Les analyses de Jacques Cheminade

Fraternité franco-britannique : la servitude volontaire de Nicolas Sarkozy

samedi 29 mars 2008, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

« Lune de miel franco-britannique » (Le Figaro), « alliance privilégiée avec la Grande-Bretagne » (Le Monde), « déclaration d’amour à Albion » (Le Parisien) : la presse française ne s’y est pas trompée, c’est l’hommage d’un vassal à son suzerain que Nicolas Sarkozy a rendu lors de son voyage en Grande-Bretagne. Nous ne pouvons en éprouver que de la gêne, de la honte, du chagrin et de la pitié. Nous devons surtout dire qu’à ce moment de l’histoire, ce signe de servitude volontaire est extrêmement grave, car il conforte le projet insensé des élites financières et politiques britanniques de contrôler la période chaotique dans laquelle nous entrons par la force de l’argent, du quadrillage social et d’une stratégie de tension militaire. Sans le comprendre sans doute, dévoré par une ambition de plaire à ceux qui l’ont assisté dans sa course présidentielle, Nicolas Sarkozy joue ainsi le rôle d’apprenti-sorcier ou de lapin Duracel dans une course à l’abîme.

Ceux qui pensent que nous exagérons devraient mesurer l’ampleur de l’hommage, ensuite son contexte et, enfin, ce à quoi il mène.

Ampleur de l’hommage

Le discours prononcé le 26 mars devant les chambres des Communes et des Lords réunies dans la Galerie royale de Westminster exprime un acte d’allégeance sans précédent.

« Au nom du peuple français, je suis venu proposer au peuple britannique qu’ensemble nous écrivions une nouvelle page de notre histoire commune, celle d’une fraternité franco-britannique, une fraternité pour le XXIe siècle. » Voilà un mot arraché à la devise de notre République et livré à une monarchie impériale sans scrupules ni amour de son propre peuple.

« Vous êtes devenus pour nous un modèle, une référence, et nous devons nous inspirer de ce que vous avez su faire, quelle que soit la couleur de vos gouvernements, ces vingt ou trente dernières années. » Quand il aime, Nicolas Sarkozy ne compte pas. Il se livre en bloc, dans une révérence commune à la conservatrice Margareth Thatcher, au travailliste Tony Blair ainsi qu’à son successeur Gordon Brown. Le Royaume-Uni est pour lui « un idéal humain et politique » et il fait du système politique anglais « la pierre angulaire de toute démocratie ». La nullité de sa culture historique transparaît crûment, ainsi que sa mentalité de parvenu. Apprenant que lui-même et son épouse allaient passer la nuit à Windsor, la résidence royale où habite Elizabeth II, il s’est écrié : « Demain, je serai à Windsor, c’est la classe ! » Puis, en insistant : « S’il y a un problème de style, j’espère que vous apprécierez l’habit que j’ai fait faire pour la soirée royale. » Si l’on ajoute Rachida Dati et Rama Yade dans leur carrosse, on pense à une équipée d’enfants gâtés ne mesurant pas le gâchis qu’ils provoquent.

Le contexte

L’on en rirait si la situation internationale n’était si grave et le signe donné par Nicolas Sarkozy si dangereux. En effet, aujourd’hui les « hommes de Londres » (relire le livre d’Olivier Blanc sur ceux de la Révolution française) ont un plan de contrôle politique, idéologique, policier et militaire d’un monde « globalisé ». Leur volonté est de détruire les Etats-nations et de mettre en place une sorte d’empire universel, éclaté en féodalités contenues et gérées par des bureaucraties comme, en Europe, celle de Bruxelles.

L’alternative doit être une alliance de Républiques souveraines, opposées à l’ultra-libéralisme et menant ensemble une politique de paix par le développement mutuel, fondée sur l’équipement de la nature et des hommes pour accroître la capacité d’accueil du monde.

Or Nicolas Sarkozy, en prenant le parti de Londres, sabote ce projet. En termes gaullistes, il est celui qui empêche le « salut ».

Même si le bilan réel de la visite apparaît plus léger que le décorum qui l’a entourée, le signe qu’il donne est terrible.

Les conséquences

A court terme, le plus grave est que Nicolas Sarkozy, comme François Mitterrand avant lui, exerce un chantage sur l’Allemagne. Il déclare en effet : « Dans l’Europe d’aujourd’hui, le moteur franco-allemand reste indispensable. Mais il n’est pas suffisant pour permettre à l’Europe d’agir et de peser de tout son poids. Nous avons besoin de rassembler les Vingt-sept, nous avons besoin d’abord de cette nouvelle entente franco-britannique. »

Pour faire quoi ? D’abord, imposer l’ordre européen du Traité de Lisbonne. C’est-à-dire empêcher toute politique de grands travaux donnant une vraie substance à l ’Europe. Car l’article 101-1 du Traité, reprenant l’article 104 de Maastricht, interdit aux Etats d’emprunter auprès de la Banque centrale pour émettre du crédit en vue de financer des investissements publics. Les Etats n’ont le choix qu’entre s’endetter auprès des acteurs privés en leur payant des intérêts ruineux, ou ne plus pourvoir aux besoins essentiels de leurs peuples, ce vouloir-vivre en commun qui fonde la paix.

Ensuite, pour que la France revienne dans le commandement intégré de l’OTAN, en espérant quelques miettes de responsabilités que Londres et Washington lui refuseront de toutes façons. Pour donner des gages, c’est de Londres, devant les deux chambres du Parlement britannique, que Nicolas Sarkozy a annoncé un renforcement de la présence militaire en Afghanistan. Même s’il a admis qu’ensuite « un débat sans aucune réserve » (encore heureux) se déroule devant le Parlement français sur cet engagement, la priorité donnée aux représentants britanniques est scandaleuse. Surtout qu’il s’agit de lancer 3000 de nos meilleurs soldats dans ce que le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, appelle « un merdier ingérable » dans lequel « nous n’avons aucun intérêt à nous impliquer davantage ».

Enfin, alors que, comme l’a affirmé à plusieurs reprises Shimon Pérès, des négociations entre Israël et la Syrie sont nécessaires pour relancer une dynamique de paix au Proche-Orient, Nicolas Sarkozy a approuvé la décision des chefs d’Etat égyptien et saoudien (fortement incités par le vice-président américain Cheney) de ne pas prendre part au sommet de la Ligue arabe à Damas. Il est vrai qu’auparavant, M. Sarkozy avait envoyé là-bas le très compétent Jean-Claude Cousseran, pour ensuite y déléguer MM. Lévitte et Guéant en créant un imbroglio propre à alimenter le parti de la guerre.

Voilà, en quelques mots, vers quoi nous mène le voyage à Londres : vers l’Europe de Winston Churchill, comme M. Sarkozy l’a reconnu lui-même, c’est-à-dire une annexe de l’Empire britannique. Ah ! dira-t-on, mais le Royaume-Uni est faible, la grenouille anglaise ne peut se faire aussi grosse que l’empire universel. Ceux qui tiennent ce raisonnement ne comprennent ni l’état d’urgence dans lequel se trouve le monde, ni l’influence des moeurs, des intérêts financiers et de l’idéologie britannique en Europe et aux Etats-Unis. C’est eux que je combats avec mes amis. C’est eux que devrait combattre la gauche française, au lieu de pérorer, d’analyser et de se battre pour un strapontin dans l’enfer terrestre qui se prépare si rien n’est fait pour arrêter le convoi.