Une éducation humaniste contre l’imposture de la génétique

vendredi 13 juillet 2007, par Benoit Chalifoux

En mars dernier, quelque 4000 lycéens majeurs de la région de Reims ont été l’objet d’une enquête sans précédent de l’Inserm et de l’Organisme régional de la santé (ORS), un projet-pilote rappelant les efforts de dépistage des tares génétiques dans le sud des Etats-Unis au cours des années 20. Cette étude, organisée dans la précipitation et sans communication suffisante auprès des élèves ou des parents, a été conçue par l’Unité 675 de l’Inserm (Unité d’analyse phénotypique, développementale et génétique des comportements addictifs). Elle avait pour objectif d’étudier l’interaction entre les facteurs environnementaux, les facteurs génétiques et la vulnérabilité aux comportements dits « addictifs » (alcool, drogues, jeux pathologiques et anorexie) et était constituée d’un questionnaire de 50 minutes et d’un prélèvement de cellules ADN grâce à un écouvillon buccal.

L’existence d’une telle étude, qui s’inscrit dans la continuité d’un précédent rapport préconisant le dépistage des « troubles de conduite » chez les enfants de trois ans, confirme la pensée eugéniste des élites néolibérales aujourd’hui au pouvoir. Et une fois l’origine génétique des troubles « trouvée », comme le dit explicitement la documentation publiée par l’Unité 675, « les retombées les plus immédiates concernent la pharmacogénétique, c’est-à-dire l’utilisation de la génétique pour prédire la réponse thérapeutique aux traitements. » Ainsi, après avoir joué un rôle de premier plan dans la montée de la misère et de la violence au cours des trois dernières décennies, ces élites entendent désormais régler « le problème à la racine », en droguant des populations « tout simplement victimes de leur pauvre patrimoine génétique ».

D’ores et déjà aux Etats-Unis, une « Initiative pour une nouvelle liberté » (The New Freedom Initiative) prévoit le dépistage des maladies mentales dans les écoles puis dans l’ensemble de la population américaine et le suivi en continu (avec fichage individuel et administration quasi-obligatoire de psychotropes) de ceux qui sont identifiés comme « malades mentaux » actuels ou potentiels.

Lancé à l’origine au Texas en 1997, alors que Georges W. Bush était gouverneur, le Texas Medication Algorithm Project a permis aux firmes pharmaceutiques d’introduire une nouvelle génération de psychotropes, développés non pas à partir d’essais cliniques mais depuis un cahier de charges simplifié, élaboré par un « consensus d’experts » désignés par ces mêmes sociétés. L’importante population carcérale et institutionnalisée de cet Etat a servi de clientèle captive, prélude à l’élargissement du système aux écoles et à l’ensemble de la population. Nous rappelons que le ritalin, un tranquillisant, est déjà largement administré dans les écoles depuis le début années 90, en particulier dans les ghettos. Il va sans dire que cette situation a constitué une aubaine sans précédent pour l’ensemble de l’industrie pharmaceutique.

En France, le nouveau Président, Nicolas Sarkozy, est un partisan déclaré de la théorie génétique comportementale, qu’il considère comme « une réalité ». Le frère de Nicolas, François, est membre du conseil d’administration de grandes sociétés pharmaceutiques internationales, au confluent du dépistage des comportements « génétiques » à risque et du milieu pharmaceutique (cf notre article Sarkomportementalisation ou les « Retour au meilleur des mondes »).

L’imposture de la génétique

Dans un récent article intitulé « Les règles de la survie » le penseur américain Lyndon LaRouche s’est attaqué aux fondements de la génétique comportementale :

« Un bref regard sur les développements culturels de la civilisation européenne au cours de l’histoire récente, c’est-à-dire au cours des 3800 dernières années, devrait étonner n’importe quel écologiste moderne. Ce qui l’étonne ou devrait l’étonner est, premièrement, l’énorme différence entre l’accroissement du potentiel de densité démographique du genre humain par rapport à nos voisins apparents, les grands singes. Deuxièmement, le fait que cet accroissement ait été largement volontaire, et non pas biologiquement déterminé : contrairement aux animaux, l’étude de certains cas cruciaux montre que tous les types de cultures humaines font preuve d’un même degré de potentiel de créativité intellectuelle, de sorte que les limites supérieures au développement des représentants typiques de chaque culture sont fixées seulement par des déterminations culturelles et non biologiques. (...)

« Ainsi, les processus créateurs permettant la découverte de principes physiques universels (de même que dans les modes classiques de composition artistique) sont à l’origine des changements dans la culture chez les êtres humains, avec un effet comparable à celui des avancées dans l’évolution biologique au sein des espèces animales inférieures. »

L’impact du patrimoine biologique de chaque être humain sur son comportement et son développement est marginal, et toute société organisée doit concentrer ses efforts et ses énergies sur le développement des pouvoirs créateurs de chaque individu. Ceci signifie qu’il faut élaborer une politique économique volontariste, intolérante de tout déterminisme social, et une politique d’éducation cherchant à élever tout individu au statut de personne universelle.

L’éducation humaniste de Herbart

Au noirs desseins de la génétique comportementale nous opposons l’approche élaborée au XIX siècle par le grand pédagogue allemand Johann Friedrich Herbart (1776-1841), ainsi que par son célèbre disciple, le mathématicien Bernard Riemann (1826-1866).

Pour Herbart l’éducation doit permettre à l’élève de se structurer moralement et psychologiquement, de façon à ce qu’il puisse participer pleinement à cette montée en puissance que constitue le développement de la société humaine au sein de la biosphère et dans l’univers.

Pour Herbart la connaissance, la sensibilité et la volonté ne sont pas des facultés isolées ou des forces indépendantes. S’inspirant de la philosophie de Leibniz, et plus particulièrement du concept de monade, il explique : « L’âme est simple, non seulement elle n’a pas de parties, mais elle n’a pas non plus de qualités multiples. L’âme n’a également ni l’aptitude ni la faculté de recevoir ou de produire quoi que ce soit. La matière psychologique n’est pas une masse indépendante, une matière qui pourrait exister avant l’artiste, sans lui et hors de lui, et attendre qu’il la traite, comme le potier traite l’argile ; ici la force et la matière ne font qu’un ». Tout déterminisme biologique est donc exclu a priori dans la pensée de Herbart.

Ceci ne signifie en aucune façon qu’il nie à l’enfant une individualité qui lui serait propre, au contraire ; l’âme est non seulement une, mais chaque âme humaine est unique, et qui plus est entièrement souveraine. Mais, pour le pédagogue, la personnalité de l’enfant est avant tout constituée de différents groupes d’idées, plus ou moins harmonisées, qui l’amènent d’ailleurs à faire parfois preuve de comportements et d’aptitudes différentes suivant qu’il se trouve à l’école, en famille, ou dans un autre environnement. Ce que Herbart appelle l’individualité est plus simplement le résultat du hasard et des circonstances, par opposition au caractère qui est, lui, formé par une éducation et une instruction planifiées.

L’éducation et l’instruction ne peuvent pas non plus être conçues séparément. L’éducateur doit d’abord pouvoir, dès qu’il est introduit à l’enfant, dresser une « carte géographique de son esprit », en identifiant les différents groupes d’idées qui constituent la trame de sa pensée, puis le former en assimilant ces divers groupes à une « représentation esthétique du monde » plus cohérente, un « tableau vrai et fortement dessiné de l’humanité telle qu’elle pourrait et devrait être en général ». Il doit ainsi, tout en tenant compte des dispositions physiques et du tempérament particulier de l’enfant, l’élever de son état d’individualité, vers un état d’universalité. Herbart se reporte à cet égard à la culture de la Grèce antique, à l’Odyssée d’Homère plus particulièrement.

L’éducateur ne doit pas, comme le font souvent des parents désemparés, chercher à « manipuler les sentiments de l’enfant » ni à le droguer comme le proposent aujourd’hui les néo-conservateurs, mais plutôt à lui inculquer « la puissance accumulée de tout ce que les hommes ont jamais senti, éprouvé et pensé ».

S’inspirant directement de Herbart, le mathématicien Bernhard Riemann explique dans l’un de ses fragments philosophiques que « l’esprit est une masse cognitive (Geistesmasse) compacte, multiplement connectée par des connections internes des plus intimes. Il croît de manière continue au fur et à mesure que de nouvelles masses cognitives y entrent, et c’est de cette manière qu’il continue à se développer. (...) Chaque masse cognitive qui entre dans l’esprit stimule toute la masse cognitive à laquelle elle est apparentée, et elle le fait d’autant plus fortement que la dissemblance entre les états internes est moindre. Cependant, cette simulation n’est pas simplement limitée aux masses cognitives apparentées, mais elle s’étend aussi, par médiation, à celles qui sont liées avec elles. »

Ainsi, l’enchaînement de masses cognitives constitue ce que l’on pourrait appeler des filaments ou des fibres, qui forment la substance même de notre esprit et lui permettent de se développer plus avant. Ces fibres sont également connectées entre elles, de manière « transversale », et la densité de leurs interconnections et leur longueur même (résultant d’un processus d’éducation rigoureux comme celui préconisé par Herbart) définissent la puissance conceptuelle de notre esprit.

Ces masses cognitives, une fois formées, ne disparaissent jamais et continuent à exister après notre mort. Elles viennent s’intégrer à une masse cognitive compacte plus grande, à ce que Riemann appelle l’Erdseele, et participent alors à une vie mentale supérieure, constituant ce que l’on pourrait percevoir comme une intentionnalité guidant le développement des processus vivants et cognitifs sur terre et dans l’univers.

C’est exactement ce à quoi fait référence le scientifique français Paul Langevin (1872-1946) lorsqu’il affirme : « [Les élèves] doivent être amenés à sentir l’importance de ce développement de l’esprit, et qu’indépendamment des forces que la physique et la chimie nous font découvrir, il en est d’autres constituées par l’activité spirituelle qui fait, elle aussi, partie de la réalité et peut contribuer à transformer le monde. De même que nous commençons à entrevoir les liens qui existent entre la gravitation et l’électromagnétisme, considérés jusqu’ici comme deux groupes de phénomènes totalement différents, de même nous pouvons espérer que les forces physiques et les forces spirituelles nous apparaîtront plus tard unifiées dans une synthèse plus haute, qui fera apparaître l’Esprit comme l’un des aspects des forces de l’univers. »

Paul Langevin expliquait dans l’une de ses multiples interventions sur la pédagogie qu’il fallait concevoir l’enseignement des sciences et des autres disciplines d’un point de vue éducatif et non utilitaire, en mettant particulièrement l’accent sur l’enseignement historique. Cet enseignement doit donc, contrairement à ce qu’affirmait le philosophe et pédagogue John Dewey (1859-1952, fondateur du pragmatisme américain), élever l’élève au-dessus de l’expérience de la proximité et le projeter dans cette sphère de tous les temps que constitue cette masse cognitive compacte globale décrite par Riemann, et que Lyndon LaRouche appelle aujourd’hui la « simultanéité de l’éternité ».

Benoit Chalifoux