.

Une économie moderne, par exemple, doit consister pour moitié en infrastructure économique de base. Cela n’a rien à voir directement avec le marché, mais seulement indirectement. Cette infrastructure, c’est le gaz et l’électricité, c’est l’éducation publique, ce sont les systèmes d’eau et les transports en commun. Environ 50 % d’une économie nationale en bonne santé repose sur l’infrastructure, en investissements à long terme dans l’amélioration du territoire et des conditions de vie. L’autre moitié concerne la production et les services liés à la production, qui relèvent du secteur privé.

On doit donc réguler l’économie de façon à assurer, par la taxation et d’autres mécanismes, le flot de capitaux nécessaires pour couvrir la production et la maintenance des 50 % de l’économie relevant du secteur public, que ce soit au niveau du gouvernement fédéral ou de celui des Etats, des comtés ou des municipalités. C’est le système d’eau local, les services de police, le système scolaire, etc. Ces coûts devraient être pris en charge par les caisses publiques.

Evidemment, certains aspects de ces activités peuvent être concédés à des investissements privés, comme cela se passe maintenant. Admettons que l’on veuille créer une entreprise de service public, par exemple une centrale électrique. Le gouvernement fédéral ou d’Etat fait construire la centrale, puis crée une société, sujette à régulation, qui est une entreprise de service public. Les gens peuvent alors y investir leur épargne, normalement à un taux de rémunération stable et garanti. Cette entreprise représente donc un débouché avantageux pour l’épargne directe des particuliers, qui en achètent des obligations, ou pour l’épargne indirecte à travers le système bancaire. Cela veut dire que, dans le cadre d’un système raisonnable, une bonne partie des dépôts bancaires sont investis dans des entreprises de service public. Le citoyen investit son argent dans la banque, et la banque en investit une partie dans une entreprise de service public, avec des garanties. C’est le type d’investissement local le plus sûr que l’on pouvait faire dans le cadre de l’ancien système régulé.

Nous l’avons démantelé ! Nous voulions le libre-échange, nous voulions éliminer tout ce qui n’était pas essentiel pour un employeur local. Par conséquent, on a privatisé le système scolaire ! On ne se préoccupe plus de l’ensemble de la population. On privatise même les écoles.

Jadis, si l’on voulait acquérir une formation technique, dans la machine-outil par exemple, on pouvait le faire à l’école secondaire. Ca n’est plus possible aujourd’hui, il faut payer pour l’obtenir. Auparavant, on comprenait l’importance d’améliorer le potentiel productif des jeunes de familles défavorisées aussi. On investissait pour cela, et on en a bénéficié parce que ces jeunes ont développé des qualifications et permis le fonctionnement de nos industries.

Dans une économie saine, pour juger de la performance de l’argent, on examine dans quelle mesure le système monétaire contribue à atteindre les objectifs de l’économie physique que l’on s’est donnés, notamment la bonification du territoire, l’amélioration des conditions vie et de la santé de la population, etc. Si le système monétaire ne favorise pas ces objectifs, il faut le modifier.

LaRouche : les démocrates doivent s’en prendre aux banquiers

 


En réponse à une question posée lors sa conférence internet du 12 octobre, Lyndon LaRouche a incité les démocrates à s’attaquer aux intérêts bancaires, ceux qui exercent le véritable pouvoir derrière Dick Cheney et tout l’appareil néo-conservateur.

« L’ennemi, dit LaRouche, ce n’est pas Cheney ; il n’est qu’un instrument (comme le décrit sa femme). L’ennemi, c’est le courant vénitien. (...) Le problème auquel il faut s’attaquer aujourd’hui est l’économie, et c’est là que les dirigeants démocrates, au Sénat et ailleurs, manquent de courage. Non pas faute de causes motivantes à défendre. Mais quand des gens comme Felix Rohatyn leur disent qu’ils avancent vers des eaux dangereuses, ils se laissent intimider.

« L’appui le plus important que nous ayons nous vient de certains républicains qui désertent leur camp - pas celui du Parti républicain en tant que tel, mais du courant néo-conservateur. On assiste à une désertion en masse de républicains qui ne supportent plus cette puanteur. Cependant, les démocrates, à quelques exceptions près, ne saisissent pas cette opportunité parce qu’ils ont peur. De quoi ? Des intérêts financiers. On doit se rendre compte que l’ennemi, aujourd’hui, est le même que celui de Franklin Roosevelt en son temps. On l’identifie parfois comme "les banquiers", mais Roosevelt ne le voyait pas ainsi. Il comprenait que l’oligarchie financière, notamment Prescott Bush, le grand-père de l’actuel Président, avait financé l’accession au pouvoir d’Hitler en Allemagne. Cette oligarchie américaine basée à Wall Street, les bailleurs de fonds de Coolidge et de Hoover, avaient mis Hitler au pouvoir, de même que Mussolini avant lui et Franco après, et ils étaient prêts à soutenir Hitler jusqu’au bout, s’il avait d’abord attaqué l’Union soviétique, plutôt que la France et l’Angleterre. »

Au cours des débats, LaRouche est revenu sur le concept des « banquiers » : « En réalité, les néo-conservateurs sont utilisés par les banquiers, dont Felix Rohatyn de New York, connu pour son "Big Mac". (...) C’est de là que vient le danger, depuis toujours. Ce sont les banquiers qui les financent et les mettent aux postes qu’ils occupent. Le Washington Post est un des centres de cette stratégie. »

Crédit public

Aux Etats-Unis, l’économie est en plein effondrement. Elle opère en dessous du seuil d’équilibre. Il est strictement impossible de s’en sortir, sur la seule base du secteur privé. Impossible !

Au contraire, il faut rebâtir des industries. Où trouver l’argent ? Eh bien, il existe une disposition, dans la Constitution des Etats-Unis, en vertu de laquelle le gouvernement, avec l’autorisation de la Chambre des représentants, peut créer de la dette, en émettant de l’argent. Dans le système américain, et c’est ce que fit Roosevelt, seul le gouvernement peut créer de l’argent. La Réserve fédérale triche sur ce point, Alan Greenspan en tête, mais il va sans doute disparaître bientôt de la circulation.

Avec la dette fédérale générée, le gouvernement fournit des capitaux pour la production de biens nécessaires et pour le système de santé publique, les hôpitaux, les réseaux électriques, etc. Comme cela procure des emplois productifs, c’est un investissement dans l’avenir. Prenons le cas d’une centrale électrique. On peut la construire en l’espace de cinq ans et sa durée de vie sera de trente ans, c’est donc un investissement sur trente ans. En plus des travailleurs employés pour la construire, le projet fera aussi appel à des fournisseurs privés et des travailleurs qualifiés venant de l’extérieur avec leurs qualifications. Ainsi, en plus du projet lui-même, on relance toute l’économie productive autour de lui. De cette façon, nous bâtissons une économie forte.

L’essentiel est de ramener l’économie américaine au-dessus du seuil d’équilibre. Cela se fait à l’aide de crédit public, pour augmenter le niveau de production, qui sera amorti sur une période de vingt-cinq ou cinquante ans. C’est la seule façon de redresser l’économie. On ne pourra pas le faire uniquement avec des investissements privés.

Donc, j’insiste là-dessus, il ne faut pas penser à l’économie en termes d’argent. Ne demandez jamais à un comptable comment l’économie fonctionne - il ne le comprend pas. On doit partir du point de vue de l’économie physique, de comment contrôler l’argent de façon à éviter l’inflation tout en créant une véritable croissance physique et en augmentant la productivité, par tête et par kilomètre carré. En même temps, on améliore la vie dans la société. Une bonne prévision doit être basée là-dessus.

Le système monétaire actuel est condamné, sans appel. Les dettes financières que nous avons accumulées ne pourront jamais être remboursées. Il faut donc mettre l’économie et le système bancaire américains en redressement judiciaire. Au niveau mondial, il faut suivre une procédure analogue. (...)

Parallèlement à la relance de l’économie, il faut lancer de nouveaux projets qui sont à la pointe du progrès scientifique et technologique, et qui représentent en même temps une modernisation des équipements. Rien que le remplacement des centrales vétustes fournira de nombreux emplois et stimulera la croissance. Considérez les besoins au niveau des transports nationaux, comme un système air-rail intégré, pour le transport d’une côte à l’autre. Nous devons rebâtir les systèmes de purification et de distribution de l’eau, pour que l’eau potable coule à nouveau dans nos robinets. Nous avons beaucoup d’investissements à faire. (...)

Le défi eurasiatique

Dans ces conditions, le monde va changer. Il se produira non seulement une amélioration de la technologie, mais un changement plus fondamental. Depuis le XVème siècle environ, et plus encore depuis le XVIIème siècle, l’histoire mondiale est concentrée avant tout sur la civilisation européenne. Cela comprend les Amériques. Le reste du monde n’a jamais eu de véritable système de gouvernement reposant sur le principe du bien-être général. Des luttes ont été menées, dans divers pays, pour améliorer le sort de la population, mais sans aboutir à une forme de gouvernement qui s’engage, conceptuellement, à promouvoir le bien-être général.

Certains considèrent, par exemple, que l’Inde jouit d’une économie prospère. C’est faux ! 70 % de la population indienne vit dans des conditions abominables. L’une des raisons vient de ce qu’elle exporte des biens aux Etats-Unis et en Europe à des prix trop dérisoires pour permettre à la population de vivre correctement. On a une situation similaire en Chine. Les problèmes de mentalité sont différents, mais tous deux sont le reflet d’une culture asiatique qui, globalement, ne reconnaît pas le concept du bien-être général en tant que politique économique, ou de l’art de gouverner. D’après ce que nous connaissons de l’histoire, celui-ci est l’accomplissement de la seule civilisation européenne, depuis Solon d’Athènes et Platon, et surtout depuis la Renaissance du XVème siècle en Europe. L’idée de bien public, ou de bien-être général, est une caractéristique de la civilisation classique européenne, et une caractéristique du droit naturel dans la société européenne moderne. Ce n’est le cas nulle part ailleurs sur cette planète.

Nous sommes dans une phase de forte croissance démographique en Asie, en particulier. Aussi, après avoir rattrapé le seuil d’équilibre chez nous, nous devrons de toute urgence faire face au défi d’une culture eurasiatique. Cela signifie que la relance dans les pays de civilisation européenne devra prendre en compte les besoins et les aspirations d’une population en forte croissance en Asie. Une entente commune doit se développer entre pays européens et ceux de culture asiatique, permettant de passer d’une planète dominée par l’Europe à la conception nouvelle d’une planète eurasiatique. Cela implique d’élargir à tous les pays eurasiatiques les bienfaits de l’expérience européenne, notamment la technologie.

Si nous y parvenons, nous pourrons nous préoccuper de l’Afrique. Dans l’Afrique subsaharienne, nous avons affaire à un génocide délibéré. (...) Depuis les années 1970, la politique américaine et britannique, en particulier, énoncée par Henry Kissinger, est de « désafricaniser » l’Afrique subsaharienne. C’est une politique de génocide voulue par les intérêts anglo-américano-hollandais en Afrique.

Si l’on se met d’accord sur une conception de développement eurasiatique, l’on pourra arrêter cet énorme crime contre l’humanité actuellement perpétré en Afrique subsaharienne. (...)

Biosphère et noosphère

Pour atteindre ce stade, il est nécessaire de changer radicalement notre façon de penser. Nous ne pourrons plus continuer avec ce que les manuels scolaires ou la tradition nous enseignent. Ce qui m’amène à un sujet que j’ai souvent abordé : les implications des conceptions de « biosphère » et de « noosphère » de Vernadski.

Notre planète a quatre couches, dont au moins trois sont reconnues par des scientifiques compétents. La première est composée des processus abiotiques que nous pensons pouvoir expliquer sans prendre en compte les processus vivants. Nous supposons, même si ce n’est pas tout à fait vrai, qu’au-delà d’une certaine époque, il n’y avait pas d’activité de vie importante sur la planète, qu’elle était donc abiotique, sans vie.

Puis, au cours des millions d’années, la planète s’est transformée ; il s’est développé une « couche fossile ». Par fossile, j’entends l’atmosphère. L’atmosphère est un sous-produit de la vie, de même que l’eau. Considérez la croûte terrestre, en dessous de la surface. C’est dans la croûte, dans la zone fossile que nous trouvons la plupart des minerais et autres ressources. Si l’on y trouve des concentrations de potassium, c’est parce que de petits organismes qui concentraient en eux du potassium y sont morts. Le fer n’est pas distribué de manière abiotique sur notre planète mais, pour ce qui est du fer qui nous est accessible, là où des processus vivants sont morts. Et ainsi de suite. Cette couche s’appelle la biosphère, c’est celle des processus vivants ayant produit les fossiles.

Et nous avons un troisième domaine, la noosphère : l’homme, par sa raison créatrice, par ses découvertes scientifiques, transforme la planète. C’est un processus continu, une transformation cumulative. L’enveloppe de la planète change, non seulement à cause des processus vivants, mais du fait de l’activité mentale des êtres humains, reflétée par exemple dans la technologie.

La caractéristique commune à la biosphère et à la noosphère, qui les distinguent des processus physiques abiotiques, est leur principe créateur distinct. On l’appelle créateur car il ne se produit pas « naturellement » dans des processus non vivants, même si ceux-ci sont plus compliqués que ne le laissent entendre les livres de classe. Il existe un principe dynamique dans ces deux domaines.

Ces processus sont interactifs. Ce que fait le processus vivant, comme le souligne Vernadsky, consiste à assimiler du matériel de l’environnement et à le traiter. Le processus vivant est sélectif, il prend ce qui lui est utile et rejette le reste, il peut transformer certaines choses selon ses besoins, avant de les rejeter sous une forme différente. Tout comme le corps humain, l’organisme absorbe certains éléments avant de mourir. Après la mort, il se désintègre, il laisse ses dépôts. Or le principe qui occupe le corps vivant ne réside jamais dans le corps en tant que tel. C’est un principe qui agit sur le processus pour sélectionner et transformer la manière dont fonctionnent les processus abiotiques qui l’entourent.

Chez l’être humain, on trouve autre chose. Un principe qui n’existe chez aucune autre créature vivante : le potentiel de densité démographique des êtres humains n’est pas fixe, mais variable, en fonction de leur créativité, exprimée par exemple sous forme de découvertes scientifiques. Là aussi, il s’agit d’un processus de transformation qui ne se rencontre pas chez les animaux, ni dans l’aspect animal de l’homme. C’est une forme supérieure, qu’on appelle la raison humaine, présente chez tous les hommes. Ce principe ne meurt pas avec la personne humaine ; c’est un principe de l’univers.

Maintenant, nous exploitons les domaines fossiles à un rythme tel qu’il devient nécessaire de créer et de développer de nouvelles ressources. Au niveau le plus simple, c’est ce qui arrive lorsque l’on transforme le désert en zone de croissance féconde. Nous devons réfléchir à l’application de ce principe de manière plus étendue et systématique à l’avenir. Nous devons créer sur Terre les conditions nécessaires pour faire vivre correctement la population que nous entendons avoir, compte tenu de l’accroissement des besoins au fur et à mesure.

Cependant, nous devons aussi réfléchir à la nature de l’homme. Il ne s’agit pas de sa simple existence biologique. On ne doit pas se préoccuper de ses seuls besoins biologiques, même si cette idée de la vie suscite une certaine anxiété existentielle. Que recherchez-vous ? Voulez-vous vivre comme un Cheney ? Comme un parasite vivant aux dépens de la société, cherchant à profiter de la vie ? Ensuite, vous mourrez et que se passera-t-il ? Qu’est-ce que vous aurez eu ? (J’ai une idée du lieu où Cheney risque d’aboutir, mais ça, c’est une autre histoire !)

L’immortalité de l’âme

La vie humaine n’a-t-elle pas un but ? Un but qui transcende la vie et la mort en tant que telles ? Considérez notre culture, en particulier dans la civilisation européenne, en remontant à l’application par la Grèce antique du concept égyptien de géométrie sphérique. Nous sommes le fruit de la transmission de principes de découverte, qu’on appelle parfois des principes scientifiques. L’existence même d’une langue représente un héritage transmis d’une personne à l’autre. Et si vous vivez cette histoire, comme je le fais - je porte en moi à tout moment environ 3000 ans d’histoire, dans mes poches, pour ainsi dire - vous ne mourrez jamais ! Notre corps meurt, mais nous ne mourons pas. Nous sommes en communication avec des découvreurs anciens, par exemple Archimède ; lorsque nous reproduisons une découverte qu’Archimède a faite, une découverte unique, nous faisons revivre son esprit. Nous revivons en quelque sorte ce qu’il fut, non en tant qu’entité biologique, mais en tant que personne.

Nous vivons et progressons en faisant revivre et en transmettant de génération en génération, d’individu à individu, les idées sur lesquelles repose le développement de l’humanité. C’est cela la quatrième dimension, au-dessus de la noosphère : la dimension de la créativité humaine, de l’immortalité de l’homme. Et c’est cette conception qu’il faut adopter comme principe organisateur de l’économie pour les temps à venir.

Notre motivation ne doit pas être d’atteindre la prospérité, de devenir riche. C’est sans intérêt ! Nous allons mourir de toutes façons. Mieux vaut donc choisir quelque chose de valeur permanente, quelque chose qui ait une valeur durable, qui ne meurt pas au bout d’une vie. Développez l’occasion de faire quelque chose qui recèle la qualité d’immortalité. Comme les grands scientifiques qui génèrent et transmettent des idées, ou les grands artistes qui créent des oeuvres, transmises de génération en génération. Soyez immortels !

C’est cette compréhension de ce que l’homme doit être, de ce que la société doit être : le révélateur de l’immortalité de l’être humain. Exprimée de cette façon.

Nous devons donc changer notre mode de penser. Ainsi, au niveau de la science économique, j’ai défini une approche dans laquelle je juge l’argent du point de vue des valeurs physiques. Et par valeurs physiques, j’entends celles de chacun de ces quatre domaines : l’abiotique, le vivant, la qualité de l’être humain vivant et l’immortalité potentielle de chaque être humain. Voilà les quatre niveaux de la réalité physique - car leurs effets sont physiques.

Cette conception doit gouverner les décisions politiques que nous prenons, ainsi que les systèmes monétaires et financiers et les programmes de relance que nous adoptons. C’est de notre devoir, c’est notre avenir.

Cependant, je crois - sachant comment les gens sont aujourd’hui, comment ils se décrivent, ce qu’ils acceptent - qu’ils ne vont pas survivre. L’humanité telle que nous la connaissons en ce moment n’est pas apte à survivre.
Prenons l’exemple du Congrès américain, qui n’est pas la pire des institutions. Regardez le Sénat, qui est l’une des meilleures institutions des Etats-Unis. Quelles actions les élus refusent-ils de lancer ? Quel changement n’osent-ils pas mettre en œuvre ? Des changements qui sont pourtant indispensables, si cette nation veut survivre. Sont-ils prêts à les faire ? Sinon, où est l’aptitude à survivre ?

Qu’est-ce qui pourrait les amener à prendre les décisions dont dépend la survie de la civilisation ? Ils doivent partir non pas d’une conception d’avantage physique, ou d’avantage financier, non pas de leur propre gain ou de celui de leurs électeurs. Ils doivent penser à l’avenir de l’humanité.

Ils doivent se demander s’ils sont dignes d’être considérés comme immortels. Car si vous connaissez quelque chose de la vie et que vous voulez faire le bien, si vous voulez vous opposer à Cheney, votre mortalité sera immédiatement menacée. Si vous voulez changer un monde dominé par un Cheney, mieux vaut renoncer à toute idée d’immortalité automatique. Vous feriez mieux de commencer à travailler pour la mériter.

Voilà une bonne prévision.