L’Union pour la Méditerranée, vision d’avenir ou économie de bazar

mercredi 11 juin 2008

Par Christine Bierre

Le projet d’Union pour la Méditerranée promu par Nicolas Sarkozy et conçu par son conseiller spécial, Henri Guaino, avait quelques éléments qui auraient pu le rendre particulièrement intéressant. D’abord, une forte ambition, à la hauteur de la France historique. Dans sa conception originale, il s’agissait d’une initiative française qui devait être réalisée en dehors du cadre asphyxiant – pour cela comme pour tout le reste – du processus de Barcelone de l’Union européenne. Il y avait ensuite l’idée de faire face aux problèmes politiques, économiques et même sécuritaires, de cet ensemble de nations partageant une longue histoire, une culture et une zone géographique, par une collaboration économique sur des projets concrets, s’inspirant de la méthode de l’Europe à ses débuts.

Plusieurs problèmes politiques de taille se posent, cependant. Le premier, celui de faire asseoir sur la même table Israël et les pays arabes, alors que certains en Israël sont embarqués dans une politique d’extermination des palestiniens et de guerre contre le Liban, la Syrie et l’Iran. La Lybie et l’Algérie invoquent déjà cette raison pour leur non participation au projet. Le début des pourparlers entre Israël et la Syrie sont encourageants dans ce contexte.

Deuxième problème, l’UPM vise à redynamiser le processus de Barcelone lancé par l’UE en 1995, qui a été, de l’avis général, un échec. Or, l’objectif de celui-ci était d’aboutir à une zone méditerranéenne de libre-échange d’ici 2010, avec ouverture des frontières, élimination des tarifs douaniers, égalisation des prix par le bas, et tout le cortège d’inégalités sociales qui accompagne ce genre de projet, sans oublier son corollaire sécuritaire : une muraille contre l’immigration. Rien de bon ne pourra sortir de cela si on en conserve les axiomes de base.

Les coups de boutoir de Merkel et de la Commission de Bruxelles ont déjà rapetissé ce projet, souvent dans ce qu’il avait de plus intéressant. Ainsi, l’ambition française et la tentative de court-circuiter les institutions paralysantes de l’UE ont été retoquées et la France a du accepter qu’il soit fait en collaboration celle-ci.

Après ce recadrage, que reste-il ? Une organisation coprésidée par un président de la rive du nord et un de la rive du sud et un secrétariat permanent composé d’une vingtaine de personnes des deux rives, ainsi que de la commission. Tous les pays membres de l’Union pourront participer au processus, et bien que les pays non riverains ne puissent pas la présider, une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement, avec pouvoir décisionnaire, aura lieu tous les deux ans. Demeure aussi, l’idée d’un partenariat sur un "pied d’égalité" entre ses membres ainsi que celle que cette institution doit être bâtie, comme l’Europe à ses débuts, autour de projets concrets sur proposition de participants des deux rives.

Qu’en est-il des projets concrets prétendument comparables à ceux qui fondèrent l’Europe : acier, charbon et nucléaire ? Nicolas Sarkozy avait déclaré à Tanger, le 23 oct. 2007 que « l’Union pour la méditerranée commencera[it] avec le développement durable, l’énergie, les transports, l’eau », ce qui laissait de la marge pour de projets de très haute technologie pouvant tirer les économies des deux rives par le haut (nucléaire, transports à grande vitesse, dessalement de l’eau par le nucléaire). Mais, s’exprimant à Tunis le 29 avril dernier, les propos du président français ont été beaucoup plus décevants ne citant que des projets de peu de voilure tels que « les autoroutes de la mer (l’acheminement des camions de marchandises sur navires pour désengorger les voies de passage par terre, ndlr), l’interconnexion de l’autoroute du Maghreb arabe, la promotion de l’énergie solaire et la dépollution de la Méditerranée » !
Différents projets d’organismes qui contribuent à l’UPM, dont l’IPEMED de Jean Louis Guiguou, évoquent la nécessité d’une Banque méditerranéenne faisant appel aux capitaux publics et privés et à des fonds souverains du Golfe, dont l’un des objectifs serait de capter et de transformer l’épargne des immigrés, en flux financiers à long terme. Mais les propositions de l’IPEMED prévoient que cette institution, tout à fait nécessaire à de grands projets, au demeurant, soit à la fois banque de développement et banque d’affaires, deux missions qui ne font pas bon ménage… Dans le domaine énergétique, l’IPEMD évoque la possibilité de s’orienter aussi bien vers les énergies renouvelables que vers le nucléaire, mais bien que la France ait déjà signé des accords nucléaires importants avec certains de ces pays, c’est soudain l’énergie solaire qui serait la plus prometteuse, ainsi que l’éolien où de nombreux sites seraient déjà identifiés tant au Maroc qu’en Tunisie ou en Egypte. Tout ceci nous fait craindre qu’au bout du « rêve » il n’y ait que de bonnes affaires financières et commerciales, toujours pour les mêmes, et rien pour les peuples ni pour les générations futures.

Il serait désastreux de se limiter à ces projets visant à doper l’activité financière et commerciale sans s’adresser au long terme. Promue pour aider l’Europe et la rive sud de la Méditerranée à faire face à la compétition féroce qui caractérise le monde aujourd’hui, on voit mal comment elle pourrait concurrencer les accords très importants dans le domaine des matières premières ou de construction des infrastructures passés par la Chine, la Russie ou l’Inde avec certains de ces pays. On voit mal aussi comment l’UE empêtrée dans cette Europe financière, dominée par la BCE, qui tue l’industrie et le travail, pourrait concurrencer des pays dont les taux de croissance dépassent les 7 % et dont les ambitions dans les domaines de la haute technologie (spatiales et nucléaires notamment) dopent leurs économies productives.

Pour réussir, il faut un partenariat plus ambitieux, investissant dans les infrastructures les plus modernes dont les retombées seraient bien plus importantes : hydrocarbures contre nucléaire, transports à grand vitesse traversant l’Afrique du Nord et la reliant aux réseaux eurasiatiques, ponts traversant Gibraltar et la Sicile, et une augmentation de l’approvisionnement en eau grâce au dessalement de l’eau de mer par le nucléaire. Seules ces technologies sont comparables à celles qui ont bâti l’Europe à ses débuts.

Enfin, la question la plus importante est sans doute celle-ci. Que restera-il de l’UPM dans l’effondrement du système financier international en cours depuis l’été dernier, lorsque la crise des sub-primes a révélée l’importance de pratiques douteuses du système bancaire et de son endettement ? Pour survivre, cette organisation devrait être conçue comme un point de transition vers un ordre économique et monétaire nouveau et viable pour les populations et les générations futures. C’est cela une vision, à l’opposé d’une économie de bazar à laquelle nos pratiques coloniales ont condamné nos amis de la Méditerranée depuis trop longtemps.

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