Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Déclin

vendredi 27 août 2004

Depuis la publication par Nicolas Baverez de La France qui tombe, les salons parisiens et les principaux médias bruissent du « déclin » de notre pays. Il s’agit d’un débat malsain, dans lequel on se sert complaisamment de certaines statistiques qui font mouche pour promouvoir des remèdes bien pires que le mal. Baverez appelle en effet à une « thérapie de choc » contre l’Etat, dont on a pu mesurer les bienfaits en Europe de l’Est. Les Cassandres de ce déclin-là exercent en outre leur talent avec une sorte de délectation morbide qui, Dominique de Villepin a raison de le souligner dans Le Monde du 8 octobre, rappellent Burke, de Maistre, l’Action française et le pétainisme.

Certes, la France est en passe de devenir un désert industriel. Ses secteurs sociaux - santé publique et éducation - sont de plus en plus déficitaires et diminuent la qualité de leurs prestations. Cependant, son cas n’est pas unique. Il s’agit d’une crise généralisée. Les Etats-Unis ne sont pas un pays en pleine reprise. Au contraire, les très riches s’y enrichissent et les autres s’y appauvrissent, les infrastructures s’effondrent, l’énergie y est en crise, le secteur social est dans un état bien pire que chez nous et le système financier néo-libéral n’y survit que par un fort déficit budgétaire, des taux d’intérêt quasi nuls et un déficit extérieur énorme, avec un taux de chômage réel de l’ordre de 18% de la population active. Il faut donc se méfier des statistiques. Par exemple, lorsque Baverez assène que la France croule sous le poids des charges « avec un coût total des prélèvements de 75% du salaire brut, contre 48% en Allemagne, 45% au Royaume Uni et 35% aux Etats-Unis », il parle de salaires bruts. En termes de pouvoir d’achat réel des ménages, avec l’effet redistributif des prestations sociales, la France se trouve, au contraire, dans la bonne moyenne des pays développés.

L’on pourrait d’ailleurs charger la barque dans l’autre sens : la France est la 5ème puissance économique de la planète, 4ème exportateur de biens et de services, 2ème exportateur de produits agricoles et 2ème destination préférée des investisseurs du monde entier en 2002, derrière la Chine.

Là où Baverez nous trompe, outre son diagnostic biaisé, c’est en affirmant que l’on pourrait procéder « comme en 1958 ». Double tromperie. D’abord, en 1958, de Gaulle, Rueff et Armand n’appliquèrent pas les solutions de Pinay-Baverez, mais une politique audacieuse de développement scientifique, industriel et social portée par un Etat interventionniste. Ensuite, 2003 n’est pas 1958 : en 1958, la crise majeure était franco-française, avec l’instabilité de nos institutions et l’effondrement colonial ; aujourd’hui, la crise est mondiale.

La France ne doit donc pas tristement contempler son nombril en appelant le grand soir libéral. Cette fois, nous ne pourrons redresser notre propre barre qu’en contribuant à redresser celle du monde.