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Europe : circulez, on dérégule toujours plus !

dimanche 4 novembre 2007

Par Christine Bierre

Au moment où la crise du crédit hypothécaire à haut risque (subprime) a fait éclater un vaste débat sur la nécessité de mieux réguler et rendre transparentes les transactions financières spéculatives, une nouvelle directive européenne, la Directive marché d’instruments financiers ou MIF, actée depuis le 1er novembre, balaye encore plus les derniers obstacles au pillage financier.

Février 1986. L’Acte unique européen entre en vigueur avec comme objectif la création d’un marché unique pour la libre circulation des biens et des personnes. L’un des axes principaux de cette politique était la réalisation de la libre circulation des capitaux et des services. Un premier train de mesures a été lancé dans les années 80 pour tenter d’harmoniser l’action des banques, compagnies d’assurances, services d’investissement et organismes collectifs de placement (OPCVM). Celles-ci restant de portée limitée, cependant, un processus visant à éliminer les derniers cloisonnements a vu le jour dès 1999. En 2001, le Comité européen des régulateurs de marché des valeurs mobilières (CERVM) était crée pour rapprocher les régulations nationales tant en termes de conception, que de culture, de réglementation et d’instruments techniques.

La Directive MIF qui vient d’être transcrite dans la législation française et dans celle des autres Etats membres, est au cœur de ce processus qui arrive maintenant pratiquement à son terme. Elle élimine les derniers obstacles à une mainmise sans limites de l’économie européenne par les entreprises financières et ouvre la voie à de nouvelles marges de manœuvre dans la spéculation financière.

La directive a deux objectifs principaux :

1) Faciliter la possibilité pour les entreprises financières européennes (banques et compagnies spécialisées dans les services d’investissement) d’offrir leurs services à des professionnels et particuliers à travers tous les Etats membres de l’UE. La MIF devrait ainsi faciliter ce qu’on appelle le « passeport européen » permettant à une entreprise financière autorisée à opérer dans un pays membre par l’autorité de contrôle, d’exercer automatiquement dans tous les autres pays.

2) Le deuxième changement, et de taille, est que dorénavant, le monopole de la seule Bourse pour la négociation de titres dans chaque pays, est cassé, et trois types d’acteurs assurant l’achat et la vente des titres, seront mis en concurrence : 1) un autre « marché réglementé » (Londres, Francfort...), 2) un « système multilatéral de négociation » (SMN en français, MTF en anglais) assujetti à une réglementation équivalente à celle d’un marché réglementé, mais où il n’y a pas d’introduction en bourse, 3) les Prestataires de services d’investissement, qui pourront exécuter les ordres de leurs clients en dehors d’un marché réglementé ou d’un système multilatéral de négociation et auront un statut dit « d’internalisateur systématique » lorsque cette activité représentera une activité importante. Tout ceci dans le but de doper les placements financiers, les rendant plus accessibles à l’ensemble de la population.

Exemple de possibilités d’escalade dans l’horreur spéculative permises par le nouveau système, le SMN créé récemment par NYSE Euronext, BNP Paribas et HSBC, Smart Pool, conçu pour être une plate-forme pouvant faciliter l’exécution des ordres de grande taille sur les valeurs européennes. A la différence d’une bourse traditionnelle, qui offre une transparence pré-négociation, Smart Pool permettra à ses utilisateurs d’interagir sans révéler leur identité, les volumes ou les prix auxquels ils souhaitent négocier ! Ceci répond au souhait des institutions financières de limiter les fuites d’information et leur impact sur le marché, tout en satisfaisant aux exigences de MIF. Toutes les transactions réalisées à travers Smart Pool seront publiées post-négociation, conformément aux règles imposées par la directive.

Les instruments financiers concernés par la MIF sont les actions, obligations, OPCVM (Sicav et FCP), trackers (instruments basés sur les indices d’actions), warrants (les « options » prises sur la vente ou l’achat de titres à terme, appelées aussi puts et calls), et produits dérivés. Ils n’incluent pas les fonds investis dans les comptes d’épargne, et les contrats d’assurance vie. Grave aussi, la directive entérine le fait que seuls les clients définis comme « non-professionnels » ont besoin d’une information complète des risques encourus de la part des entreprises d’investissements, et non pas les groupes et les clients définis comme « professionnels ».

Quel chemin parcouru entre le système de crédit régulé par l’Etat en faveur de l’investissement productif des années de la reconstruction d’après-guerre, en vigueur jusqu’à la fin des années soixante, et l’orgie de dérégulation financière que cette nouvelle directive achève de mettre en place aujourd’hui ! La maîtrise du crédit par l’Etat et par la Banque de France de ces années, était la base d’une politique économique assurant le bien commun, grâce aux investissements dans les grands programmes de recherche et d’application technologique, et les grands projets infrastructurels. Aujourd’hui, sous contrôle des groupes privés, les flots financiers vont non plus au développement de nouvelles capacités de production, mais presqu’uniquement à la prise de contrôle de capacités existantes - Fusions et acquisitions ou achats à effet de levier (LBO) - des compagnies qui sont souvent dépecées pour obtenir un maximum de gains à court terme.

Si rien n’est fait pour l’arrêter, ce processus de financiarisation de l’économie et de cartellisation des capacités de production, conduit inexorablement non seulement à la destruction de nos économies mais à l’émergence d’un fascisme financier.