Les analyses de Jacques Cheminade

MySpace, Facebook : Un camp de concentration mental sans larmes

samedi 10 novembre 2007, par Jacques Cheminade

L’enjeu des communautés virtuelles et des jeux vidéo
Un camp de concentration mental sans larmes

par Jacques Cheminade

Si l’on vous dit que la pire pollution de notre société est la pollution mentale, et que les plates-formes de socialisation, les jeux vidéo, les sports de masse et toute « l’industrie numérique du divertissement » fonctionnent comme une machine à abêtir, pour anéantir toute résistance à un nouveau fascisme et créer les conditions d’une servitude volontaire, beaucoup d’entre vous se diront : « il exagère ! Oui, c’est vrai, il y a un problème d’intoxication par l’image, mais les jeunes ont toujours leurs modes. Celle-là est-elle vraiment pire qu’une autre ? Au moins, à travers MySpace, Facebook (en français, Trombinoscope), Debo, Asmallworld (ce petit monde), Friendstar ou Netvibes, ils se parlent, ils communiquent, ils font connaissance, ils se socialisent. C’est mieux que la solitude. Et les jeux violents, n’est-ce pas une ’ catharsis ’ » ? N’est-ce pas l’occasion d’éliminer des aspects longtemps localisés dans le subconscient en les exprimant sous une forme virtuelle sans conséquences... ? N’est-ce pas notre monde, dans lequel nous sommes libérés des contraintes sociales injustes, l’espace où nous pouvons dire ce que réellement nous ressentons ? »

Raisonner ainsi, c’est se situer soi-même dans un univers clos - celui-là même du jeu ou des « communautés » - comme si la société actuelle, la désintégration du système financier et monétaire international, la spéculation sur les produits alimentaires et les matières premières qui l’accompagnent, la banalisation de la pratique de la torture aux Etats-Unis, l’incapacité de l’économie actuelle d’assurer un futur aux jeunes et aux générations à naître, n’existaient pas. Cela revient à nier la réalité, à s’aveugler sur les conséquences d’un comportement autodestructeur.

Que ce comportement passe par les jeux vidéos violents est devenu une évidence après les massacres des lycées de Columbine (Colorado), d’Erfurt, en Allemagne, de Virginia Tech (Virginie) et maintenant du lycée de Jokela, en Finlande. Dans ce dernier cas, qui vient de se produire lorsque j’écris ces lignes, un jeune homme de 18 ans a tué six élèves, une infirmière et son proviseur, blessé plusieurs autres avant de finalement se suicider. Lecteur de Nietzsche, il a laissé un message révélateur de l’état d’esprit de ceux qui sont attachés à ces jeux extrêmes - lui-même pratiquait Counterstrike et jouait sur Battlefield 2 avant de passer à l’acte.

Ecoutons-le : « Nous sommes un cancer sur cette planète et notre nombre doit être réduit. Je suis préparé à combattre et mourir pour ma cause. Moi, comme sélecteur naturel, je vais éliminer tous ceux qui ne me semblent pas aptes, les déchets de la race humaine et les échecs de la sélection naturelle. Ceci est ma guerre, la guerre d’un seul contre l’humanité, les gouvernements et les masses imbéciles de ce monde... L’humanité est surévaluée [il portait cette mention sur son tee-shirt]. Il est enfin temps de redonner priorité à la sélection naturelle et à la survie des plus aptes. »

Le pire est qu’un groupe de soutien au tueur, les « sympathisants du tireur du lycée de Jokela », s’est constitué sur Facebook, avec déjà plus de quarante « amis » : « Nous sympathisons avec Pekka-Eric Auvinen, qui avait 18 ans, parce que ses croyances et ses actes ont été une réaction saine et honnête face aux horreurs de la société moderne ». Ainsi, le passage à l’acte suicidaire après la pratique de jeux vidéo violents se trouve promu sur une « plate-forme de socialisation ». La boucle est bouclée.

Sommes-nous loin de la France ? Non, puisque Romain Dupuy, qui a « buté » deux infirmières, sectionné la tête de l’une d’entre elles pour ensuite l’installer sur un téléviseur du pavillon psychiatrique où elle travaillait, a déclaré devant le tribunal de Pau : « J’avais passé la journée à jouer à des jeux de guerre sur la playstation et à fumer des joints... Je me prenais pour Predator, je ne faisais que jouer à la playstation, j’étais coupé du monde ».

Au temps pour la « socialisation » et la « catharsis ». Cependant, diront encore certains, « vous prenez les cas extrêmes. Vous êtes de mauvaise foi. Vous allez trop loin. »

Pour commencer, je demande à tous ceux-là de passer un moment - si possible bref - sur les jeux les plus violents, les Schmup en anglais (« shoot them up », flinguez-les), qui deviennent dans un français aseptisé « les jeux de tir classique ». Prenez Counterstrike ou le dernier en date, Halo 3, titre dont « le lancement connaît un succès sans précédent »  : Microsoft a engrangé 170 millions de dollars aux Etats-Unis 24 heures seulement après sa sortie. Dans ce jeu, le joueur incarne « masterchief » (le chef suprême), un soldat humain surpuissant qui doit éliminer le plus possible d’aliens (M. Le Pen traduirait par allogènes, M. Hortefeux trouverait un terme plus subtil), avec une quantité invraisemblable d’armes et de véhicules supersoniques. Le directeur marketing du distributeur spécialisé Micromania commente : « Il y a des complots, des manipulations génétiques, les bons d’un côté et les méchants de l’autre, c’est du pur Hollywood. » « Images en haute définition, réalisme et souci du détail, on a vraiment l’impression d’y être. » Ces jeux violents prolifèrent : ceux auxquels vous pouvez vous identifier à un terroriste aux abois, ou à un conducteur de véhicules qui tue systématiquement les passants et marque des points à chaque meurtre. L’imagination morbide des concepteurs n’a pas de limites. Clive Thompson, dans Wired, décrit ainsi l’esprit du joueur : « Je pensais difficile d’imaginer l’état mental d’un terroriste, jusqu’à ce que je joue sur Halo 3 online... J’y ai appris le goût de tuer des ennemis supérieurs en nombre en les attaquant sans craindre leurs balles pour finalement leur jeter une grenade avant de mourir, comme si j’agissais par-delà ma tombe. Ce n’est pas juste sacrifier sa vie pour tuer quelqu’un d’autre. C’est que j’aime exploiter la psychologie d’une guerre asymétrique. (sic) »

Certains, comme tel ou tel télévangéliste ou autre prêcheur, vont même jusqu’à inclure une pincée de religion dans le jeu. Ils espèrent pouvoir recruter des « âmes égarées » par l’intermédiaire d’Halo (New-York Times, version du Monde du 13 décembre, « les jeux violents attirent les jeunes vers un message d’amour », par Matt Richtel).

Il y a aussi les jeux d’aventure par lesquels vous entrez dans un univers virtuel, et qui sont prévus pour que vous soyez immergés pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois dans ce « monde » - un vrai « trip » qui, pour être plus « vécu », s’accompagne souvent chez le « voyageur » d’une consommation de haschich.

D’autres jeux encore, « des petites douceurs en ligne », selon Libération, visent à provoquer « une addiction »  : Splash Back, Desktop Tower Defense ou Endless Zombie Rampage, dans lequel il s’agit de « retapisser le sol de cervelles mortes vivantes ».

Dans un cas - les jeux les plus violents - il s’agit d’une mise en scène du suicide physique. Dans l’autre, celui du « trip », c’est un lent détachement du réel - un suicide mental. Dans tous les cas, le pratiquant s’isole dans une rage auto-destructrice, convaincu d’être de plus en plus lui-même au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la réalité.

Comme l’ont indiqué plusieurs responsables américains, et en particulier le lieutenant-colonel David Grossman, chargé de former les forces spéciales américaines et les agents du FBI (un connaisseur du sujet), ces jeux vidéo, en particulier les plus violents, sont un sous-produit de l’entraînement militaire et paramilitaire (interview du 24 mai dans Executive Intelligence Review). « Nous faisons de l’acte de tuer un réflexe conditionné, stimulus-réponse. C’est une désinhibition (...) A l’heure de vérité, le stimulus s’impose et les agents tirent sans pensée consciente. »

Sous entraînement contrôlé, des limites sont mises (ou devraient l’être) à l’acte de tirer pour tuer. Dans les jeux vidéo, il n’y a pas de présence humaine et aucune limite n’existe. L’environnement de violence et d’images de la sous-culture abolit la différence entre virtuel et réel, et facilite le passage à l’acte. Ainsi, un tueur de 14 ans à Paduka (Kentucky) a tiré huit fois et est parvenu à toucher huit jeunes avec un pistolet calibre .22 (5 tirs à la tête, 3 au torse ; 3 tirs mortels) aussi bien que le plus qualifié des « professionnels ». Le nouveau facteur, nous dit Grossman, n’est pas que les armes soient disponibles, ce sont les jeux vidéo et les simulateurs de meurtre sur cible à apparence humaine. Aux meurtres de masse dans les lycées correspond ainsi les meurtres de masse des mercenaires de Blackwater ou de soldats « désinhibés » qui, en Irak, tirent sans hésiter sur des civils qui pourraient constituer une menace. Ces mercenaires et soldats sont le produit des mêmes jeux vidéo que ceux pratiqués par les jeunes enfants. La cause des meurtres est la même, elle est politique, elle découle d’une conception dans laquelle l’homme est assimilé à un animal dangereux, qu’il faut au besoin éliminer pour « assainir l’environnement ». Cela a un nom dans l’histoire, et l’histoire aujourd’hui, dans la désintégration financière et la dislocation sociale, se répète si nous n’intervenons pas pour en changer le cours.

Ah ! Mais, direz-vous, les plates-formes de socialisation, comme MySpace ou Facebook, c’est autre chose. Là, on propose des « outils logiciels en ligne », gratuits et permettant aux inscrits de créer leur « profil » et d’établir ainsi des « liens » avec d’autres internautes (par email, en partageant des photos, en se regroupant par goûts ou croyances).

Des « communautés » se constituent ainsi autour de centres d’intérêt. MySpace et Facebook hébergent les plus importantes. La première fédérerait 200 millions d’adeptes par mois ! Il s’agit donc d’un phénomène social « global » sans précédent : à la mondialisation financière correspond la « mondialisation sociale ».

Notons-le tout de suite : les mêmes qui soutiennent les jeux vidéo violents contrôlent les plates-formes de socialisation. Ainsi, Microsoft a acheté 1,6 % du capital de Facebook créé par Mark Zuckerber, un étudiant de Harvard, en 2004. La somme versée, 240 millions de dollars, conduit à évaluer Facebook à... 15 milliards de dollars ! Quant à MySpace, il est actuellement contrôlé par le milliardaire Rupert Murdoch, qui a financé Tony Blair et soutient actuellement aux Etats-Unis la campagne présidentielle du républicain Rudolph Giuliani, qui a appliqué à la police new-yorkaise les techniques des jeux vidéo violents et appelle à un bombardement sans scrupules et immédiat de l’Iran. MySpace vient de s’allier à Google, le premier moteur de recherche mondial, et aux éditeurs de logiciels Oracle et Salesforce.com, les « challengers » de Microsoft.

Il s’est donc constitué un empire à deux têtes d’internet, avec pour but de mettre toutes les images sur un même circuit. Ainsi, si la télévision était allumée pendant 16 heures par semaine il y a 25 ans, aujourd’hui on arrive à 34 heures pour tous les médias audiovisuels sur écran, et l’on pense arriver à 70 heures dans 5 à 10 ans, comme le montre une étude australienne.

Les « plates-formes de socialisation »

Que fait-on sur ces « plates-formes de socialisation » ainsi contrôlées ? On se branche sur des « amis » (friends). Friends, friends, friends, on se lance dans une quête anxieuse pour trouver la « bonne communauté d’amis à laquelle appartenir. Vous donnez votre nom, votre adresse, vos photographies (qui peuvent être retouchées et améliorées), votre date de naissance et vous faites part de vos opinions politiques, de vos croyances religieuses, de vos diplômes (Facebook s’adonne au « haut de gamme »), de vos « jobs », de votre statut relationnel (relationship status) : « célibataire ? » « engagé ? » « poursuivant une relation ? » « marié » ou bien « c’est plus compliqué ? » Vous voilà classé, étiqueté, et vous allez vous faire des amis, qui vous attendent partout, qui vous veulent tous du bien. Si vous voulez aller plus loin dans le virtuel, prenez un avatar dans Second Life et opérez dans un univers parallèle, avec une monnaie parallèle - le linden - et de vrais-faux avatars d’amis.

Le premier intérêt est de vous classer - jusqu’à vos préférences sexuelles - pour être le gibier des publicitaires. On arrive ainsi à une « finesse de ciblage » d’autant plus parfaite qu’elle est le produit des ciblés eux-mêmes. Ri-Pierce Grove, analyste de Datamonitor, explique pourquoi les géants du web s’intéressent tant aux communautés virtuelles : « Avec les liens sponsorisés de Google (mots-clés actuellement vendus aux annonceurs pour que leurs sites soient mis en valeur quand l’internaute lambda fait une recherche), les publicités vues par les internautes sont basées sur ce à quoi ils pensent. Avec les réseaux de socialisation, ils verront des réclames basées sur ce qu’ils sont. »

Ainsi, les plates-formes de socialisation sont un véritable « parc zoologique » pour publicitaires. Mais il y a pire. Marck Zuckerberg (le créateur de Facebook) a, selon Amaury du Duchet, du cabinet de conseil Faber Novel, « pour lubie de traduire le réseau de chaque individu par un social graph, une sorte de représentation matérielle, informatique, de tous ses liens sociaux, de toutes ses connexions avec d’autres individus ». Une sorte de super Big Brother, basé sur la servitude volontaire ! Votre petit moi narcissique, réduit à la solitude dans une société de services sans horizon collectif, est ainsi contrôlé par le bas, tandis que toute l’information disponible sur votre vie privée se trouve collectée par le « réseau ». Vous vous êtes détruits en tant qu’être humains, vous vous êtes jetés; en pâture, vous êtes devenus la chair à canon du système avec l’illusion de l’avoir fait en toute liberté. Vous êtes un pion exo-dirigé au sein d’une foule solitaire virtuelle, un « petit monde » bien au-delà de ce contre quoi le sociologue américain David Riesman avait mis en garde au milieu du XXe siècle.

Car ce qui est en jeu n’est pas nouveau. La tentative de mettre sous contrôle les êtres humains, en les réduisant à leurs émotions élémentaires et à des connexions, est aussi ancienne que le poète allemand Friedrich Schiller la décrit dans Le visionnaire ou Cervantes dans Le rétable des merveilles. Ce qui rend aujourd’hui la chose bien plus menaçante, c’est d’une part la mondialisation et d’autre part les moyens informatiques sur écran. La destruction de l’attention, de la concentration de l’esprit et du temps d’introspection est entreprise à une échelle de masse par les psychotechnologies, comme le dénonce Bernard Stiegler. Très bientôt, les téléphones portables deviendront, avec les iPod, des compagnons dont on ne pourra plus se débarrasser, auxquels une nouvelle génération aura été progressivement adaptée. Déjà, le Guardian du 5 novembre rapporte que l’Institut Mori, en Grande-Bretagne, a établi que 65 % des jeunes Anglais entre 16 et 18 ans sont « accros » aux communautés virtuelles, et 90 % au portable. Mettez les deux ensemble, et vous avez un camp de concentration mental sans larmes.

J’entends déjà, une fois de plus, les « vous allez trop loin ! On est libre, après tout. On est en démocratie ».

Eh bien, c’est ici que nous devons aller encore un cran plus loin et examiner la nature même du cyberespace.

Là, il n’y a pas de place pour la véritable création, pour la découverte de principes physiques ou la formulation d’hypothèses. En effet, vous êtes « classé » dans un système fixe, avec un ensemble d’axiomes fixes, où tout ce que vous faites prend place dans un système logico-déductif mécanique ou statique. Norbert Wiener, le père de la cybernétique, envisage des « machines intelligentes » ou Von Neumann une « intelligence artificielle ». Mais ces machines ou ces « intelligences » se heurtent à l’incapacité d’échapper aux limites dans lesquelles elles ont été conçues.

Les êtres humains qui raisonnent du point de vue de ce système n’ont aucune idée de comment passer à un autre ordre de choses, à un autre univers physique. C’est là qu’est tout le problème des universités et des économies actuelles, dans la manière de ne pas penser : les plus « intelligents » et les plus « formés », qui ont répondu à ce qui est exigé par les diplômes, administrent, au mieux, un monde fini ou, au pire, le détruisent par des manipulations financières ou des montages hyper-spéculatifs conçus avec des algorithmes. Non seulement ils en épuisent les ressources, mais ils nient le monde de la production à travers le prisme d’internet. A la limite, nous avons des économies sans production, l’entreprise sans usines de Serge Tchuruk, comme aux Etats-Unis ou en Europe occidentale, des économies ou 80 % des gens travaillent dans les services et où la production se trouve sous-traitée aux pays à bas salaires, dans lesquels la main-d’œuvre n’est pas formée à la découverte d’idées, mais à la réplication de tâches auparavant accomplies ailleurs.

C’est ici que l’univers des médias sur écran rencontre celui de l’ingénierie sociale, celui des manipulations de masse conçues par un Kurt Lewin, protecteur et professeur de George Shultz, qui suivit aussi les cours de Milton Friedman à Chicago. Ainsi Shultz, l’homme qui forma le gouvernement Bush (les fameux « Vulcains »), qui finança la chute d’Allende en 1973 et organisa l’élection de Schwarzenegger en Californie, se trouve directement impliqué dans ce monde informatique, médiatique et financier de « technologies créatives ». C’est là que se trouve le centre du nouveau fascisme, fondé sur la destruction, voulue et organisée, de la créativité humaine. Des individus dépolitisés et désocialisés seront ainsi conduits dans un monde sans avenir, comme les moutons de Panurge. Les tartines pseudo-philosophiques sur « la fin de l’histoire » découlent de cette manière d’abaisser l’homme, car l’histoire est en effet une suite de découvertes de principes en science, en art et en politique, qui ne peuvent être faites dans un monde virtualisé et désocialisé. Si l’on veut voir les choses plus crûment, on peut dire qu’il s’agit d’un processus de masturbation de masse, dans lequel le vice solitaire devient socialement suicidaire.

« Fascisme » signifie ici le contrôle mental et policier d’un univers incapable de se reproduire lui-même, dans lequel la capacité d’agir socialement a été presque totalement détruite. Le premier pas vers le gouffre est la reproduction de la petitesse personnelle, le marketing de son ego : l’on voit ainsi MM. Delanoë et Bayrou, Mmes Anne Hidalgo, Dominique Voynet et Valérie Pécresse branchées sur Facebook, côté Cour. Côté jardin, les rejetons des familles Sellière, Bouygues, Fillon, Panafieu et autres Bolloré exhibent leurs photos de soirées éméchées et de vacances en tenue plus ou moins petite. « On a de belles vies, de belles fringues, de belles fêtes, de jolies gueules, alors on les montre, puisque c’est beau à regarder », dit Florence, 23 ans. Pour ceux-là, c’est le suicide intellectuel dans un corps cultivé à défaut d’idées.

Un cran plus loin, les BD, les mangas et la science-fiction jouent un rôle fondamental dans la « déréalisation » et la promotion d’un monde dominé par la « volonté de puissance » et la loi du plus fort. Predator, Robocop, Metroïd et Terminator occupent le terrain, dans un futur noir mais absorbable car traité en dérision.
Qu’opposer à cet univers ? Là est la vraie question. Dénoncer ce contrôle social, ou le limiter, ne suffit pas. Certes, il faudrait exiger que la loi norvégienne ou québécoise, qui interdit le démarchage publicitaire des mineurs, soit appliquée partout. Certes, il faudrait limiter l’accès aux jeux vidéo violents - ou, mieux, les interdire - et à internet. On dispose aujourd’hui, si on voulait les mettre en œuvre, de filtres software qui permettent de le faire. Cependant, la question est politique. Les jeunes ont été volés de leur sens de l’histoire, et il faut le leur rendre en leur faisant revivre les grandes découvertes qui portent en elles un changement de système. Il faut leur redonner l’assurance qu’une intervention humaine peut changer les choses pour le mieux et alors, le meilleur les fera renoncer d’eux-mêmes à la pathologie du pire.

Quelles idées sont nécessaires pour permettre que notre pays ait un futur ? Comment les partager ? Les faire renaître et les partager sont une seule et même chose, et c’est ce qu’a entrepris notre mouvement de jeunes. Notre site internet vise à briser la cage, en instaurant à travers le média lui-même un dialogue international sur la manière de procéder pour combattre l’injustice, pour sortir vivant et pensant de « son petit monde ». Car le vrai bonheur humain est de découvrir des principes universels, les partager et organiser toute la société pour qu’elle encourage à le faire. Là est le vrai leadership politique, celui qui inscrit l’idéal dans le réel, contre la prison destructrice du virtuel, contre l’habitude malsaine d’une quête de sensations sans objet et donc destructrice de l’autre et de soi-même.