Les analyses de Jacques Cheminade

Trente ans après

mercredi 28 avril 2004, par Jacques Cheminade

Nouvelle Solidarité est née en 1974, alors que l’espérance soulevée dans ma génération par les événements de Mai 68, comme on disait alors faute de pouvoir mieux les désigner, s’effondrait brutalement : la revendication de justice s’embourbait dans une sous-culture du ventre et du bas-ventre, qui laissait voir le masque d’une nouvelle oppression. La guerre d’Indochine s’était terminée dans l’amertume d’une fausse paix, pour laquelle Kissinger et Le Duc Tho avaient reçu le prix Nobel, le Chili d’Allende avait été massacré par Pinochet et le Club de Rome véhiculait son idéologie des « ressources limitées », justifiant le contrôle des naissances et, parmi ceux qui étaient nés ou naissaient, la fuite en avant dans une consommation effrénée au détriment de tout concurrent éventuel.

Nouvelle Solidarité a ainsi grandi dans ces années où le monde cessait de produire les ressources nécessaires à son propre avenir et où les soixante-huitards rentraient sur la scène de la politique, avec leurs plans de carrière qui s’étaient substitués à leur rêve de changer la vie. Cependant, 1974 fut aussi l’année où Helga Zepp-LaRouche, à la conférence le l’ONU à Bucarest, dénonça les politiques fascistes vis-à-vis du tiers monde, l’étranglement par la dette et le contrôle des matières premières, mettant publiquement en cause John D. Rockefeller III et s’attirant la rage de l’anthropologue malthusienne Margareth Mead, qui perdit son sang-froid et la poursuivit à coups d’ombrelle dans les couloirs de la conférence. Lyndon LaRouche proposait alors une « option européenne » pour promouvoir les échanges Est-Ouest et Nord-Sud, afin de jeter les bases d’une politique opposée, la paix par le développement mutuel et le retour à une matrice productive par l’application à l’économie de principes physiques nouveaux financés par du crédit à long terme et à faible taux d’intérêt.

L’engagement fondamental

Je relis aujourd’hui ce que j’écrivais en 1994, dans notre numéro du 29 avril, « Vingt ans après ». Je revois les « une » de notre journal d’alors et les articles de notre premier numéro, du 16 septembre 1974 : un programme de développement pour l’Italie, un programme d’urgence pour l’agriculture, dénonciation du complot fasciste contre Allende au Chili, attaque contre Aurelio Peccei, le « chef du Club de Rome inspiré par les Rockefeller »... Au cours de ces trente années d’existence, notre journal a constamment été associé au combat pour le développement économique de tous les peuples de la terre, à la « paix par le développement mutuel ». Il a répété que « la base pour la nouvelle détente est de vaincre la faim dans le monde » (31 janvier 1975). Des « moratoires sur la dette, un accroissement des échanges Est-Ouest et le développement partagé » (4 septembre 1975) ont été notre engagement constant - alors que les nomenklaturas ont au contraire administré les conditions de remboursement de la dette, détruisant la substance même des pays. Nous avons écrit pendant quinze ans que la « thérapie de choc financière » ;, en « laissant se mettre en place un système d’exclusion et de spéculation », recréait les conditions mêmes de la guerre.

Nous avons eu en Europe la guerre de Bosnie, puis l’écrasement de la Serbie. Nous avons eu la guerre du Golfe, puis celle d’aujourd’hui contre l’Irak. Nous avons eu l’effondrement des pays de l’Est, sous les coups d’un libéralisme masquant - mal - le pillage financier.Nous avons ici et maintenant, avec les plans de cette synarchie financière qui a recyclé les moyens et les hommes du nazisme, le risque illimité de guerres préventives dégénérant en guerres totales, sur fond d’effondrement monétaire, financier et économique. Nous n’avons jamais masqué la vérité, fût-elle terrible. Nous ne la masquons pas, non par désir d’être Cassandre, mais parce que face aux périls, la négation de la réalité mène toujours au pire.

Cependant, nous n’avons jamais considéré qu’une évolution est irrémédiable. Nous avons toujours, en dénonçant les périls, proposé les solutions permettant de corriger les malheurs que les hommes s’infligent à eux-mêmes. Système monétaire européen en 1974, Initiative de défense stratégique (IDS) et moratoire de la dette extérieure pour le Mexique et l’Amérique latine en 1982, Triangle productif Paris-Berlin-Vienne en 1988-1990, Pont terrestre eurasiatique en 1997, nouveau Bretton Woods en 2001, triangle stratégique Chine-Inde-Russie en 2003 : nous avons toujours indiqué les voies à suivre pour rassembler les forces en faveur des pouvoirs créateurs de l’homme, d’un projet mobilisateur qui, par la création et le financement d’infrastructures, offre à chacun, où que ce soit dans le monde, une part de la croissance et de la connaissance communes.

Plus nous avons montré l’ampleur des périls, davantage nous avons étendu la portée des solutions.

Nous avons dit, par exemple, que l’effondrement du niveau de vie dans le tiers monde, associé à l’abandon d’une politique de santé publique et de mesures anti-épidémiologiques dans les pays industrialisés, allait créer le terrain pour de nouvelles formes de maladies. Nous avons eu le retour d’épidémies classiques (fièvre jaune, paludisme, dengue, fièvre du Nil, lèpre, choléra...) et l’apparition du sida. Associées à nos propositions d’investissement productif et de développement économique, réduisant les réservoirs de maladie, nous avons alors proposé une grande politique de défense épidémiologique et une initiative d’action biophysique (recherche et médecine sentinelle) qui, si elles avaient été suivies, auraient épargné des millions de vies humaines.

Notre qualité spécifique

« Elever à la dignité d’hommes tous les individus de l’espèce humaine » : c’est la phrase de Lazare Carnot qui figure en tête de notre journal et qui éclaire le fondement de nos jugements. Nous croyons en ce qui est propre à l’homme, son pouvoir d’aimer ses semblables, d’intervenir sur le monde et d’en améliorer les conditions d’accueil, le rendant plus « digne ». Ce qui a porté Lyndon LaRouche à s’engager en politique, et ce qui guidait mon inquiétude du début des années soixante-dix, lorsque je l’ai rencontré, c’est la « recherche de la vérité », en sachant qu’elle ne peut continuer à exister que si l’on se bat pour y associer le plus possible d’êtres humains vivants et de générations à naître.

Nous avons toujours su et pensé que chaque être humain a le droit de connaître, de créer, de travailler et de produire sans qu’aucune catégorie d’hommes ne soumette ses efforts à une usure ou à un servage. C’est ce que nous entendons par « nouvelle solidarité », la forme sociale, collective, politique du respect en chaque être humain de sa nature d’homme, par l’ampleur de la responsabilité qu’il assume vis-à-vis du monde où il vit.

C’est au nom de cet engagement, comme je l’écrivais il y a dix ans, que nous avons tout de suite détecté ceux qui prennent les hommes pour des choses ou des animaux, et la corruption morale de ceux qui se rallient à l’opinion dominante plutôt qu’à la vérité. Nous avons été les premiers à dénoncer la portée de leurs plans. Aujourd’hui, ils sont au pouvoir aux Etats-Unis. Nous sommes donc à la croisée des chemins : ou bien les Etats-Unis retrouvent leur véritable identité, celle de leurs pères fondateurs, et l’Europe entreprend et réussit une véritable révolution républicaine, ou bien un nouveau type de fascisme, plus destructeur que celui des années trente et quarante, car établi cette fois-ci à l’échelle du monde, se mettra en place.

Ce que Lyndon LaRouche et nous-mêmes avons annoncé depuis plusieurs années, non pas en prédisant quoi que ce soit, mais en montrant les conséquences des décisions et des omissions des dirigeants en place, se produit sous nos yeux. L’effondrement du système financier et monétaire est en cours. Les êtres humains ont subi plus de trente ans de contre-culture qui les a réduits à l’état de sujets, disposés à subir une servitude volontaire si leurs habitudes se trouvent bouleversées.

Or l’effondrement du système bouleverse leurs habitudes. Le moment de se ressaisir est donc venu, c’est-à-dire notre heure, ce qui a fait nous engager pour la cause de l’homme.

C’est toujours au milieu des crises les plus terribles qu’une poignée d’hommes déterminés a transformé l’histoire, pour le meilleur ou le pire. Cette fois, avec une opinion plus gavée d’images qu’elle ne le fut jamais, mais aussi plus frustrée de sa part d’humanité, l’attente d’une pensée cohérente et engagée est énorme.

A nous donc de la transformer en espérance. Car lire, réellement lire, c’est prendre le risque de changer le monde.

C’est donc la responsabilité de nos lecteurs qui se trouve engagée. Non pas pour seulement s’informer ou apprendre, ce serait n’avoir rien compris à notre raison d’être. Si vous croyez à ce que vous lisez ici, vous devez vous organiser et agir, agir davantage que vous ne l’avez jamais pensé. Car c’est ce rapport actif aux idées qui est, aujourd’hui, votre seule chance d’exister. La « recherche du bonheur », au sens du Préambule de la Constitution américaine et de Leibniz, le grand philosophe germano-français dont les principes fondèrent les Etats-Unis d’Amérique, est la liberté qu’a l’être humain d’agir en fonction de sa vraie nature - de découvrir de nouveaux principes physiques universels, de les transmettre aux autres et d’organiser leur application sous forme de technologies plus productives, permettant d’accroître la capacité d’accueil de l’univers.

La politique est la capacité de réunir les conditions pour l’accomplissement d’une telle œuvre et d’organiser la société en fonction d’elle. Nous lire, c’est devenir désintéressé vis-à-vis de soi-même et curieux de tout, pour l’avantage d’autrui.

Nous avons déjà changé le monde sur quelques points, par le pouvoir des idées et en entreprenant pour elles un combat sans compromissions, mais il n’en reste pas moins que, malgré nos trente ans d’existence, le monde en général n’est pas encore engagé sur la bonne voie. Qu’est-ce qui fera la différence ? Ne serait-ce pas vous, si vous croissez et multipliez ?