Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Crémieu

lundi 7 juillet 2003

Il est des moments au cours desquels la relativité du temps devient perceptible : trop de choses dépendent alors du passé, trop nous rattachent à l’avenir pour qu’il puisse s’agir simplement du présent. Nous vivons ces moments avec cette légèreté et ce détachement des pesanteurs quotidiennes que seul peut offrir un effort de découverte partagé, le bonheur de défricher des terres inconnues et de les rendre accessibles à ceux qui nous entourent. C’est ce qu’ont ressenti Marie Curie, Paul Langevin ou Jean Perrin, entre 1907 et 1908, en amenant quelques enfants à découvrir par l’expérience des principes physiques universels, c’est ce que ressentent aujourd’hui ceux qui pratiquent la pédagogie de « la main à la pâte » et c’est ce que nous avons pu à notre tour expérimenter ensemble à Crémieu, dans une grande maison du village, les 28 et 29 juin.

Là s’étaient réunis une trentaine de jeunes larouchistes venus de Bretagne, d’Ile-de-France, d’Alsace, de la région Rhône-Alpes et même du Québec pour une « école de cadres » tout à fait hétérodoxe. Notre démarche est de nous situer toujours à la frontière du connu en partant d’un paradoxe fondamental - une anomalie face aux formules établies du connu - contraignant à émettre une hypothèse nouvelle remettant en cause l’ordre établi et jetant du même élan les bases d’une compréhension plus vaste. Notre pari est que ce rapport entre êtres humains - la joie partagée de découvrir - crée les conditions d’une renaissance politique. En effet, un aperçu sur la portée des capacités de connaissance humaine et la passion qui les engendre crée pour ainsi dire naturellement l’exigence sociale d’un monde plus beau et plus juste. Ce qui est vécu en petit groupe, avec un horizon et une audace communes, l’on ne peut qu’être impatients de le communiquer à un plus grand nombre.

Beaucoup de ces expériences ont été revécues à Crémieu, dans le domaine de la science, de la peinture, de la musique et de l’astronomie. Les jeunes ont présenté des exercices pédagogiques, dont le plus spirituel montrait comment les Narcisses d’aujourd’hui peuvent être sauvés. Il représentait Narcisse lui-même se mirant admirativement dans une fontaine, et recevant en don de son ange gardien - ou démon socratique - une cuillère miroir où il pourrait se contempler mieux encore. A se voir, sur la face convexe comme sur la face concave, Narcisse croit alors être devenu difforme et cède à la panique ! Son démon lui indique cependant la cause du phénomène, à l’aide d’un laser réfléchissant la lumière sur les deux surfaces. Narcisse peut ainsi devenir plus attaché à la découverte des lois de la nature, présidant au changement, qu’à sa propre contemplation stérile.

C’est un parfum exaltant de fraîcheur que nous devons partout répandre, qui nous a été ainsi offert à Crémieu. Une joie d’apprendre en riant, comme si elle était contemporaine des premiers et des derniers matins du monde : n’est-ce pas la définition vraie du mot « politique » ?