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Le monde se révolte contre le libre-échange britannique

lundi 26 mai 2008

Par Helga Zepp-LaRouche

Nous publions ici de très larges extraits d’un article d’Helga Zepp-LaRouche, visant à mobiliser les citoyens des pays européens et du monde pour qu’ils se rallient à la cause anti-malthusienne, à un moment dramatique de l’histoire où le colosse du système britannique devient un géant aux pieds d’argile. La crise alimentaire actuelle serait ainsi l’occasion d’en finir avec la mondialisation financière.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Un groupe de sept anciens chefs de gouvernement, cinq anciens ministres des Finances et deux anciens présidents de la Commission européenne, en grande majorité sociaux-démocrates (voir article ci-joint), sont montés au créneau en adressant une lettre à la Commission européenne et au prochain président de l’UE Nicolas Sarkozy, pour s’élever contre les dangers de la crise financière actuelle, qui risque de nous mettre face à « une misère sans précédent, à une prolifération d’Etats en faillite, à des flux migratoires plus importants et à davantage de conflits armés ». Dans cette lettre, publiée, entre autres, par le Monde du 22 mai, ils appellent à une conférence internationale pour « repenser les règles de la finance internationale et de la gouvernance concernant les thèmes économiques mondiaux. » De fait, c’est le concept d’un Nouveau Bretton Woods (bien que le nom ne soit pas prononcé) qui se trouve mis sur la table.

En attaquant le « capital fictif », les auteurs reconnaissent implicitement que le monde se trouve face à un nouveau fascisme et qu’une Europe qui en resterait à sa philosophie néolibérale actuelle courrait à sa perte. Il n’en fallait pas plus pour que les promoteurs du système libre-échangiste britannique dénoncent « une menace dramatique pour la City de Londres ».

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Cette lettre arrive au moment où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) accélère la conclusion du Doha Round afin de balayer, avec l’aide de la bureaucratie bruxelloise, les dernières mesures de protection de la production physique et du bien-être des citoyens, et de maximiser les profits d’un capitalisme vautour. (...) Même avant l’intervention des quatorze « doyens » de la social-démocratie, un affrontement s’est produit entre le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, et le ministre français de l’Agriculture Michel Barnier, ce dernier défendant résolument ce qui reste de la Politique agricole commune de l’UE, en quoi il voit un modèle pour l’Afrique et l’Amérique latine.

Jean Ziegler, l’ancien Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, écrivait déjà, dans son livre paru en 2002, Les nouveaux maîtres du monde, que l’OMC mentionne une liste de plus de 60000 entreprises transnationales actives dans le domaine du commerce, de la finance et des services, mais que, de facto, l’ensemble des échanges mondiaux est dominé par seulement 300 à 5000 entreprises aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Il qualifiait l’OMC d’« effroyable machine de guerre au service de pirates ». Et c’est justement cette machine de guerre qui tente, à ce stade de l’effondrement financier, d’optimiser les profits pour les spéculateurs – de concert avec la machinerie de l’UE, elle aussi une bureaucratie non élue qui n’a pas de comptes à rendre à ses citoyens.

Lorsqu’on prétend, écrivait Ziegler, que les Etats-Unis ou l’UE négocient, en réalité ce sont les 200 entreprises transnationales les plus puissantes de la planète qui définissent entre elles le cadre de leur business. C’est donc leur logique qui finit toujours par s’imposer et non celle des Etats et des peuples.

Ce conflit d’intérêts irréconciliables entre, d’une part, les peuples et d’autre part, le dogme du libre-échange britannique impérial, qui menace des continents entiers, n’a jamais été aussi ouvert. A un moment où ce capitalisme vautour menace tous les continents et risque de plonger des masses croissantes d’êtres humains dans une misère sans précédent, même les médias financiers commencent à parler de la faillite éventuelle des banques centrales (Frankfurter Allgemeine Zeitung du 20 mai) et du fait que les contribuables sont trouvent mis en demeure de renflouer les d’intérêts spéculatifs privés.

Séparer le bon grain de l’ivraie

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Au niveau des dirigeants, la ligne qui sépare les deux camps n’a jamais été aussi clairement tracée. Leur choix de vocabulaire le reflète : les uns, les libre-échangistes néolibéraux, parlent de « développement durable », d’« énergies renouvelables », de « technologies adaptées », etc., tandis que les autres, les défenseurs de l’intérêt général, évoquent « la sécurité alimentaire et énergétique » et réclament une augmentation de la production physique.

Dans ces conditions, la campagne de l’Institut Schiller pour mettre le doublement de la production alimentaire mondiale à l’ordre du jour de la conférence de la FAO à Rome, début juin, recoupe les préoccupations de bon nombre de dirigeants du monde face à la crise actuelle.

Prenons le cas du président égyptien Hosni Moubarak au Forum économique mondial de Charm el-Cheikh, que les médias occidentaux ont passé sous silence. Il a insisté sur la responsabilité que le monde doit assumer vis-à-vis des pauvres, non seulement ceux des pays en voie de développement, mais aussi ceux des pays riches industrialisés.

Il s’en est pris à la spéculation qui fait flamber les prix de la nourriture, soulignant qu’il est irresponsable d’utiliser des produits agricoles pour produire des biocarburants, ce qui accélère la hausse provoquée par la spéculation : « Est-il raisonnable que certains produisent des biocarburants, avec le soutien des gouvernements ? Est-il raisonnable ou même acceptable que des récoltes agricoles servent à la production d’éthanol et aggravent la montée des prix ? La communauté internationale doit réévaluer le coût réel de la production de biocarburants, notamment tous ses effets sociaux et environnementaux et ses conséquences sur la sécurité alimentaire des êtres humains. »

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Le président Moubarak a promis de soulever ce problème à la conférence de la FAO, en espérant que l’on en saisisse l’occasion pour remettre sur la bonne voie pays industriels et pays en voie de développement.

L’Eurasie résiste

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Toutefois, le tournant stratégique le plus important provient du nouveau partenariat entre la Russie, l’Inde et la Chine (RIC ou BRIC, si on y ajoute le Brésil), renforcé lors de la récente rencontre de leurs ministres des Affaires étrangères le 15 mai à Catherinenbourg. La consolidation de ce « triangle stratégique » reflète de leur part une prise de conscience de la tentative, menée par les réseaux de l’Empire britannique, de les affaiblir en les isolant pour mieux les déstabiliser par la suite.

Font partie de cette offensive, la campagne menée depuis longtemps contre Vladimir Poutine ou encore les attaques féroces contre la Chine, accusée de violer les droits de l’homme au Tibet ou de ne pas respecter les Ouighours dans le Sinkiang. Cependant, ces trois pays, qui représentent ensemble un tiers de l’humanité et dont la croissance est la plus forte au monde, restent fermement déterminés à oeuvrer pour un nouvel ordre économique mondial.

Ainsi le président russe Medvedev a effectué ses premières visites à l’étranger au Kazakhstan et en Chine, où il a jeté les bases d’une vaste coopération. Pour l’ancien ministre indien des Affaires étrangères, Salman Haidar, ces priorités correspondent également à celles de l’Inde. Il reste encore, estimait-il dans le New Statesman, à exploiter tout le potentiel des relations trilatérales Russie-Inde-Chine.

Le 19 mai, lors d’une conférence agricole en Russie, le Premier ministre Vladimir Poutine avait affiché, parmi les grandes priorités de son gouvernement, la sécurité alimentaire, la stabilité des prix et le développement du secteur agro-industriel (voir article page 5).

Face à l’inflation des prix sur le marché mondial, indiqua Vladimir Poutine, l’agriculture est repassée en tête des préoccupations de son gouvernement, en raison des effets de la crise sur l’économie en général et sur les plus faibles revenus en particulier.

Il a défini cinq objectifs dans ce domaine :

  1. augmenter la production, notamment céréalière, en étendant la taille des surfaces cultivées et en améliorant les rendements ;
  2. rééquiper l’agriculture et l’industrie alimentaire avec des technologies nouvelles, à l’aide de plans novateurs de crédit à long terme ;
  3. parvenir à la stabilité des prix, grâce à une politique de subventions et à une régulation anti-monopole ;
  4. améliorer la gestion des risques dans le secteur agricole ;
  5. assurer le suivi constant des marchés de produits alimentaires : « Si les prix dépassent des limitées établies, il doit y avoir des mesures automatiques – et j’entends par là des interventions d’achat – et une régulation au moyen de tarifs douaniers à l’importation et à l’exportation ».

Le Premier ministre Poutine a également demandé le réexamen de tous les accords agricoles internationaux pour évaluer leur conformité avec l’intérêt de son pays. Le ministre de l’Agriculture, Alexeï Gordeyev, a clairement laissé entendre que la Russie pourrait, si nécessaire, ne pas tenir compte des règles de l’OMC.

Une question de moralité

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Reste à savoir si les gouvernements européens sont dotés de l’intelligence et de l’intégrité morale pour s’inspirer de la démarche russe, ou s’ils permettront que les négociations entre l’OMC et l’UE, sous la pression de la politique prônée par les commissaires Mariann Fischer-Boel et Peter Mandelson, débouchent sur une situation se traduisant par des pertes de quelque 30 milliards d’euros pour les agriculteurs de l’UE.

En Irlande, le syndicat agricole IFA a prévenu le gouvernement qu’il n’accepterait pas l’accord de l’OMC. On peut être certain que la politique suivie par l’UE dans ces négociations aboutira à renforcer massivement le camp de ceux qui, en Irlande, appellent à voter contre le Traité de Lisbonne lors du référendum du 12 juin.

Autre évolution significative, le Japon semble, pour la première fois, prêt à passer outre le « consensus de Washington » pour élaborer avec des organisations africaines des mesures permettant de réussir une nouvelle « révolution verte », semblable à celle des années 1960.

Ainsi, la conférence de la FAO du 3 au 5 juin offre une excellente occasion de corriger les erreurs de la mondialisation et d’adopter des mesures pour doubler au plus vite la production mondiale de produits alimentaires. Car si l’utilisation de la nourriture pour produire des biocarburants est un « crime contre l’humanité », la spéculation sur la nourriture en est un plus grave encore, qui doit être puni comme il se doit.

La faillite du système de libre-échange britannique aujourd’hui est encore plus éclatante que celle du système communiste en 1989-91. La solution ? Il en est une seule : le Nouveau Bretton Woods proposé depuis des années par Lyndon LaRouche, système productif qui doit être immédiatement discuté dans le cadre d’une conférence internationale des principaux chefs d’Etats et rapidement adopté. Le « capital fictif » doit être évacué du système et l’économie doit servir, à nouveau, à assurer l’existence à long terme de l’humanité. Manifestement, une partie de la classe dirigeante commencer à le comprendre.

Il n’y a donc plus un moment à perdre, sous peine de condamner la population mondiale à de terribles souffrances.

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