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« Les Chinois sont les Français de l’Orient »

samedi 26 avril 2008

Entretien avec Thierry Liu, ancien élève de Sciences-Po et l’un des porte-parole de la manifestation du 19 avril. Organisée par les étudiants chinois en France, cette manifestation a été largement soutenue par la communauté chinoise à Paris.

Nouvelle Solidarité (NS) : Vous avez organisé une manifestation à Paris, le 19 avril 2008, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes…

TL : Nous en attendions 10000, et il y en a eu à peu près 8000…

NS : Quel était le but de cette manifestation et d’autres qui ont eu lieu dans d’autres pays européens ?

TL : Nous recherchions trois objectifs principaux. Le premier était de contrer la désinformation des médias français sur ce qui se passe autour des Jeux olympiques et du Tibet. Dans ce malentendu entre le peuple chinois et le peuple français, les médias jouent un rôle essentiel. Vous avez vu, sans doute, l’image de la police népalaise, cette photo d’une scène de tournage d’un film où des soldats chinois portent les vêtements des bonzes. Vous avez vu aussi cette surexposition des tenants de l’indépendance du Tibet, qui n’est soutenue de nulle part. Il y a des groupes très minoritaires aux côtés du Dalaï Lama, qui lui-même soutient les Jeux olympiques et l’unité de la Chine.

Le deuxième objectif était d’appeler les gens à soutenir les Jeux, qui sont un élément essentiel pour que la Chine s’ouvre à l’étranger, pour que la démocratie progresse là-bas et que les droits de l’homme soient mieux assurés par la construction, petit à petit, d’un Etat de droit.

Enfin, les Jeux olympiques sont aussi une occasion pour les peuples de communiquer entre eux. Au fond, ce malentendu entre Chinois et Français a lieu parce que la France et la Chine sont éloignées l’une de l’autre et que les informations que les gens retiennent sont souvent déformées, volontairement ou involontairement.

Heureusement, on a constaté que depuis la manifestation, il y a beaucoup d’autres voix qui se sont fait entendre dans les débats publics et sur toutes les chaînes. A travers les manifestations, on a pu aussi encourager les étudiants chinois à parler aux médias et à tous ceux qu’ils rencontrent. Parce que, s’il y a cette faille d’information, c’est aussi parce que les Chinois ne sont pas habitués à communiquer.

NS : A travers la virulence de la réaction chinoise à l’égard de la France, comme on l’a vu dans les manifestations à Pékin et la violence des attaques, on sent comme une très grande déception de la Chine à l’égard de la France, comme si elle attendait beaucoup mieux de son allié français…

TL : Vous avez très bien compris. Avant-hier, je dialoguais sur une chaîne de télévision publique avec un ancien ambassadeur français en Chine qui a fait le même constat : c’est un amour déçu. La France jouissait et jouit toujours d’une image excellente. D’abord par le nom de la France, dont la traduction chinoise veut dire : « pays » et « loi ». La France est donc le pays de la loi, un nom qui fait appel à l’histoire de France. C’est quelque chose d’essentiel dans une période où la Chine essaie de construire un Etat de droit.

Aussi, la France a toujours une image très positive dans le domaine de l’éducation et de la culture. C’est la raison pour laquelle je pense que l’effet de cette affaire sera éphémère, parce qu’il y a des choses très profondes dans l’imaginaire public. D’ailleurs, les boycotts publics en Chine n’ont jamais duré longtemps, même dans le cas du Japon.

NS : Quand on regarde la carte de la Chine, on voit que le Tibet représente pratiquement un quart du pays. Ne pensez-vous pas que cette campagne doit être vue comme une tentative de faire éclater votre grand pays, au même titre que d’autres, comme avec l’indépendance du Kosovo, ou des Flandres, par exemple ?

TL : Je n’imagine pas un complot de la part des pays occidentaux pour faire éclater la Chine, même si de telles pratiques ont déjà eu lieu. Bien sûr, c’est un élément bien réel. Prenons l’intervention des Etats-Unis depuis les années 50 : ils ont formé chez eux le frère aîné et le frère cadet du Dalaï Lama, ils ont formé une armée pour ces deux-là. Cette information a d’ailleurs été dévoilée par la CIA et est consultable dans n’importe quelle bibliothèque américaine (...) même si j’imagine mal que le capitalisme ait la volonté de faire éclater la Chine communiste. De nos jours, cela paraît quand même légendaire.

Mais il y a malgré tout un jeu. Ce que je vois est que les Etats-Unis manipulent l’Europe contre la Chine parce qu’ils veulent orienter leurs conflits internes vers l’extérieur. La Chine est quand même un marché, un gâteau que les pays occidentaux voudraient pouvoir se partager. Il y a un proverbe chinois de 700 avant J.C. qui dit, « quand la coquille pince l’échasse, c’est le pêcheur qui en bénéficie ». Aujourd’hui le pêcheur, ce sont les Etats-Unis, et ils provoquent les hostilités pour mieux se positionner sur le marché chinois. Ils ont notamment bénéficié de la maladresse du chef de l’Etat français.

NS : Je crois que la plupart des Occidentaux ne sont pas hostiles à la Chine, mais il y a une petite élite financière, surtout basée à Londres…

TL : Là, vous avez tout à fait raison…

NS : C’est intéressant de voir que la déstabilisation du Tibet coïncide avec celle du Xinjiang, et là, c’est absolument clair que ce sont les Britanniques qui contrôlent les Ouighours. On dirait qu’il y a des apprentis sorciers qui tentent de profiter de la crise actuelle pour faire éclater les nations selon des critères ethniques et leur imposer un régime impérial.

TL : Il y a un élément financier très clair dans tout ceci. Mais il n’y a pas que Londres, il y a aussi New York. La faiblesse du dollar et la réévaluation du RMB, la monnaie chinoise, fait perdre beaucoup d’argent à la Chine qui détient 1700 milliards de dollars de réserve. Cette réserve sert aujourd’hui essentiellement à payer l’addition de l’Etat fédéral américain et représente un fardeau pour le peuple chinois.

NS : Que pensez-vous des accusations portées par certains réseaux chinois contre Carrefour, l’Oréal, etc.?

TL : Vous voyez, les Chinois ne sont pas très différents des Français. Certains avancent que les Français sont les Chinois de l’Occident et que les Chinois sont les Français de l’Orient. On aime bien manifester, on aime manger, on aime tout ce qui est beau. Ainsi, face à un événement provocateur de la sorte, les Chinois manifestent leur mécontentement, et c’est tout à fait compréhensible, même si je trouve triste de voir mes compatriotes boycotter Carrefour. Ils ont mal choisi leur cible, Carrefour n’est pas la France, mais uniquement une entreprise, qui a eu le courage d’aller s’investir en Chine. D’ailleurs, c’est l’une des entreprises françaises qui a le mieux intégré les valeurs chinoises traditionnelles dans sa stratégie de communication. Carrefour est donc une marque vedette. Je ne crois pas que mes compatriotes vont continuer longtemps à boycotter les magasins Carrefour.

(Propos receuilli par Christine Bierre, rédactrice en chef de Nouvelle Solidarité)

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