Les analyses de Jacques Cheminade

Sarko, Bayrou, Royal : le manège à trois

mardi 13 février 2007, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Notre campagne présidentielle vole très bas. Non pas tant à cause des bourdes, des montages et des contre-vérités des uns et des autres, mais parce qu’aucun candidat ne relève les défis de notre époque. C’est la raison principale pour laquelle je suis entré dans l’arène : pour insérer dans le débat ce qui compte et tenter de transformer ainsi un cirque romain en école du peuple républicain. Les Français ont besoin de s’estimer eux-mêmes, et pour qu’ils le fassent, il faut d’abord les respecter plutôt que leur jouer une mauvaise comédie dans un monde qui devient de plus en plus tragique.

L’enjeu qui détermine tous les autres est l’effondrement du système financier et monétaire international qui, en ne créant plus de richesses réelles, en n’équipant et en ne respectant plus ni les hommes ni la nature, nous conduit au désastre. C’est dans ces conditions que l’oligarchie financière, qui contrôle l’administration américaine Bush-Cheney, pratique une fuite en avant vers la guerre pour garder le pouvoir dans la crise - comme elle le fit pendant les années 30 du XXème siècle. La politique d’Angela Merkel, qui préside l’Union européenne et a pour ami et allié Nicolas Sarkozy, est le relais européen de cette politique : elle propose que non seulement on revienne au Pacte constitutionnel rejeté par les Français, c’est-à-dire à une Europe des banques contre les peuples, mais qu’on signe un traité de libre échange transatlantique, ce qui revient à rentrer dans le cercueil au moment où il se ferme.

Les jeunes sont les premières victimes de cette déraison sans avenir, avec un enseignement devenu machine à noter, à classer et à reproduire des inégalités.
Rien, rien de substantiel n’est proposé par les trois principaux candidats. Plus qu’une élection présidentielle, l’on voit tourner un manège à trois ego.

Nicolas Sarkozy change plus vite que son ombre - à moins qu’il ne l’ait perdue en chemin. Le jongleur fait voler entre ses mains Jaurès, Mendel, Eboué, Blum, Clemenceau, saint Louis, Carnot, Valmy et j’en passe. Il nous donnerait le tournis si des faits et des gestes clairs ne trahissaient son vrai visage :

  1. Lorsqu’il a rencontré George Bush aux Etats-Unis, il a pris position pour l’adoption éventuelle de mesures militaires contre l’Iran, c’est-à-dire qu’il s’est rangé dans le camp des néo-conservateurs américains contre son propre gouvernement et son propre Président de la République ! C’est un fait. De plus, la « méthode Chirac » est aujourd’hui critiquée dans l’entourage du candidat de l’UMP, alors que celui-ci s’efforce d’empêcher George Bush de déclencher des bombardements contre les installations nucléaires iraniennes, pour l’instant civiles et inachevées, avec le recours éventuel à... des mini-bombes nucléaires.

    Ce que Le Canard enchaîné du 24 janvier fait dire à Jacques Chirac - « Si ce type [Sarko] était élu, il nous mettrait le monde entier à dos. C’est un atlantiste, pro-Bush et pro-Likoud » - n’est peut-être pas exactement ce qu’il a dit, mais rend raisonnablement compte de la réalité. De toutes façons, l’on sait qu’avec une présidence Sarkozy, la France aurait fait partie de la désastreuse coalition Bush-Cheney-Barroso-Aznar-Blair qui a lancé la guerre contre l’Irak.

  2. La petite phrase la plus significative du discours prononcé par Nicolas Sarkozy le dimanche 14 janvier est la suivante : « Je propose que l’on fasse de la France un pays de propriétaires parce que lorsqu’on a accédé à la propriété, on respecte son immeuble, son quartier, son environnement... et donc les autres. » Cette France-là, dans laquelle les locataires pauvres sont supposés ne rien respecter, est aux antipodes de la France libre et des héros de la Résistance dont notre orateur se réclame. Rappelons que le général de Gaulle, à Londres, interrogé sur l’absence auprès de lui des élites françaises d’alors, répondit : « Les possédants sont toujours possédés par ce qu’ils possèdent. » On pourrait dire aujourd’hui que M. Sarkozy est possédé par l’obsession du pouvoir et par ceux qui, espère-t-il, le lui procureront ; c’est-à-dire les possédants financiers du camp opposé à celui de la France libre.
  3. M. Sarkozy revendique tous les héritages, y compris celui... des croisades, en le mêlant à celui de Valmy. Sans doute veut-il ainsi pêcher les voix de M. de Villiers et de sa campagne qui dénonce virulemment l’Islam, comme aux temps de Pierre le Vénérable. En fait, M. Sarkozy est un ultramontain : comme hier la chevalerie normande était financée par Venise dans ses expéditions de pillage, aujourd’hui M. Sarkozy endosse les guerres contre les pays de l’Asie du Sud-Ouest avec l’appui des héritiers de la Sérénissime. Doc Gynéco et Johnny Halliday ne sont que les sous-fifres de cette « croisade » contemporaine de l’argent tous azimuts.
  4. Nicolas Sarkozy affiche sans complexe son « choix européen » - celui d’Angela Merkel, de ses amis néo-conservateurs (Jeffrey Gedmin et Richard Perle) et de leurs disciples français du Meilleur des mondes - en annonçant l’adoption par le Parlement français d’une mini-Constitution reprenant les principales dispositions du projet rejeté en 2005.
  5. M. Sarkozy a notamment sollicité Anne Lauvergeon, présidente d’Areva (notre monopole nucléaire) pour compléter sa future équipe ministérielle. Rappelons que c’est Anne Lauvergeon (aussi girouette politique que le candidat présidentiel, mais ayant comme lui la boussole toujours réglée sur le pôle financier) qui a nommé M. Spencer Abram représentant d’Areva aux Etats-Unis. Or M. Abram, ancien secrétaire à l’énergie de George W. Bush, est l’un des représentants les plus éminents du courant néo-conservateur et contribue aux travaux de la Federalist Society, qui promeut une « présidence unitaire » - c’est-à-dire un exécutif sans contrepoids - dans la tradition (ou du moins celle qu’ils ont retenue) de Carl Schmitt, le juriste du Troisième Reich.
  6. Interrogé sur la mort du dictateur fasciste chilien Augusto Pinochet, Nicolas Sarkozy n’a rien trouvé à dire, pas plus que confronté aux propos racistes de Pascal Sevran (« il faudrait stériliser la moitié de la planète » et, évoquant la famine au Niger : « La mort est au bout de leur bite »). Pour un homme qui réagit et change plus vite que son ombre, tant de timidité est révélatrice.
  7. Les mesures qu’il préconise dans tous les domaines vont à l’encontre des intérêts des travailleurs et des 80 % des Français les moins riches. Ainsi, le bouclier fiscal à 50 %, la réduction de l’ISF à presque rien, la baisse de l’imposition sur la transmission des patrimoines. Ici, on est bien plus près de Milton Friedman que de Jean Jaurès...

    Par ailleurs, dispenser les entreprises de charges sociales sur les heures supplémentaires revient à les encourager à multiplier celles-ci plutôt qu’à créer des emplois qui, eux, seront taxés.

  8. Enfin, Nicolas Sarkozy reste « sécuritaire » à tous crins - la sécurité des biens, sans que s’améliore celle des personnes, puisqu’aucune sécurité économique ou sociale n’est assurée par ses amis ! Lui-même n’a-t-il pas déclaré : « Le premier outil de la prévention, c’est la sanction » ?

Il y en aurait donc assez pour dégoûter les électeurs de voter pour ce vibrion néo-conservateur, de même que les Américains ont voté le 7 novembre 2006 plutôt contre Bush que pour les démocrates.

Mme Royal et l’environnementalisme financier

Malheureusement, les principaux atouts de M. Sarkozy sont Ségolène Royal et François Bayrou, ses partenaires du manège médiatique.

Ségolène Royal, au-delà de ses bourdes à répétition dans les domaines fondamentaux de notre politique étrangère et de défense, a pris des positions extrêmement dangereuses pour notre avenir dans le domaine de l’énergie et de l’environnement. Inspirée par son opportunisme, par l’ancien dirigeant de Greenpeace France et par le curieux professeur Belpomme, elle a déclaré « tenir fermement le flambeau de Nicolas Hulot » et vouloir « passer à l’action ». Elle entend ainsi ramener la part d’électricité d’origine nucléaire à 50 % d’ici 2017 (contre 80 % aujourd’hui) - ce qui supposerait la fermeture de 21 réacteurs nucléaires sur les 58 actuellement en fonctionnement - et se propose d’arrêter progressivement les deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin), sans avoir consulté ni le maire de Mulhouse, ni celui de Fessenheim, ni la population alsacienne, ce qui augure mal de sa « démocratie participative ». Pourquoi est-ce si grave ?

D’abord, parce qu’en termes de chiffres sérieux, cela permet aux sarkozistes (et M. Devedjian ne s’en est pas privé) de railler à juste titre son incompétence. En effet, pour remplacer un nucléaire réduit à 50 %, elle ne peut rien proposer de rationnel, aucune option jouable, car il n’y en a pas ou, s’il y en a, comme les centrales à gaz, elles sont plus polluantes en CO2 !

Ensuite et surtout, Ségolène Royal prend ainsi le parti d’un environnementalisme financier qui va à l’encontre du véritable écologisme, l’écologisme humain. En effet, « l’écologisme », dans l’histoire humaine, consiste à adopter les inventions qui permettent, sous forme d’applications technologiques, d’accroître la capacité d’accueil de la nature tout en réduisant le travail physique humain. Au contraire, l’environnementalisme « vert » qu’a endossé Ségolène Royal repose sur l’idée que l’homme ne doit pas porter atteinte à la nature, ce qui arrange bien les intérêts financiers qui opèrent dans un monde de ressources fixes.

Ségolène Royal et ses conseillers ne tiennent ainsi aucun compte de la notion fondamentale de densité de flux d’énergie, dont les accroissements successifs définissent une société anti-entropique, c’est-à-dire dépassant, par l’application de nouveaux principes physiques universels, le « verrouillage » du système reposant sur des principes antérieurs. Dans une société, quand les conditions limites d’application d’une forme d’énergie sont approchées, ces conditions réagissent sur le processus qui se déroule au sein de ces limites, et il n’y a que deux portes de sortie : rester au niveau du système où l’on se trouve, et s’autodétruire, ou bien en sortir par les applications d’un nouveau principe. C’est précisément cette mutation qui exige un changement dans le comportement de la société, une conception « dynamique » dans laquelle « il n’est de permanent que le changement ».

Ségolène Royal cherche au contraire une issue qui ramène au passé, et tombe ainsi entre les mains de ceux que sans doute elle considère comme ses ennemis : les financiers partisans d’un système fixe et de l’exploitation de ses composantes, jusqu’à un chaos et une dislocation sociale absolue. La principale émission polluante, si cette partie du programme de Ségolène Royal était adoptée, serait celle de « capital fictif », comme l’appelait Rosa Luxembourg. En fin de comptes, elle ne sort pas de l’univers dont les limites sont définies par M. Sarkozy et ses amis, et que ceux-ci savent sans doute gérer plus habilement qu’elle - au détriment de nous tous !

Le monétariste Bayrou

Quant à François Bayrou, qui prétend défier les intérêts financiers et la presse qui les sert, il est en fait tout à fait serviable, comme il l’a toujours été au cours de sa longue carrière politique, vis-à-vis du libéralisme monétariste le plus crû.

Non content de proposer d’inscrire dans la Constitution « l’interdiction pour tout gouvernement de proposer un budget en déficit de fonctionnement » (est-ce un concours Lépine avec M. Sarkozy ?), il est le seul dirigeant politique français à se déclarer satisfait du mandat actuel de la Banque centrale européenne et de l’euro. « Il faut arrêter de faire croire aux Français que les causes de nos difficultés viennent toujours d’ailleurs, de Bruxelles, de l’étranger, de l’euro. La Banque centrale a deux missions : lutter contre la hausse des prix qui touche de plein fouet les petits revenus, c’est ce qu’elle fait en freinant la création de monnaie » (Le Parisien du 29 décembre 2006). La BCE et l’euro en bienfaiteurs des Français modestes, personne n’avait osé avant M. Bayrou, si ce n’est MM. Trichet et Noyer, le gouverneur de la Banque de France qui affirme aujourd’hui sans rire que « les banques centrales ont pour objectif principal s’assurer la stabilité des prix » et que « toute autre conception serait non démocratique ».

Ce mépris pour la croissance, la production et les peuples est la marque distinctive de nos élites. M. Bayrou, soudain abondamment promu par Le Journal du dimanche (28 janvier) et par Libération (29 janvier), n’a plus le droit de protester : elles ont reconnu un des leurs, et le voilà crédité de 14 % des intentions de vote dans les sondages. Pour sa propagande, tout aussi Docteur Jekyll et Mister Hyde que celle de Nicolas Sarkozy, il drague à gauche avec une anecdote édifiante : trouvant refuge, la nuit depuis longtemps tombée, dans la brasserie de Maître Kanter à Brest, il voit s’approcher un homme, « la quarantaine empruntée », qui s’approche de sa table pour lui glisser un papier plié en quatre avant de s’esquiver. Il est écrit : « J’ai toujours voté à gauche. Cette fois je vote pour vous. Bonsoir. » C’est beau comme l’antique.

Et les autres

Ainsi dans un jeu de scène qui fait penser au Visionnaire du grand poète allemand Friedrich Schiller, le régisseur financier anime son manège à trois avec des participants de second ordre, admis tout de même en raison de leur flexi-sécurité : Mme Buffet gèle des voix dans un communisme désormais sans espoir ni doctrine, M. Besancenot cogne, Mme Laguiller récite son catéchisme et M. Schivardi est le nouveau faux-nez des ex-lambertistes du Parti des travailleurs, un faux-nez qui fustige Maastricht et ses conséquences mais qui a voté « oui » au référendum de 1992 « par fidélité à Mitterrand ». Cet allergique aux calculs politiciens est un ancien militant et cadre socialiste, vice-président de la communauté de communes du Canal du Midi en Minervois.

José Bové, dernier venu sur la scène avec sa cavalerie médiatique, renforce - après Nicolas Hulot, et en plus hard - l’arrière-plan anti-science et anti-nucléaire de la campagne. Si vous relisez le Prométhée enchaîné d’Eschyle, c’est le point de vue d’un Zeus qui refuse aux Hommes l’usage du feu que Prométhée veut leur apporter.

Gardons Le Pen pour la fin. En vue d’assurer l’héritage de sa fille, le vieux reître fait sa chattemite et participe à son tour et sans scrupule au jeu de faux semblants en se disant maintenant de « centre droit », « anti-libéral » et « populaire ». Il traîne cependant derrière lui non seulement toutes ses vieilles casseroles douteuses, mais aussi les mesures... ultra-libérales de son programme officiel : taux maximal de l’impôt sur le revenu de 20 % au lieu de 40 % (tu montres tout ?), impôt sur les sociétés de 20 % au lieu de 33 %, etc.

Décidément, tous ces hommes et ces femmes neufs portent des habits aussi usés que ceux dont M. Simon Leys habillait le président Mao en son temps. En fait, dans le jeu oligarchique, on se positionne par rapport à des forces ou des exigences de mode, alors que dans une véritable conjuration humaniste, on se détermine par rapport à des principes.

C’est pourquoi mes idées, inspirées, elles, par des principes, seraient capables de changer l’ordre du débat - en en faisant un débat de principe sur les moyens de mettre en place un New Deal global visant à éliminer le pouvoir d’une synarchie financière qui porte en elle la guerre.

Je suis le seul, hélas, à faire le lien entre la politique internationale et la politique intérieure et à me battre pour la destitution de Bush et de Cheney aux Etats-Unis, condition nécessaire pour avoir en France une véritable justice et une politique de progrès social. C’est aussi la condition pour libérer la France, une fois de plus, de ces intérêts financiers qui occupent aujourd’hui notre pays et qui sont les successeurs de ceux qui, hier, ont promu les Hitler et les Mussolini en Europe. Mon projet combat « le chantage du fascisme financier », auquel il faut malheureusement constater que les autres cèdent, sous diverses étiquettes, comme on vend les mêmes produits sous des apparences différentes, en promotion ou non, dans nos supermarchés.