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Crise chez EADS : les fruits d’une gestion financière à court terme

mardi 17 octobre 2006

par Rainer Appel
EADS : le potentiel d’un partenariat eurasiatique


Le gouvernement russe joue aussi désormais un rôle dans EADS, dont il a racheté 4,8 % par le biais de sa banque de commerce extérieur (VTB). La perspective de ces trois gouvernements contrôlant la majorité des parts d’EADS rend nerveux les mondialistes à tendance dure, car contrairement à d’autres arrangements, la combinaison franco-germano-russe offre à l’industrie aérospatiale européenne la perspective d’une réelle alternative, d’envergure eurasiatique, au chaos de la mondialisation anglo-américaine.

L’A380, victime du dégraissage et de la modélisation informatique

Jusque-là, l’aspect eurasiatique s’est avéré davantage un sous-produit de l’engagement des firmes aérospatiales que le résultat d’une volonté consciente des gouvernements. EADS a acheté 10 % d’Irkut, l’un des principaux avionneurs russes d’un nouveau groupe national que Moscou veut former en regroupant une vingtaine de fabricants russes ; EADS sera donc représenté.

D’un autre côté, Moscou a laissé entendre qu’il pourrait porter sa participation dans EADS à 10 % ou même davantage, pour avoir plus de poids sur la stratégie de développement et de production de la firme. Lors de leur rencontre avec le président russe Vladimir Poutine à Compiègne le 23 septembre, les dirigeants français et allemand, le président Jacques Chirac et la chancelière Angela Merkel, n’étaient pas vraiment enthousiasmés par cette idée. Mais la crise aiguë d’EADS, qui est aussi l’un des principaux fabricants de technologies spatiales en Europe, ne leur laisse guère le choix : le partenariat russe dans la coopération industrielle franco-allemande est la solution. Pour se protéger des tendances spéculatives destructrices des marchés privés et mondialisés de l’aérospatial, EADS doit simplement rester sous le contrôle de ces trois gouvernements.

EADS a un rôle privilégié dans le développement de l’aérospatial eurasiatique. En Russie, il sera impliqué dans plus de 20 projets, notamment la fabrication de composants destinés à l’avion de transport militaire de masse Airbus A-400 ; il sera aussi un partenaire du groupe Krunichev, renommé pour ses technologies de l’espace, dans le développement conjoint du nouveau système de transport spatial Rockot ; il peut également devenir un partenaire attractif dans le développement et la production de satellites et de systèmes de station spatiale russes ; avec la participation de la Russie, il produit le système Galileo, la réponse européenne à l’American Global Positioning System. Les générations futures de systèmes de position seront basées sur la recherche et le développement euro-russes.

La crise de l’aérospatial européen démontre que le sous-investissement tue le développement.

A l’issue d’une session d’urgence de son conseil d’administration, EADS a annoncé, le 3 octobre dernier, un troisième retard dans la livraison du tout nouveau super-gros-porteur de ligne A380, retard qui provoquera des pertes de l’ordre de 4,8 milliards d’euros par rapport aux profits escomptés, sur la période de 2006 à 2010.

Le plan ambitieux pour l’A380, qui avait pour but de maintenir Airbus en première place mondiale devant Boeing, tourne ainsi au véritable désastre : problèmes de gestion, problèmes techniques, le tout sur fond de concurrence féroce dans une mondialisation financière qui force les compagnies à rechercher sans relâche les coûts les plus faibles au détriment de la sécurité et de la qualité. La recherche de gains à court et à moyen terme ne pouvait qu’aboutir à ce résultat.

Ce nouveau retard est révélateur, cependant, d’une crise globale de la compagnie qui affecte tous ses avions : l’A320 déjà un peu vétuste, l’A350 peu concurrentiel par rapport aux nouveaux avions de Boeing et l’avion de transport militaire A400, lui aussi retardé de deux ans, à cause d’un poids trop élevé qui poserait des problèmes au niveau des réacteurs.

Au lieu des 25 nouveaux A380 initialement prévus, un seul sera livré à Singapore Airlines, et encore, pas avant octobre 2007. Cette première livraison, prévue à l’origine pour mars de cette année, puis reportée à décembre, ne sera finalement pas effectuée avant un an. Les compagnies aériennes des Emirats auront de la chance si elles reçoivent leur premier avion en août 2008, puis 13 autres fin 2010, au lieu des 45 qu’elles ont commandés.

A l’origine de ces déboires, de gros problèmes de câblage pour l’avion géant qui requiert un total de 500 km de câbles électriques (pour 14 000 connections) pour faire fonctionner télévision, téléphone, Internet, sièges électriques et autres gadgets dans les cabines de cet avion à double pont. Derrière ces problèmes techniques sur le site de production de Hambourg, aggravés par un manque de coordination des programmes informatiques utilisés dans les usines de Toulouse et d’Allemagne, il y a surtout les choix de gestion de la compagnie, qui a cherché à baisser les coûts en réduisant radicalement le nombre d’ingénieurs employés et en préférant la modélisation informatique à la construction de pré-séries, qui auraient permis d’identifier les problèmes. En mars de cette année, Daimler, le partenaire allemand, a tenté en vain de recruter par voix de presse 400 ingénieurs pour remédier à cette situation. Outre la tentative de réduire de 8 à 6 ans le cycle de développement de l’avion par ce procédé, on a augmenté de 20 % la « productivité » par l’exploitation de la main d’œuvre.

Fortes restructurations à l’ordre du jour

Le 3 octobre, la direction d’EADS a également annoncé un plan draconien de restructuration, intitulé Power 08, et tout indique qu’après avoir échoué lamentablement en appliquant les méthodes de la mondialisation financière, la direction propose de poursuivre dans la même direction avec des suppressions d’emplois, des délocalisations vers l’Asie et de grosses réductions des dépenses.« C’est un problème majeur qui fait peser des menaces lourdes de conséquences pour le tissu industriel et l’emploi dans de nombreuses régions françaises », a souligné Martin Malvy, le président du conseil régional de Midi-Pyrénées, région mère du développement du groupe. L’activité d’EADS-Airbus représente quelque 16 800 salariés répartis sur les sites de Toulouse, Blagnac, Colomiers et Tarbes, ainsi qu’un formidable réseau d’équipementiers et de sous-traitants représentant 568 établissements et 58 400 emplois directs et indirects.

La crise profonde qui secoue Airbus, pierre angulaire de l’industrie aérospatiale franco-allemande, est à rapprocher, côté allemand, de la décision de Daimler-Chrysler de quitter l’aérospatial pour se consacrer exclusivement à la production automobile. Daimler-Chrysler a déjà vendu 7,5 % de sa part de 30 % dans EADS, la firme franco-allemande mère d’Airbus, et son intention de vendre le reste a sonné l’alarme en particulier à Berlin, où le gouvernement prévoit d’acheter les parts d’EADS pour empêcher l’appropriation de ce savoir-faire crucial par du capital non-allemand. Suivant l’exemple du gouvernement français qui racheta les parts du groupe Lagardère pour atteindre le seuil des 15 %, Berlin envisage d’utiliser la banque du Kreditanstalt fuer Wiederaufbau (KfW) (Banque de reconstruction) pour racheter les parts de Daimler-Chrysler.