Les analyses de Jacques Cheminade

Michel Pébereau, Codice : dressage « économique » des Français

mardi 20 mars 2007, par Jacques Cheminade

Les analyses de Jacques Cheminade sont publiées tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade2007.org, et consitutent le principal regard du candidat à la présidentielle de 2007 sur l’actualité française et internationale.

Au moment même où les marchés se désintègrent et la société se disloque en raison du libéralisme financier adopté depuis plus de trente ans dans le monde, c’est cette marchandise avariée que la nomenklatura parisienne entreprend de servir aux Français sous le nom d’« économie ». « Les Français sont braqués contre l’économie parce qu’on ne la leur a pas enseignée, on ne leur en a jamais parlé de façon simple », assure le ministre Thierry Breton. Il faut donc faire avaler la pilule à nous autres, pauvres ignorants : ainsi vient de se créer le Conseil pour la diffusion de la culture économique (Codice).

De même, Michel Pébereau, président des comités de surveillance et de consultation de l’Institut Aspen en France, est devenu, avec l’Institut de l’entreprise (the French Enterprise Institute), un véritable ministre-bis des Finances et le nouveau parrain de nos milieux d’affaires. Ce « libéralisme financier » que Jean Zay, Pierre-Mendès France et Charles de Gaulle (ils avaient cela en commun) jugeaient nocif et dépassé, triomphe alors que la place de Paris, sous le contrôle du New York Stock Exchange, espère être un Wall Street délocalisé dans la ville-lumière. Comment cela s’est-il fait ? Jean-François Théodore, le patron d’Euronext (bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne) a craqué à force d’espionnage téléphonique, de campagnes de presse et autres menaces organisées par deux fonds anglo-saxons, TCI et Atticus, proches de Goldman Sachs. Eh oui, c’est cela qu’on appelle « libéralisme ».

Codice

L’hypocrisie atteint son comble avec le Codice : sous la houlette de Claude Perdriel, patron du groupe Nouvel Observateur, et en prétendant à une « indépendance totale » , quinze personnalités, socio-libérales et libérales tout court, ont proposé vingt-cinq mesures pour sortir les Français de leur « ignorance crasse en matière d’économie » , selon les termes mêmes de Pascal Lamy, patron de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et proche du père de l’euro financier, Jacques Delors. La première des mesures est à elle seule révélatrice : « Un discours économiquement responsable, pas de promesses dont on n’explique pas le financement. » Il ne faut pas dépenser plus qu’on a en poche, disent ces éminents experts, comme si l’Etat était une brave ménagère. Tous sont évidemment favorables à l’esprit de l’Union européenne actuelle (trente projets de transport à grande vitesse, cinq réalisés) et condamnent comme une hérésie dépassée le crédit productif public pour promouvoir les infrastructures de l’avenir et les grands travaux.

Parmi les membres de la Codice ne figure aucun des trois économistes français réellement compétents - même si nous ne sommes pas d’accord avec eux sur tout : ni Maurice Allais, ni Bernard Maris, ni Jean-Paul Fitoussi. Mais on y trouve bien le grand « parrain » de nos finances qu’est Claude Bébéar, ex-PDG d’Axa. Nicole Notat, Jacques Julliard et Eric le Boucher y figurent comme supplétifs libéraux de la « société civile » .

Pébereau

Michel Pébereau, quant à lui, est l’auteur du rapport au kärcher sur les déficits publics, remis à Thierry Breton en décembre 2005. Ce qui l’intéresse, selon un article du dernier numéro du Nouvel Observateur, « c’est de jouer un rôle dans le débat public où ses convictions le portent aux bienfaits (sic) de la rigueur budgétaire » . Président du conseil de direction de Sciences-Po, temple de la bureaucratie financière, membre du conseil du Medef, il dirige l’Institut de l’entreprise, qui pèse de tout son poids dans la campagne présidentielle. C’est lui qui a contraint tous les candidats « officiels » - acceptant de passer par les fourches caudines du système - à chiffrer leurs propositions. Il a ainsi « gagné son pari » : aucun candidat sérieux ne se départit d’un souci de l’orthodoxie budgétaire - ce souci que Jean Zay condamnait en 1941 depuis sa cellule de la prison de Riom, y voyant la source de tout le blocage organisé contre la politique économique et sociale du Front populaire.

Eh oui, nous y voilà ! On est revenu à l’atmosphère des années trente, celle des « principes » des gouvernements Brüning (juillet 1930 - mai 1932) en Allemagne et Laval en France (janvier 1935 - février 1936) : blocage des salaires, blocage des prix et austérité budgétaire. Le résultat, quelques années plus tard, fut, dans les deux pays, ce qu’on sait.

Bayrou

Il est, enfin, révélateur de noter que le candidat favori de ces milieux (bien que tous s’y soumettent), est l’ineffable François Bayrou. Peut-être parle-t-il, comme le dit Le Parisien, aux chevaux, mais ce sont les financiers qui lui parlent. Michel Péberau l’inspire, Jean Peyrelevade, l’homme du tournant de la rigueur en 1983, matrice des politiques actuelles, est son plus proche conseiller.

Et au coeur des ténèbres libérales, c’est-à-dire dans les milieux de la City de Londres, on accueille sa candidature avec une condescendante sympathie. Ainsi, le Financial Times, qui juge Ségolène Royal empêtrée dans le socialisme des années 1970 et Nicolas Sarkozy dans l’économie de l’offre des années 1980 - « autrement dit entre du vieux et du très vieux » - célèbre en Bayrou un homme « moderne » , qui « s’améliore de jour en jour » . « Il semble être tout ce que ne sont pas les deux autres candidats : pro-européen, conscient des obligations financières de la France et de l’importance de sa dette publique. » En bref, un « nice boy » ...

Mais, dira-t-on, on ne peut comparer la situation actuelle avec celle de 1929. Peut-être pas, en effet, parce qu’elle est pire : cette fois, la crise, avec la loi de la jungle sévissant partout, s’étend à l’échelle du monde. Produits financiers dérivés, crédit hypothécaire à haut risque, spéculateurs sur les matières premières, yen-carry-trade : hedge funds, grandes banques d’affaires, banques de dépôt, sociétés de financement spécialisées, paradis fiscaux ont tissé une vaste toile qui constitue une sorte de fonds hyper-spéculatif mondial. Ce fonds, pour survivre, doit devenir un pirate armé de tous les moyens, y compris militaires et policiers. C’est le sens des dérives de la politique de Bush et de Cheney.
François Bayrou sourit. La City l’applaudit. L’on pourrait ajouter, sans vouloir vexer personne, que dans son cas la messe financière est dite.