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Comme en 1933, il faut choisir : C’est Roosevelt ou le corporatisme

samedi 16 février 2008


Cet article est paru dans le magazine EIR du 15 février 2008


par John Hoefle

« Si nous choisissons de jouir des avantages d’un système de leviers financiers intermédiaires, le fardeau de la gestion du risque dans le système ne reposera pas sur le seul secteur privé. L’effet de levier porte toujours en lui la possibilité d’une réaction en chaîne, une série de défauts en cascade qui, s’ils restaient sans contrôle, aboutiraient à une implosion financière. Seule une banque centrale, avec son pouvoir illimité de création monétaire, peut enrayer un tel processus avant qu’il ne devienne destructeur. Ainsi les banques centrales sont-elles devenues, de force, les prêteurs en dernier ressort. Mais dans ce rôle, il est implicitement supposé que le risque émanant d’évènements extrêmes sera d’une manière ou d’une autre réparti entre le public et le privé. Les banques centrales sont donc amenées à fournir l’équivalent d’une assurance financière en cas de catastrophe. »

Cette déclaration a été faite le 19 novembre 2002 par Alan Greenspan, alors directeur de la Réserve fédérale, devant le Council on Foreign Relations. Malgré le style pompeux, le message est clair : il va y avoir des problèmes et lorsqu’ils arriveront, ce sont les contribuables qui vont casquer.

Deux jours après, lors d’un discours au National Economists Club de Washington, Ben Bernanke, le directeur de la Réserve fédérale (dont il n’était à l’époque que l’un des gouverneurs), évoqua la possibilité de « crises financières violentes menant au bradage des actifs et à une chute de leur prix », auquel cas « le gouvernement des Etats-Unis dispose d’une technologie dénommée planche à billet (ou son équivalent électronique), permettant de produire à un coût quasiment nul autant de dollars qu’il le désire. »

Ces deux discours signalaient l’intention de la Réserve fédérale de renflouer, pour le compte de la communauté financière internationale, les institutions bancaires lorsque le système mondial viendrait à s’effondrer, comme il fallait s’y attendre. Depuis, leurs craintes étant devenues réalité, Ben Bernanke et le secrétaire au Trésor Henry Paulson se chargent de mettre le plan en œuvre.

Va te faire renflouer

Henry Paulson, Ben Bernanke et leurs amis banquiers aimeraient convaincre les Américains qu’ils ne cherchent qu’à les aider, car c’est pour eux le seul moyen de vendre au public leur plan de renflouement. Au lieu de parler de crise bancaire, ils évoquent la crise immobilière ; plutôt que d’admettre qu’ils veulent sauver leurs titres hypothécaires - et tous les produits dérivés qu’ils ont engendrés - ils prétendent vouloir protéger les propriétaires de logement contre les saisies. Pour rester polis, disons qu’ils mentent comme ils respirent.

Le fameux « plan de stimulation » adopté par la Chambre et le Sénat illustre bien le problème. La promotion officielle vante des réductions d’impôts de 600 dollars par personne, mais ce projet de loi prévoit aussi d’augmenter le plafond des crédits hypothécaires que Fannie Mae et Freddie Mac sont autorisées à racheter, qui passerait de 417 000 à 729 750 dollars. En clair, cela veut dire qu’une quantité plus importante de titres hypothécaires, et autres titres qui leur sont adossés, auront droit à la garantie implicite de l’Etat qu’offrent ces deux agences semi-publiques. En profiteront avant tout, bien évidemment, les institutions financières qui détiennent ces hypothèques et ces titres.

Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de Howard P. Milstein, un banquier new-yorkais et magnat de l’immobilier qui, dans une tribune pour le New York Times du 6 février, appelle le gouvernement fédéral à garantir toutes les hypothèques subprimes. Ainsi, grâce à cette garantie publique, « elles seraient immédiatement appréciées à leur valeur d’origine dans le bilan des banques, et une grande partie des capitaux perdus par ces dernières seraient restitués », explique t-il.

Ces deux plans ont en commun de mettre des coûts énormes à la charge du public, comme l’avait prévu Alan Greenspan en 2002, sous prétexte d’aider les plus petits. Faire croire que ces initiatives sont une réponse à la crise des subprimes est un subterfuge destiné à mieux vendre ce plan de renflouement des grandes banques et acteurs financiers.

On tente également de faire croire qu’il est essentiel de protéger la valeur nominale des actifs financiers, pour le plus grand bien de la population. C’est tout aussi faux.

Les Etats-Unis sont déjà submergés de dettes, et ces mesures auront pour effet, d’une manière ou d’une autre, d’augmenter l’endettement. A cela s’ajoute un autre danger, à savoir que ce plan transformerait des milliers de milliards de dollars de dettes financières en obligations garanties par le gouvernement et le peuple américain, faisant ainsi retomber les pertes des marchés sur le dos des pouvoirs publics.

En fait, toutes les tentatives de faire en sorte que le gouvernement sauve de grandes quantités d’avoirs financiers sans valeur auront un effet boomerang, déclenchant une spirale hyperinflationniste. Le fait que les dirigeants bancaires envisagent ce genre de plan montre que leur banqueroute n’est pas seulement financière, mais aussi intellectuelle. Ils feraient mieux d’admettre une fois pour toutes que leurs institutions sont en faillite et de se placer sous la protection du gouvernement suivant les lignes esquissées par Lyndon LaRouche dans son projet de Loi pour protéger les propriétaires de logement et les banques, le Homeowners and Bank Protection Act.

Les partenaires publics-privés

Dans la communauté financière, la demande dépasse l’offre en terme de rationalité. En témoignent les tentatives d’« aider » le public en lui faisant payer l’utilisation d’infrastructures publiques qui ont été financées par l’argent des contribuables. Cette arnaque, vendue sous le nom de « partenariats publics-privés » (PPP), consiste à vendre ou à céder des équipements publics à des sociétés privées qui exigent ensuite des prix exorbitants pour leur utilisation.

Pour faire passer la pilule, on prétend que le secteur privé est plus apte que le public à gérer de tels projets, fournissant ainsi à la population un meilleur service à un prix moindre. C’est sur la base d’un argument pareil que la Californie a fini par accepter de confier son approvisionnement électrique à la fameuse société Enron et qu’elle en fut remerciée par des coupures d’électricité (les fameux « black-out ») et l’explosion des prix.

En fait, dans la plupart des cas, les projets privés ont coûté plus cher que ceux confiés aux autorités publiques. Cela se comprend aisément, puisque ces projets sont financés par des sociétés ou des fonds dont la vocation première est de faire du profit, non de construire des infrastructures.

On voit se multiplier, aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, les projets de privatisation d’autoroutes, systèmes d’eau et d’égout, ponts, aéroports, etc., et les pressions sur les pouvoirs publics pour qu’ils acceptent augmentent de pair. Plus on s’enfonce dans la crise économique et financière, moins les collectivités ont le choix. La chute des valeurs immobilières a un fort impact négatif sur les revenus fiscaux des collectivités locales, et l’assèchement généralisé du crédit leur rend difficile la levée de fonds par émission d’obligations. Dans ces conditions, l’appel aux fonds d’investissement privé devient séduisant.

Réduire l’infrastructure à une vulgaire « source de profit » et juger l’efficacité des projets selon les revenus qu’ils génèrent est le symptôme d’une société devenue inintelligente. Le rôle de l’infrastructure est d’accroître la productivité de la population active qu’elle dessert, afin de rendre plus productif l’ensemble de l’économie. La vendre au plus offrant - qui va tenter de la rendre la plus rentable possible - est absolument contre-productif pour la croissance économique.

Le remède Roosevelt

Plutôt que de chercher à renflouer les banques en chargeant leurs pertes sur le dos des populations, tout en sacrifiant aux grands groupes ce qui devrait être des services publics, nous devrions revenir aux politiques de Franklin D. Roosevelt. Il se battait lui aussi contre ceux qu’il appelait « les monarchistes de l’économie », ces « princes privilégiés des nouvelles dynasties économiques qui veulent s’emparer du contrôle de l’Etat lui-même ». Il a effectivement protégé l’intérêt général contre cette « tyrannie économique de certains », en utilisant le « pouvoir organisé de l’Etat pour défendre le citoyen américain ». C’est la seule politique viable, celle que toute nation souveraine devrait adopter pour assurer sa propre survie.