Tournée européenne d’Amelia Boynton Robinson : Un mouvement des droits civiques en France ?

mercredi 31 octobre 2007, par Bertrand Buisson

Lors de l’émission Forum-Débat sur Beur FM, le 18 octobre, la question fut clairement posée : faut-il un mouvement des droits civiques en France, maintenant ? Le constat qui s’impose des deux côtés de l’Atlantique, et que l’affaire des « six de Jena » en Louisiane ou encore les tests ADN et les statistiques ethniques dans l’Hexagone ont remis sur le devant de la scène, est que la discrimination n’a pas disparu.

Le cas de la France est particulier, car alors que le mouvement des droits civiques prenait de l’ampleur aux Etats-Unis, en 1955, après que Rosa Parks eut refusé de céder à un Blanc son siège dans un autobus, créant l’étincelle autour de laquelle un mouvement de masse allait s’organiser autour de Martin Luther King, l’empire colonial français existait encore sans qu’officiellement il y eût de ségrégation. C’est à partir de 1958 que de Gaulle accordera les indépendances, sans pour autant en finir avec certains aspects détestables de la colonisation. Depuis, comme l’a souligné Charles Onana (journaliste d’investigation et éditeur de la version française du livre de Mme Robinson), tous les mouvements de lutte contre la discrimination qui ont émergé n’ont jamais eu de réelle légitimité populaire, contrairement au mouvement mené par Martin Luther King, et ont rapidement perdu leur indépendance, si toutefois ils en avaient une.

Pour Amelia Boynton Robinson, tant qu’il y a discrimination, il y a un combat à mener, et si la situation l’exige ici, il faut reprendre la même lutte qu’elle a menée jadis. Une auditrice s’empressa de renouveler cet appel à l’antenne.

Dès lors, la barrière à laquelle on se heurte, c’est de faire que les gens se lèvent pour leurs droits. Amelia Boynton Robinson a donc soulevé la nécessité pour un mouvement organisé de pouvoir rendre aux gens leur dignité et leur fierté, car ils ne se lèveront que pour une cause qu’ils savent être juste. S’ils n’en sont pas conscients, ils ne bougeront pas, où seulement par rage, ce qui peut avoir des conséquences pires que l’inaction.

Cet enjeu sous-jacent à tout le voyage de Mme Robinson, notamment lors de sa conférence de presse au Centre d’accueil de la presse étrangère, à la Maison de la Radio, et de sa séance de dédicace à la librairie Présence africaine, s’est retrouvé au cœur du débat sur Fréquence Paris Pluriel, où elle était invitée à l’émission de politique africaine Tam-Tam. Elle rappela que les efforts des racistes avaient été de catégoriser les Noirs en tant qu’esclaves afin qu’ils ne puissent se considérer d’égal à égal avec les Blancs et qu’ils s’identifient à l’exploitation dont ils étaient victimes. Mme Robinson évoqua l’histoire occultée de l’Afrique, l’origine de la civilisation européenne et américaine qui était passée par la vallée du Nil et l’Egypte noire, comme l’a révélé l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop, mais aussi les 3000 inventions de Noirs-Américains qui ont contribué au développement des Etats-Unis, comme le réfrigérateur et le feu tricolore. Il y a un besoin de vérité historique pour pouvoir mener une bataille politique qui dépasse la corruption ambiante et l’air du temps.

Son passage à l’AG de Solidarité & Progrès

Sa visite à l’Assemblée générale de Solidarité & Progrès, devant un public ayant déjà en esprit ou en actes l’engagement politique de changer la France, fut décisive. Elle rappela que la liberté n’est pas acquise d’avance. C’est une condition mentale intérieure à chacun et le devoir de chacun est de la rendre possible pour tous. Elle raconta comment Selma avait basculé en 1963, lorsque, après avoir participé à une messe en mémoire de son mari, S.W. Boynton - figure locale du combat pour les droits civiques - des centaines de personnes avaient perdu leur emploi pour avoir honoré celui qui avait défié l’autorité. Ces gens se croyaient jusqu’alors à l’abri, menant une vie modeste et normale ; ils avaient un travail, une maison et ne demandaient rien à personne. Mais ce jour-là, lorsqu’ils se sont rendus compte au plus profond d’eux-mêmes qu’ils étaient traités comme des esclaves, ils devinrent des militants.

Amelia Boynton Robinson à l’assemblée générale de Solidarité & Progrès le 20 octobre 2007

Son ultime message fut de conseiller à tous de profiter de la sortie de son livre en français, Le combat des Noirs aux Etats-Unis, aux Editions Duboiris, pour apprendre l’Histoire de la bouche de ceux qui l’ont faite. Car si vous croyez encore que quelqu’un d’autre viendra se battre à votre place lorsque l’injustice vous frappera, conclut cette infatigable militante de 96 ans, en lisant son livre, vous changerez de manière de penser et d’agir.