Communiqués

Lettre ouverte de Helga Zepp-Larouche au SPD et aux syndicats allemands.
Oui à un plan Lautenbach, non à la politique d’austérité !
Oui à un changement de politique, non à un changement de régime !

jeudi 1er mai 2003

Nous avons jugé extrêmement important de communiquer ce texte de nos amis allemands du Büso aux travailleurs français. Il montre la gravité de la situation en Allemagne. Le cas de la France n’est donc pas unique. C’est de politique européenne qu’il faut changer. En combattant la guerre illégale contre l’Irak, Paris et Berlin sont entrés dans le Rubicon. Maintenant, nous devons le franchir en gagnant la paix. C’est-à-dire offrir à nos pays et à nos peuples une politique de croissance, de justice sociale et de progrès technologique, en jetant les bases, pour y parvenir, d’un nouvel ordre économique et monétaire international - un nouveau Bretton Woods et un Pont terrestre eurasiatique pour la paix. Pas contre le peuple américain ou les Etats-Unis, mais pour faire tomber les faucons fascistes de l’administration Bush. L’histoire que nous vivons exige une grande querelle.

Chers membres du SPD et des Syndicats,

La crise gouvernementale qui risque de se produire si on en arrive effectivement à un vote de censure le 1er juin, lors du congrès extraordinaire du SPD, mérite une réflexion sobre. Ceux qui, aujourd’hui, réagissent émotionnellement, sans tenir compte de tous les aspects de la situation si complexe dans laquelle nous nous trouvons, peuvent être bien intentionnés et commettre néanmoins une erreur grossière. En effet, la volonté de certains membres de l’aile gauche du SPD, soutenus par plusieurs syndicats, de changer les aspects de l’Agenda 2010 du chancelier Schröder qui pénalisent durement la partie la plus démunie de la population est totalement justifiée. Car les coupes claires dans le système de santé et dans les allocations-chômage détruiraient le système social que cet agenda est censé sauver. Ces mesures sont tout à fait injustes et, du point de vue économique, aberrantes. Mais les propositions des critiques du chancelier Schröder d’une part n’offrent pas de solution aux problèmes et d’autre part ne tiennent pas compte du contexte politique plus large dans lequel se trouve actuellement engagé le gouvernement.

Car le parti de la guerre américain qui vient de mener la guerre contre l’Irak, en violation du droit international, et en a déjà annoncé d’autres contre des pays dits voyous, est déterminé à punir les partisans de la paix. Rumsfeld et Perle ont appelé ouvertement à un « changement de régime » à Berlin. Cheney, Rumsfeld, Rice, Perle et Powell ont également annoncé des mesures punitives » contre le gouvernement français et on a même parlé d’exclure la France de certains sommets internationaux. Nous avons donc toutes les raisons, ici en Allemagne, de ne pas hurler avec les loups contre le chancelier Schröder.

Le problème que nous avons - non pas avec l’Amérique, mais avec ce gouvernement américain -, c’est que les membres du parti de la guerre, les Cheney, Rumsfeld, Wolofwitz, etc., défendent une nouvelle idéologie impériale, amalgamant les idées de Bertrand Russell et de HG Wells sur un empire mondial anglo-américain et le fascisme philosophique d’un Leo Strauss. Se réclamant lui-même de Nietzsche, Carl Schmitt et Heidegger, et mentor de pratiquement tous les membres du parti de la guerre, Leo Strauss croyait entre autres qu’il était légitime de recourir à des « mensonges nobles » et à la « mystification religieuse » pour exercer un pouvoir absolu. Si l’on étudie la pensée de Leo Strauss, on comprend beaucoup mieux les déclarations de certains membres du gouvernement américain, qui sont ses disciples intellectuels. Schröder et Chirac, avec Poutine et la majorité écrasante des pays et peuples du monde, ont eu absolument raison de refuser cette guerre et de défendre à la fois le droit international et les intérêts de leur nation. Mais lorsque Schröder réagit aux critiques au sein de son parti en organisant un vote de confiance, dans l’espoir de pouvoir convaincre 80 ou 90% des participants du bien fondé de l’Agenda 2010, c’est faux du point de vue économique, injuste sur le plan social - et très dangereux sur le plan politique. En effet, que se passera-t-il s’il n’obtient pas les 80 % ?

Et s’il gagne ? Alors l’Allemagne s’enfoncera plus encore dans la dépression, de même que la France, dont le gouvernement impose une austérité tout aussi brutale. Il suffit d’étudier le processus historique depuis les gouvernements Müller (1928-30) et Brüning (1930-32) jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Hitler, pour prévoir comment la situation peut évoluer.

Le noeud gordien

Ceci nous amène au vrai noeud gordien. Le gouvernement Schröder et les auteurs de l’Agenda 2010 refusent de reconnaître que l’économie mondiale se trouve dans une dépression tout aussi grave, mais plus généralisée, que celle des années 1930. On croit plutôt avoir affaire à des « faiblesses conjoncturelles » et à « un déclin mondial de la croissance », la conjoncture devant s’améliorer avec la « victoire » américaine.

Au contraire, nous nous trouvons dans la phase finale de l’effondrement systémique du système financier et monétaire mondial.

Comment se fait-il que les gouvernements allemand et français, malgré leur hostilité à la guerre, aient une politique économique aussi à côté de la plaque ? La vérité, c’est que, tout en rejetant la politique impériale straussienne de ce gouvernement américain, l’Europe défend une politique éco nomique néo-libérale, dans la tradition de von Hayek ou de Raymond Barre.

Et c’est ce système néo-libéral qui est à l’origine de la situation catastrophique de l’économie réelle - en Allemagne et dans le monde.

Sous une avalanche de lois, de décrets et de réglementations, la manière dont la société crée de la richesse a changé. Ce ne sont plus les investissements dans le progrès scientifique et technologique ou le travail honnête qui créent de la richesse sociale, mais la spéculation financière, la « valeur aux actionnaires », l’« argent-roi » ; ce qui rapporte, ne sont plus les investissements pour obtenir la meilleure qualité possible de produits, mais la production bon marché et les flux tendus. On ne soutient plus les petits et moyens entrepreneurs qui contribuent à la prospérité générale, mais les requins qui, grâce à la privatisation de secteurs relevant de l’intérêt général, font des profits scandaleux.

Dans les années 30, l’économiste Wilhelm Lautenbach a proposé un plan économique dont le principe est encore valable pour résoudre la crise aujourd’hui. L’idée principale est la suivante : dans une économie en dépression, les mécanismes normaux d’une économie de marché ne fonctionnement plus parce que le pouvoir d’achat baisse et que la confiance des consommateurs disparaît. Il est donc tout à fait erroné, dans ces circonstances, de réduire les coûts, notamment du budget public, car l’austérité détruit plus encore les capacités de production, fait chuter les recettes fiscales, creuse le trou budgétaire et oblige à encore plus d’austérité. Seul l’Etat peut relancer l’économie. Le problème le plus urgent est de combattre le chômage, qui représente les coûts les plus lourds. Par conséquent, l’Etat doit émettre des crédits publics destinés exclusivement aux investissements productifs, qui créent une vraie valeur en capital et concernent des secteurs dans lesquels on investirait si l’économie se portait bien, par exemple les projets d’infrastructure et les technologies de pointe qui stimulent la productivité de l’économie et du travail.

Lautenbach faisait valoir que, grâce à la relance directe et indirecte de l’économie, les recettes fiscales encaissées finiraient par dépasser les crédits accordés au départ. Si le plan Lautenbach avait été appliqué en Allemagne en 1931, on n’aurait pas eu, deux ans plus tard, les conditions sociales ayant permis la montée du nazisme. A l’époque, une proposition similaire était défendue, côté syndical, par l’économiste socialiste de l’ADGB, Vladimir Woytinsky. Aux Etats-Unis, le président Franklin Roosevelt sortit l’économie américaine d’une dépression comparable à l’aide d’une méthode similaire.

Sortir de la crise aujourd’hui

Pour résoudre la crise aujourd’hui, la France et l’Allemagne, ensemble, doivent d’abord abolir le pacte de stabilité européen. Ensuite, des crédits publics doivent être massivement émis en faveur des infrastructures de base et de l’économie productive, en partant du point de vue qu’il faut créer cinq millions d’emplois et que chaque nouvel emploi créé, par exemple dans le bâtiment, coûte environ 12 500 euros.

Ainsi, le programme de transports transeuropéens doit être mis en place de toute urgence, surtout en vue de l’élargissement de l’Union européenne. La Commission européenne vient de reconnaître que les moyens financiers prévus en 1994 pour la réalisation de ce projet étaient beaucoup trop faibles. Si ce programme d’infrastructures transeuropéen est relié par des corridors de développement avec la Chine, l’Inde et d’autres pays asiatiques, alors, un Pont terrestre eurasiatique pourra être réalisé relativement vite. Autour et à partir de ces infrastructures, des investissements industriels pourront créer des emplois qualifiés et faire rayonner le progrès scientifique.

Ce concept - la mise en place du Pont terrestre eurasiatique comme locomotive de la relance économique mondiale - vient de l’économiste américain Lyndon LaRouche. Ce n’est plus seulement une idée, il est en train d’être réalisé, concrètement, par la Chine, l’Inde, la Corée du Sud et les pays membres de l’ASEAN. Lyndon LaRouche se présente à l’investiture présidentielle du Parti démocrate américain et, d’après les statistiques de la Commission électorale fédérale, il a pour l’instant reçu davantage de contributions financières individuelles pour sa campagne que tout autre candidat. Il existe donc bien une solution au dilemme. Il est nécessaire de lancer une large discussion parmi toutes les institutions économiques et sociales sur les mesures à prendre et les changements à opérer pour assurer un avenir positif pour notre pays et pour toute l’Europe. Nos pays ne sont pas des entreprises S.A. et nos populations ne sont pas une collection de travailleurs indépendants. Charles de Gaulle avait raison de dire que la France a une mission dans le monde. C’est vrai aussi pour l’Allemagne et pour l’Europe.

Face aux dangers de la situation mondiale, face au risque d’une guerre larvée et permanente, face à l’effondrement économique, l’Europe doit adopter une politique de « paix par le développement mutuel ».