Les analyses de Jacques Cheminade

Le Thatcher français face au pouvoir d’achat

samedi 24 novembre 2007, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Parfois, la presse anglaise pose les bonnes questions avec autant de franchise que de cynisme. Ainsi, le Daily Mail du 20 novembre s’interroge : « Sarkozy peut-il être la Mme Thatcher de la France ? Ce ne sera pas facile parce que les Français descendent plus facilement dans la rue que les Anglais. » L’hebdomadaire ultra-libéral The Economist voit arriver son « moment Thatcher ». Et à l’Independent, un lecteur répond : « Sarkozy, Thatcher, Reagan même combat : la Dame de fer avait brisé les syndicats de mineurs en 1984-1985, le président américain avait licencié tous ses contrôleurs aériens en 1982, le président Sarkozy doit affronter les cheminots. » Il est évident que le Président de la République ne peut cette fois se défausser sur quiconque ou blâmer l’un de ses collaborateurs. Un conseiller de l’Elysée exprime les choses sans nuances : « Il ne peut pas y avoir de dissensions au sein du gouvernement parce que Sarkozy travaille seul. Personne ne sait ce qu’il va faire ni quand. »

Après s’être longtemps tu, il a tenté de tenir son habituel double langage au 90ème congrès des Maires de France, le mardi 20 novembre. Il a d’abord appelé les cheminots et les agents de la RATP en grève à reprendre le travail, affirmant qu’« une petite minorité ne saurait imposer sa loi à une large majorité. La démocratie, comme l’ordre public, je les ferai respecter. » Et de souligner que la grève a déjà coûté trop cher aux usagers qui n’ont pas à être pris en otage d’un conflit qui ne les concerne pas. Du classique de la droite anti-grève. Il n’a ensuite pas hésité à paraphraser le communiste Maurice Thorez et sa fameuse formule de 1936 : « Il faut savoir terminer une grève. »
Cependant, Sarkozy - reprenons son vocabulaire favori - n’a pas été assez borderline pour terminer sa citation. Thorez ajoutait en effet : « ... quand on a obtenu satisfaction. »

Satisfaction ? Sarkozy est prêt à lâcher quelques miettes : son respect pour les travailleurs (qui ne lui coûte pas très cher), la promesse d’accroître l’enveloppe consacrée aux augmentations individuelles (+ 15 % en 2008 à EDF-GDF), une vague promesse que ceux qui vont prendre une retraite complémentaire n’y perdront pas, l’octroi d’un calendrier de négociations et surtout, la promesse d’intervenir pour proposer des mesures en faveur du pouvoir d’achat, sans doute le jeudi 29 novembre. Ces mesures font l’objet de vives disputes au sein de l’UMP. La proposition d’Henri Guaino - un treizième mois exonéré de charges fiscales et sociales proposé aux entreprises et un desserrement budgétaire obtenu grâce à l’affranchissement de certaines règles européennes - ne semble pas devoir être adoptée. De toutes façons, on voit mal comment, en dehors d’une politique plus générale de rupture, ce gouvernement pourrait faire accepter ces mesures aux entreprises et à l’Europe. D’autres à l’UMP proposent une modulation des aides en fonction de la politique salariale, une baisse de la TVA contre une baisse des cotisations sociales payées par les salariés, faire sauter les obstacles à la concurrence pour provoquer une baisse des prix (réformer la loi Galland qui encadre les prix de la grande distribution), voire des stock-options pour tous ou l’élargissement de la distribution d’actions gratuites. Là, c’est une usine à gaz qui fonctionne à plein rendement et dont l’objet véritable est de jeter de la poudre aux yeux. A qui peut-on en effet faire croire que « la concurrence » permettra de faire baisser les prix - tout au plus permettra-t-elle aux hypermarchés Wal-Mart de s’installer en France, c’est-à-dire la concurrence la plus anti-sociale qu’on puisse imaginer - et que les stock-options, par nature réservés à une élite, pourront devenir un instrument pour tous, comme si dans un marché, tout le monde pouvait devenir spéculateur ?

Plus sérieusement, Nicolas Sarkozy a révélé le fond de sa pensée lorsqu’il a déclaré devant ses conseillers et amis de l’UMP : « Tout ce que nous avons fait jusqu’à présent nous permettra éventuellement davantage de fermeté plus tard. »

Le problème ici, pour lui, est qu’il considère la réalité comme un jeu vidéo où l’on deale des positions au sein de rapports de force et de perceptions révélées par les sondages.

Or la réalité n’est pas un jeu à somme nulle. La crise financière mondiale, relayée par des intérêts financiers français ou installés en France, frappe de plein fouet le pouvoir d’achat de tous, et en particulier des plus défavorisés. Globalement, la consommation des ménages a reculé de 1,1 % en octobre après une baisse de 0,3 % en septembre. On s’attend à une croissance du PIB proche de 0 % au dernier trimestre, soit une décroissance au niveau de l’économie physique productive. Un élément nouveau apparaît avec la chute des biens d’équipement du logement.

Rappelons quelques chiffres :

    • le logement, précisément : il pèse le quart du pouvoir d’achat pour les moins aisés (locataires dans 48 % des cas), mais seulement 10 % pour les plus riches (à 90 % propriétaires de leur logement) ;
    • en 2005, la moitié de la population ayant le niveau de vie le plus faible détenait à peine plus de 30 % des revenus, alors que les 20 % les plus aisés en accaparaient 37 % ;
    • entre 2002 et 2005, le revenu des plus pauvres a stagné ou baissé, alors que celui des plus riches a augmenté de plus de 1 % par an ;
    • en 2005, 16,8 % des salariés touchaient le SMIC (1005,37 euros net par mois) et 80 % des Français avaient un revenu inférieur à 2000 euros.

Ce sont les plus démunis qui aujourd’hui en attrapent plein la gueule. En termes administratifs, l’on dit que « ce sont les bas salaires qui souffrent le plus de la mollesse du pouvoir d’achat et de la hausse des dépenses contraintes (logement, transport...) ». Or qu’a fait - concrètement, non dans ses discours - le chef de l’Etat jusqu’à maintenant ? Il a accordé aux plus riches un cadeau fiscal de 15 milliards d’euros (le fameux « paquet fiscal ») et un cadeau à lui-même, en accroissant de 206 % son traitement élyséen. Pour l’instant donc, M. Sarkozy est « le président du pouvoir d’achat »... des plus riches.

Cependant, l’essentiel est bien au-delà. Comme nous l’avons dit ici, il y a aujourd’hui trois priorités absolues qui se recoupent :

  1. Faire face à l’effondrement du système financier et monétaire international en dégageant à court terme des ressources pour tenir. La crise de liquidités et le resserrement du crédit frappent de plein fouet les banques françaises, et si on ne fait rien pour redresser leur cap, une crise de tout le système économique national se déclenchera, touchant de proche en proche tout le pouvoir d’achat, en partant des plus défavorisés jusqu’aux classes moyennes.
  2. Il faut, en même temps, prendre les mesures protectrices - les seules réelles, sérieuses - que nous annoncions ici : un triple bouclier consommation, logement et transport-énergie, bloquant les prix des produits de base et des logements (limiter à 20 % des revenus les loyers et mensualités à payer pour un achat) et compensant la hausse du coût de l’énergie par des aides publiques (rendre à nouveau flottante la taxe intérieure sur les produits pétroliers, par laquelle l’Etat compense toute hausse sur le marché international des carburants).
  3. Enfin, comme ces mesures défensives ne peuvent être, par définition, que temporaires, il faut lancer dès maintenant une politique de grands travaux et de recherche-innovation à l’échelle européenne et internationale, en suscitant le système de crédit public à long terme permettant de la faire. Il s’agit d’une logique de banque nationale ayant pour but de financer l’investissement à long terme, opposée à celle de la Banque centrale européenne, qui vise à stabiliser la monnaie, même au prix d’un étranglement de l’économie et de l’austérité sociale, comme c’est le cas actuellement.

Il s’agit d’un changement complet d’orientation de l’économie et de notre manière d’être pour lequel il faudra se battre au niveau de l’Europe et du monde. Cependant, sans lui, tout le reste n’est que discours, « coups » et parades de cirque. Cette vraie question du pouvoir d’achat, et celle de l’investissement productif qui lui est directement associée - oui, M. Levet, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales, a raison de le dire et de le répéter - est la question fondamentale.

L’opposition devrait être plus claire et plus déterminée, sans quoi Sarko, en promouvant l’image des gauchistes et des anarchistes, avec l ’aide des médias, créera une situation d’affrontement sans autre issue que celle dont on connaît, hélas, d’autres exemples dans l’histoire européenne.