Les éditoriaux de Jacques Cheminade

L’occasion à saisir

mardi 30 mars 2004

Si l’on juge la situation politique française au vu du premier tour des élections régionales et des différentes réactions qui ont accompagné ses résultats, l’on doit être de toute évidence atterré.

Le vote-sanction contre le gouvernement Raffarin, pour aussi justifié qu’il soit, ne trouve pour s’investir qu’une gauche dont l’absence de programme justifie la modestie qu’elle affiche. Face à une droite anti-sociale, qui pratique une stratégie de réduction des coûts et une gestion corporatiste, se trouve une gauche qu’on ne trouve réellement « de gauche » qu’à droite. Quoi qu’il en soit, le paysage est sinistre et sinistré, avec un endettement croissant du pays ne servant que des intérêts financiers et non un projet mobilisateur, ce qui nous conduit fatalement vers une situation « à l’Argentine ».

Dans ces conditions, la plus grande stupidité de la majorité actuelle serait d’accélérer les « réformes » ; pour gérer la contraction, en démantelant la sécurité sociale, réaménageant l’ISF et privatisant à tout va. Une telle « modernisation de la vie économique » reviendrait à jeter le bébé avec l’eau du bain et tout ce qui reste dans la baignoire, y compris l’or de la Banque de France.

Alors, que faire ? Par instinct, le Premier ministre sait que sa survie se situe dans une autre direction. Il a ainsi déclaré le 26 mars, sur RTL : « Aujourd’hui, nous avons les moyens de mettre la justice sociale et la cohésion sociale au cœur des priorités gouvernementales. » Peut-être, lui répond le chœur des pleureuses libérales de la majorité, mais c’est impossible : l’endettement est trop élevé (plus de 1000 milliards d’euros) et il faut réduire les dépenses publiques. La Fondation Jean Jaurès, de son côté, dans une note de Laurent Baumel, affirme que privatiser les entreprises publiques est « la manifestation d’une position réaliste ».

Bref, c’est l’impasse. Oui, mais dans le cadre du système existant. C’est pourquoi il faut en sortir. Et c’est au cœur de la tempête dans laquelle nous sommes que l’occasion doit précisément être saisie, par M. Raffarin ou quelqu’un d’autre.

En Europe, l’Espagne et la Pologne ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûte de fréquenter les néo-conservateurs américains. Tony Blair est profondément déstabilisé. C’est le moment de proposer un grand projet mobilisateur, un programme de travaux publics donnant une assise concrète à l’Union européenne et stabilisant, par le développement économique mutuel, toute l’Eurasie. En France même, le vide actuel est propice à l’audace. Jacques Chirac s’en apercevra-t-il ? Mieux que de refuser la nomination de l’ex-ministre espagnol du gouvernement Aznar, Rodrigo Rato, à la tête du FMI, il devrait proclamer la mort du système actuel, que tout le monde voit mais que personne n’ose annoncer, et exiger l’adoption d’un grand programme de reconstruction, européen et mondial, partant de l’économie physique au service de l’homme.