Communiqué

Sarkozy, est-ce bien raisonnable ?

jeudi 26 avril 2007

Lettre ouverte aux électeurs de François Bayrou
et à bien d’autres encore

Par Jacques CHEMINADE

Nicolas Sarkozy souhaite « rassembler autour du nouveau rêve français ». Il veut « redonner espérance à tous ceux que la vie a brisé. » Il veut « dire à tous les Français qui ont peur de l’avenir, qui se sentent fragiles, vulnérables, qui trouvent la vie de plus en plus lourde, de plus en plus dure », qu’il « veut les protéger. » Au soir du premier tour, salle Gaveau, nous l’avons entendu voulant ainsi ce qu’auparavant il nous avait caché. Faut-il croire à cette nième conversion en dame patronnesse du caméléon politique de la droite ? Peut-il représenter la « nouvelle politique », la « force nouvelle » que François Bayrou a vu naître lors de cette même soirée ? Est-il cohérent, au nom de tout ce qui a inspiré la campagne de François Bayrou, de voter Nicolas Sarkozy au second tour ? Se poser ainsi la bonne question, c’est déjà y répondre. Bien sûr, Talleyrand disait : « Méfiez-vous du premier mouvement, c’est le bon. » Alors, au nom du sentiment, doit-on refuser de voter pour Nicolas Sarkozy sans plus réfléchir ? Non, car le courage et la raison, en politique, exigent qu’on aille au delà de son premier mouvement, pour vérifier que la réponse de la raison est la même que celle du coeur.

Il faut bien constater qu’à l’analyse, la réponse est, s’il se peut, encore plus claire.

Ce qui emporte d’abord notre conviction est la réponse faite par notre ancien Ministre de l’intérieur au mensuel Philosophie Magazine(no 8, avril 2007)sur la question du déterminisme génétique, par laquelle il s’inscrit dans une tradition qui a conduit à tous les totalitarismes du XXème siècle. Il a déclaré ceci : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile...Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupé ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable...Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense » Si l’on admet cette affirmation, tout ou presque est écrit d’avance, et le libre arbitre est un leurre. La conséquence est la mise en place d’une organisation sociale « démocratiquement » fondée sur une correction biologique de toutes les formes de déviance. M. Sarkozy a d’ailleurs exprimé sa volonté d’organiser le dépistage collectif, dès l’âge de trois ans, des troubles du comportement. Nous entrerions avec lui dans le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, l’essayiste anglais qui décrit avec complaisance la société totalitaire de l’avenir, et dont le titre a été repris par une luxueuse revue parisienne qui réunit le ban et l’arrière-ban des néo-conservateurs français favorables au candidat Sarkozy Nicolas. Ainsi, nous ne pouvons que dire non, si nous croyons à l’une des religions monothéistes ou que nous soyons humanistes, à un homme porteur de ces terribles convictions.

Cet étiquetage de produits humains par une « droite décomplexée » est la conséquence d’un ultra-libéralisme économique qui fait toujours prévaloir la loi du plus fort, avec sa justification génétique. Car c’est bien des gouvernements auquel M. Sarkozy a appartenu qui ont créé les conditions pour que les grands intérêts financiers multinationaux prévalent en France, avec une Bourse de Paris livrée à celle de New York et les principaux dirigeants du CAC 40 gagnant plusieurs centaines de fois le SMIC.

Ajoutons qu’il serait, dans ce contexte, immoral que les électeurs de M. Bayrou, attirés par la naissance d’une « force nouvelle », se rallient au candidat de M. Santini -l’homme qui a aidé Nicolas Sarkozy à transmettre des parrainages à M. Le Pen-, de M. de Robien et de M. Douste-Blazy, usés sous le harnais de l’opportunisme politicien. Et qu’ayant voulu voter au premier tour contre une société bloquée, ils puissent voter au second pour celui qui la verrouillerait davantage.

Enfin, M. Sarkozy, après avoir visité M. Bush, n’a pas hésité à prendre des positions opposées à celle de son pays et de son propre gouvernement, même s’il a ensuite, opportunisme électoral oblige, soutenu la politique étrangère de Jacques Chirac. Son laxisme vis à vis de la grande délinquance financière et des catégories fiscales favorisées n’a d’égal que sa sévérité vis à vis des « plus petits d’entre les nôtres » qui, dans les banlieues, cèdent au vent de la révolte.

Bref, s’il se prétend le protecteur de tous les Français qui ont peur de l’avenir, il a été et demeure le protecteur-protégé des Bouygues, Lagardère et Bolloré, sans parler d’autres plus exotiques. La France est pour lui un conglomérat confus d’intérêts financiers, masqués par des références citées pour faire un bruit de fond, dont il croit pouvoir devenir le maître et dont il est en fait le serviteur.

Dans l’entretien que publie Philosophie, il dit n’avoir jamais entendu quelque chose d’aussi absurde que le « connais-toi toi-même de Socrate. » Ainsi, l’homme qui aspire à conduire les destinées de la nation française croit que tout savoir sur soi est une entreprise vaine, et pratique une fuite en avant dans l’activisme et la recherche du pouvoir pour le pouvoir.

Ségolène Royal n’est sans doute pas la candidate idéale. Mais elle au moins veut faire « triompher les valeurs humaines sur les valeurs boursières » et « refuse de cultiver les peurs ». M. Sarkozy est, lui, bel et bien le candidat de la peur. Il l’inflige, cette peur de l’autre, tout en prétendant en protéger les victimes. Cela porte un nom dans l’histoire, que nous ne voulons pas prononcer ici. Il doit cependant déterminer notre vote, et celui des électeurs de M. Bayrou, s’ils sont cohérents avec eux-mêmes.