Articles variés

Initiative transatlantique : Rohatyn courtise les maires européens

samedi 24 novembre 2007

Cet article a été publié dans le bi-mensuel Nouvelle Solidarité du 28 juillet 2006.

par Elke Fimmen

Depuis au moins 1999, Felix Rohatyn, de la banque Lazard, travaille à l’organisation d’un forum pour les maires de différentes villes du monde triées sur le volet. Son objectif : les convaincre que la mondialisation est inéluctable et qu’ils feraient mieux d’apprendre à vivre avec. Un aspect essentiel de cet effort consiste à leur vendre l’idée selon laquelle la privatisation de larges pans de l’infrastructure urbaine, financée par l’argent des contribuables, offre une solution à leurs problèmes financiers. L’autre but de Rohatyn, qu’il partage avec tous les banquiers synarchistes, est le démantèlement des pouvoirs de l’Etat-nation souverain. Cette offensive a été formellement lancée en janvier 1999 par Felix Rohatyn, alors ambassadeur des Etats-Unis en France, lors d’une réunion de la Conférence des maires américains à Washington sur le thème « Les villes, l’Europe et l’économie globale ».

La mondialisation de l’économie, déclara-t-il à cette occasion, ne concerne pas seulement le secteur privé compétitif, mais aussi par les villes et les régions.
A titre d’exemple, de nombreuses villes et Etats américains bénéficient d’investissements européens. A l’avenir, les maires vont devoir apprendre à travailler en partenariat avec le secteur privé, mais aussi à inventer de nouveaux moyens pour « entrer dans la concurrence internationale ».

Rohatyn a ensuite invité les maires américains présents à travailler avec lui et avec l’ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, John Kornblum, sur l’organisation d’une rencontre entre des maires français, allemands et américains en 2000, à Lyon, « centre d’une région économique internationale qui s’étend de Barcelone à Genève, de l’Allemagne, au nord, jusqu’à Turin, dans le nord de l’Italie ». Le Kornblum en question est actuellement PDG de la branche allemande de Lazard Frères.

Lyon, 2000

Le premier Sommet transatlantique des maires s’est donc déroulé à Lyon un an plus tard, du 6 au 8 avril 2000, organisé par Rohatyn, Kornblum et J. Thomas Cochran (qui dirige la Conférence des maires américains), l’Institut Aspen de Berlin et Aspen France, ainsi que le « New Traditions Network » de l’ambassade des Etats-Unis à Berlin. Il était sponsorisé, entre autres, par ONDEO Services (une filiale du géant français Suez qui est connu en Allemagne comme Eurawasser). Une trentaine de maires ont participé à ce sommet, dont un tiers venant des Etats-Unis et le reste de France et d’Allemagne.

Parmi les principaux thèmes abordés, on ne pouvait échapper à l’incontournable mantra sur « l’inévitabilité de la mondialisation » : Quels sont les impacts économiques et sociaux de la mondialisation ? Comment les gérer dans un contexte de changement ? Quel est l’impact de la mondialisation sur le gestion urbaine ? Comment les villes allemandes, américaines et françaises peuvent-elles saisir les chances de la mondialisation ? Comment les villes peuvent-elles assurer un développement durable ? La conférence a été ouverte par un ami des synarchistes, l’ancien Premier ministre et maire de Lyon, Raymond Barre. Reconnaissant que la mondialisation crée « de nouveaux défis pour le développement économique et peut mettre à mal la cohésion sociale des villes et des communautés », il a néanmoins salué « les nouvelles chances » que la compétition accrue ne manquerait pas d’offrir.

Un autre ancien Premier ministre français et maire de Bordeaux, Alain Juppé, a observé pour sa part que les gouvernements étaient devenus « trop petits pour les grandes choses », et trop grands pour les petites choses. D’où l’importance, selon lui, des villes dans un monde globalisé.

L’ambassadeur Rohatyn s’est dit très fier qu’un tel sommet, unique en son genre, ait pu avoir lieu, réunissant « des maires européens pour aborder les enjeux cruciaux de la mondialisation ». Il a reconnu que « l’idée de convoquer ce sommet international à Lyon » lui était venue en raison de l’expérience qu’il avait eue avec la ville de New York pendant près de deux décennies, et qu’il voulait partager avec les maires européens. C’est à cette époque que le banquier a mis en oeuvre son plan « Big MAC » de dictature financière sur New York, au détriment des entreprises productives et des travailleurs. Lorsqu’il était ambassadeur des Etats-Unis, Rohatyn a tenu à décentraliser les activités de l’ambassade dans différentes villes françaises, pour être plus proche de l’activité économique et politique la plus significative.

L’ambassadeur Kornblum, quant à lui, a encouragé les maires à ne pas écouter les conseils du ministère des Affaires étrangères, qui les avait appelés à ne pas s’impliquer dans les affaires étrangères, mais à s’engager au contraire dans la mondialisation. Dans la discussion qui s’ensuivit, on s’intéressa aux moyens d’attirer des capitaux « qui ne sont plus liés à un espace géographique ». Autre façon de parler d’intérêts financiers mondialisés. Mais ceux-ci ne s’installent que là où les lois sociales et les salaires leur sont les plus favorables. Là encore, on tente d’exploiter les problèmes de trésorerie des villes pour forcer des changements politiques plus profonds.

La thématique du court-circuitage ou de l’élimination des institutions de l’Etat-nation a rythmé toute la conférence. Le maire de Denver, Wellington E. Webb, a ainsi déclaré : « Si le XIXème siècle a été celui des empires et le XXème celui des Etats-nations, le XXIème sera le siècle des villes ». Norbert Gansel, le maire de Kiel, ville portuaire d’Allemagne du nord, a souligné pour sa part le fait évident que les villes n’ont pas « assez d’argent » pour résoudre les problèmes sociaux. Doit-on en conclure pour autant qu’il faille faire appel à des entreprises privées qui vont les piller ?

Berlin 2001, Washington 2002

La deuxième rencontre organisée par New Traditions Network se tint à Berlin du 20 au 22 mai 2001 sur le thème « l’Immigration à l’ère de la mondialisation, l’avenir du logement et le développement des transports ». Baptisée « Sommet international sur le terrorisme et le tourisme », la Conférence des maires américains à Washington en avril 2002, sept mois après le 11 septembre, avait attiré de nombreux maires du monde entier.

L’année suivante, la Seconde conférence internationale des maires s’est déroulée à Denver du 5 au 8 juin, sur le thème du développement durable et des villes. Il s’agissait, apparemment, de la dernière rencontre dans ce cadre institutionnel. A la réunion plénière du Conseil pour les Maires et les Entreprises, a pris la parole Howard Meanker, directeur des affaires publiques de la société Bechtel de George Shultz. Parmi d’autres intervenants notables, signalons Maury Myers, président et PDG de Waste Management (la société parrainant cette rencontre), l’ambassadeur australien aux Etats-Unis, Michael Thawley, le vice-président de DuPont, Stacey Mobley, le vice-président et directeur général du groupe U.S. Filter Services et le maire de Détroit, Kwame Kilpatrick, président du « Conseil pour les Investissements dans la nouvelle ville américaine ». Etaient également présents des représentants du Japon, de la Corée, de l’Afrique et des Nations Unies. De nombreux maires de villes en faillite sont attirés par les « partenariats public-privé (PPP) », pensant que cela vaut mieux qu’une privatisation pure et simple, que les méthodes de gestion « privées » fonctionnent, puisque les entreprises impliquées dans ce processus font tant d’argent. Qu’ils se gardent de suivre cette logique, car il y a une différence de principe fondamentale : la mission première de toute municipalité est de défendre l’intérêt général et le développement des gens.