RIA Novosti

Economie russe : éviter la bulle spéculative et transformer l’essai

mardi 13 mars 2007

par Anatoli Gorev, analyste financier, pour RIA Novosti

Les représentants de plusieurs ministères et départements ont rendu publiques en février leurs prévisions macro-économiques pour les prochaines années. Ce fait n’a rien de sensationnel : c’est au début de l’année qu’il faut établir des plans pour l’avenir, qui plus est en cette année préélectorale, c’est pourquoi le moment convient particulièrement bien pour évaluer les perspectives du développement de l’économie nationale à moyen terme. Le fait que tous les principaux indices macro-économiques soient directement « rattachés » à l’évolution des prix du pétrole n’est pas non plus étonnant : cela est depuis longtemps la norme quand on brosse divers scénarios de développement de l’économie russe. Autre fait significatif : tous les pronostics reposent sur l’attente d’une baisse graduelle des prix du pétrole, mais ce fait suscite non pas une préoccupation des autorités russes, comme on pouvait s’y attendre, mais plutôt un optimisme modéré. En tout cas, cela concerne au moins l’évaluation des futurs taux de croissance économique et la prévision des taux d’inflation pour les trois prochaines années.

Cet optimisme peut sembler encore plus étonnant si l’on sait que les prévisions ministérielles ne tablent pas sur un « refroidissement » insignifiant et de courte durée du marché mondial du pétrole, mais sur une chute considérable des prix de « l’or noir ». Ainsi, le ministère des Finances estime qu’en 2007 les cotations des contrats de livraison du pétrole russe Urals pourraient baisser de 61 à 55 dollars le baril. En 2008, la chute des prix continuerait et l’indice annuel moyen pourrait descendre à 53 dollars le baril. En 2009 et 2010, il pourrait constituer respectivement 52 et 50 dollars le baril. Bref, en trois ans, le prix du pétrole russe devrait baisser de plus de 10 dollars !

Il s’avère que les autorités russes attendent de ce scénario non pas une aggravation des problèmes budgétaires et la baisse des taux de croissance économique, mais une amélioration de la situation là où il était impossible de remporter jusqu’à présent des succès importants. Par exemple, le premier vice-président de la Banque de Russie Alexeï Oulioukaïev estime que la baisse des prix du pétrole entraînera inévitablement la réduction de l’afflux de pétrodollars dans l’économie russe. Cela ralentira les cadences de renforcement du rouble et, vers 2011, l’accroissement du cours de la monnaie russe cessera totalement, avance-t-il. Si ce scénario devient réalité, le vieux rêve du gouvernement pourra se réaliser : les cadences de croissance économique du pays s’accéléreront, car le « rouble fort » cessera de peser sur le secteur réel de l’économie.

En ce qui concerne les autorités financières russes, en cas de ralentissement ou de cessation de l’accroissement du cours du rouble, elles se débarrasseront du problème suivant : en ce moment, la Banque centrale de Russie est contrainte d’endiguer l’inflation et, en même temps, d’acheter sur le marché les « dollars en trop », afin d’empêcher un brusque renforcement du rouble. Au fur et à mesure de la stabilisation de la situation sur le marché des valeurs, elle pourra se concentrer sur le règlement du premier de ces problèmes. Il est à noter que les autorités russes prévoient, pour les quelques années à venir, des taux d’inflation relativement bas. Ainsi, selon les prévisions du ministère du Développement économique, pour 2007, les taux d’accroissement des prix des biens de consommation pourraient constituer 7,5 à 8 %. On suppose qu’ils resteront à peu près à ce niveau au cours des trois prochaines années, bien que ces mêmes trois prochaines années doivent être marquées par une hausse considérable des tarifs des services des monopoles naturels. En 2008, les prix du gaz s’élèveront de 25 %, en 2009 et 2010, de 27,7 % par an. La hausse des tarifs de l’électricité pour la population sera de 14 % en 2008, de 15 % en 2009 et de 18 % en 2010. De l’avis des analystes de Deutsche UFG, le « facteur tarifs » ne permettra pas au gouvernement de réduire considérablement l’inflation à moyen terme. Cependant, il y a des raisons de penser que les taux d’accroissement des prix dépasseront le cadre établi par les autorités financières russes, estiment les analystes.

Par conséquent, dans l’ensemble, les perspectives à moyen terme de l’économie russe sont positives. Mais une réserve s’impose : pour que les taux de croissance économique restent à un niveau élevé, pour que l’inflation et les taux d’accroissement du rouble baissent, la Russie devra modifier son modèle de développement économique. De l’avis des analystes de la société d’audit et de conseil FBK, le modèle actuellement en vigueur peut être qualifié, à juste raison, de « spéculatif ». Une analyse publiée la semaine dernière par la société FBK souligne que ce modèle se distingue, avant tout, par un haut pourcentage des reventes de produits dans divers secteurs de l’économie ayant pour but de tirer des profits. En fait, il est impossible d’assurer une croissance durable et stable dans un pays disposant d’un tel modèle de développement économique, car « les volumes des placements financiers dépassent nettement ceux des investissements en capital fixe ». Cela rétrécit la base nécessaire à un accroissement stable des investissements dans l’économie et, par conséquent, ralentit les cadences d’accroissement du PIB. Qui plus est, l’économie qui suit ce modèle de développement court des risques sérieux, car le marché des valeurs commence à y jouer un rôle hypertrophié. Cela crée des conditions idéales pour le développement d’un effet « bulle de savon ». Les événements qui ont eu lieu il y a 10 ans dans les pays du Sud-Est asiatique ont montré éloquemment ce que risquent les économies nationales en cas d’éclatement de la bulle.

D’ailleurs ce n’est pas une crise boursière, pour l’instant hypothétique, qui représente aujourd’hui le danger principal pour la Russie, mais la perspective réelle d’une baisse des taux de croissance économique à moyen terme, estiment les analystes. Selon leurs estimations, en 2006, l’économie nationale a enregistré des indices assez bons : le taux d’accroissement du PIB a été de 6,7 %. « Cependant, tôt ou tard, la tendance à l’accroissement des placements purement spéculatifs conduit à la diminution relative des investissements en capital fixe, ce qui freine la croissance économique. Autrement dit, si les tendances spéculatives ne diminuent pas à court terme, on peut prévoir une baisse des taux annuels de croissance économique jusqu’à 4 ou 5 % », lit-on dans le rapport de la société FBK.

La Russie a-t-elle assez de temps pour changer un modèle de développement économique qui s’est épuisé ? Les experts répondent par l’affirmative et citent les changements positifs déjà intervenus. En janvier 2007, la production industrielle a constitué, par rapport à janvier 2006, 108,4 %. Cet accroissement a été assuré, avant tout, par celui enregistré dans les industries de transformation : 117,3 % par rapport à l’année dernière. Selon les experts, c’est une bonne tendance. Cependant, cela signifie-t-il que le modèle spéculatif de l’économie russe appartient au passé ? Certes non. Cela signifie que nous avons les moyens de changer de modèle.

L’avis de l’auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction.