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Vous avez dit « racaille » ?

vendredi 28 juillet 2006

par Benoit Chalifoux

Cet article a été exceptionnellement tiré du journal Nouvelle Solidarité (n° 14, 28 juillet 2006).

Nicolas Sarkozy a promis à plusieurs occasions de débarrasser la France de sa « racaille » afin d’améliorer, selon lui, la sécurité de ses citoyens. Il a également décidé de faire la chasse aux démons étatiques qui sont responsables, selon lui, du marasme économique de notre pays.

C’est dans cet esprit qu’il avait commandé, alors qu’il était ministre de l’Economie, un rapport sur les moyens permettant de faire face à la crise de l’emploi. Ce rapport, intitulé Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France et rédigé sous la direction de l’ancien directeur du Fonds monétaire international Michel Camdessus, est aujourd’hui notoire pour avoir servi d’inspiration aux nouveaux « contrats » d’embauche, les CNE et CPE. Ce dernier a été rejeté, comme chacun le sait, avec vigueur par la jeunesse de notre pays au printemps 2006. Mais ce n’est pas tout.

Ce rapport, que Sarkozy a décrit comme son « livre de chevet », n’est rien d’autre qu’un manifeste ou une déclaration de guerre contre l’Etat français par la Synarchie, un groupe sélect de financiers voyous historiquement associés au corporatisme des années 20 et 30. L’un des co-auteurs de ce rapport est un certain Bertrand Badré, ancien inspecteur des finances et associé gérant chez Lazard Frères. (Il a été auparavant, selon la revue Banque, « assistant director (sic) chez Lazard Brothers & Co à Londres (1999/2000), director (sic) chez Lazard Frères à New York (2000/2002) » et représentant personnel adjoint du Président de la République pour l’Afrique.) Cette auguste maison bancaire a téléguidé la vague de fusions-acquisitions qui a déferlé sur le monde depuis un quart de siècle : ce qui a permis de regrouper, puis de livrer à un infime groupe de financiers, les leviers de commande dans les secteurs de l’énergie, de l’acier, de l’eau et autres matières premières, ainsi que ceux de l’industrie de transformation et des services essentiels.

« Je meurs de soif auprès de la fontaine »

Camdessus et Badré sont également co-auteurs d’Eau, un livre publié en 2004 chez Robert Laffont. Leur thèse : arracher des mains de l’Etat le développement et la gestion de services publics comme l’eau, domaine dorénavant réservé à des groupes financiers privés.

C’est d’ailleurs là l’une des principales obsessions de Badré. Dans un article rédigé pour le compte de l’Association d’économie financière, intitulé « Je meurs de soif auprès de la fontaine », il affirme hypocritement que l’eau douce est disponible en quantité abondante sur terre mais que les Etats manquent de moyens pour financer les réseaux de traitement et de distribution au bénéfice des populations mal desservies. Ainsi, après avoir asséché depuis plusieurs décennies les sources de revenu de l’Etat au profit de la dérégulation financière, les synarques proposent, par la bouche de Badré, de « mettre le local au coeur du dispositif », de développer l’eau en ayant « recours à l’investissement privé, grâce à l’utilisation de la panoplie des divers instruments financiers ».

Les défauts de ce « dispositif » furent toutefois récemment révélés au grand jour lorsque le président argentin Nestor Kirchner se vit obligé de rompre, au printemps 2006, le contrat accordé par l’ex-président Carlos Menem à Aguas Argentinas, filiale de Suez, pour la gestion de l’eau. Après l’éclatement, ces dernières années, de la bulle financière générée par la ruée des « investisseurs internationaux » sur les nouvelles entreprises privatisées en Argentine, Suez fut amenée à exiger des augmentations de tarifs de 40 %, malgré la mauvaise qualité de l’eau fournie à la population de ce pays et la misère qui s’est abattue sur elle.

La haine de l’Etat

C’est cette même alliance de cartels et de banques qui promeut en France les attaques contre les valeurs de la cinquième République, valeurs inspirées des programmes du Conseil national de la résistance du 11 mars 1944 et du Front populaire. Lors d’une « table ronde sur la carence de réformes de l’Etat » qui s’est tenue le 19 octobre 2005 à la Maison des Polytechniciens, Badré a déclaré que cela fait vingt ans que les Français croient que l’on fait de la rigueur alors qu’il n’en est rien !

Ainsi la misère qui hante les personnes âgées, les millions de patients frappés par les infections nosocomiales dans des hôpitaux sous financés, les 10 % d’illettrés fonctionnels qui sortent de lycées à la dérive, faute de moyens budgétaires, les centaines de milliers de sans abris victimes de la spéculation immobilière, tout cela n’aurait été qu’illusion ! Il faut que l’Etat dérégule plus, laissant l’économie entière aux mains des pirates de la finance, et qu’il réduise encore plus ses ressources budgétaires.

Mais la dérégulation qui a été entérinée par nos gouvernements à l’égard des institutions financières au cours de la même période a conduit, parallèlement, à l’enrichissement éhonté d’une petite clique de privilégiés, à la multiplication de bulles spéculatives qui menacent d’éclater à tout moment. Face à l’imminence d’une déferlante de faillites de hedges funds et de banques étroitement associées à cette orgie spéculative, les synarques ont tout simplement décidé de passer à la phase ultime, c’est-à-dire la phase fasciste : ils entendent désormais s’allier à des technocrates complices à l’intérieur des institutions de l’Etat et renflouer l’ensemble du système bancaire en imposant, sur le dos des populations, une austérité renforcée.

C’est dans cet esprit que Badré a proposé, lors de cette table ronde, de mettre en oeuvre huit axes d’action prioritaire pour faire face au problème de la faillite (non encore officiellement reconnue) du système financier : 1) resserrer les structures gouvernementales ; 2) diminuer le nombre de fonctionnaires ; 3) réduire le nombre d’échelons administratifs entre les collectivités locales, l’Etat et l’Europe ; 4) mettre en oeuvre la loi organique relative aux lois de finances ; 5) généraliser la contractualisation ; 6) rétablir l’ » équité » dans les transferts publics ; 7) avoir une « réelle discipline budgétaire » et 8) généraliser la contrainte budgétaire à l’ensemble des services publics et collectivités locales. De quoi faire rougir Pierre Laval, auteur de la politique de déflation salariale de 1935 et propriétaire, à l’époque, d’un puissant cartel de médias écrits et radiophoniques. Rappelons que Laval finit par devenir le chef du gouvernement de Pétain sous l’occupation de la France par les nazis.

Face à ces fâcheux précédents historiques, et prenant en compte la gravité de la crise financière et économique, nous exigeons de Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss Kahn et Ségolène Royale qu’ils dévoilent l’identité de tous leurs conseillers en matière économique et financière pour la campagne présidentielle. Ils doivent également expliquer, avant d’être pris au sérieux par les électeurs français, comment ils entendent défendre l’intérêt général du peuple français et la sécurité de la nation face aux attaques de cette racaille financière.