Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Bagdad

mardi 3 décembre 2002

J’écoutais l’autre soir, à la Mosquée Adda’wa, un très bel exposé sur la Bagdad abbasside, en ces temps où une Maison de la Sagesse mariait foi et raison, philosophie grecque et science arabe, Orient et Occident. Bagdad, cosmopolite et multiconfessionnelle, rassemblant Persans, Turcs, Byzantins, Berbères, chrétiens, juifs, zoroastriens, chiites et sunnites, était alors, au IXème siècle, une ville de plus de 200 000 habitants, peut-être même un million, alors que Paris n’en comptait que quelques milliers. C’est dans ce milieu urbain volontairement organisé que l’algèbre allait être inventée, l’astronomie, l’optique et la médecine effectuer des progrès décisifs.

De cette Bagdad-là, bâtie en brique crue, il ne nous reste aucun témoignage matériel. Cependant, elle demeure présente dans notre mémoire comme défi et exigence.

Défi, car la guerre menace aujourd’hui le peuple irakien et le monde. Défi, car elle représentait - de manière humaine, donc nécessairement imparfaite - un effort réussi de vouloir vivre en commun, de développement mutuel et donc de paix, c’est-à-dire ce qui nous manque le plus. Défi, car elle nous appelle à combattre l’ultra-droite militaire américaine, les Wolfowitz, Perle, Lieberman, McCain, Cheney, Rumsfeld, c’est-à-dire tous ceux qui, pour préserver leur pouvoir et celui des gangsters qui les promeuvent, veulent empêcher que s’instaure un ordre plus juste de développement mutuel. Défi, car des mesures liberticides se mettent déjà en place aux Etats-Unis, sous la tutelle du ministre de la Justice, John Ashford, avec les premiers éléments d’un système de délation organisé, comme le voudrait par exemple l’organisation Corpus Watch de Daniel Pipes, qui se voue à la traque des « éléments indésirables ». Défi, car un Henry Kissinger - l’homme de tous les mauvais coups - vient d’être nommé par le président Bush à la tête d’une commission « indépendante » pour enquêter sur les attaques du 11 septembre !

Exigence, pour nous autres Français particulièrement, parce que nous devons faire de la société où nous vivons une nouvelle Maison de la Sagesse, c’est-à-dire du savoir et de la croissance partagés. Pour cela, nous devons contribuer à arrêter la guerre dans le monde, en jetant les bases d’un ordre de paix. Cela signifie affronter l’oligarchie anglo-américaine, sans trop de beaux discours, mais avec bien plus de courage et de fermeté stratégique. Chez nous, la réponse est une coexistence fraternelle entre religions et humanismes, qui fasse ses preuves dans la réalité du monde économique et social en donnant corps à cette justice dont chacun se réclame en principe, mais pratique avec beaucoup trop de modération.

Bagdad peut être demain l’odeur d’un champ de décombres ou le parfum d’un monde où il fera bon vivre. Cela dépend de chacun d’entre nous, si nous apportons dans le monde et chez nous le meilleur de nous-mêmes.